ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | BIOGRAPHIE DU P'TIT QUINQUIN PAR LE POÈTE ALPHONSE CAPON, DE LILLE |
Un “Grand Personnage Lillois" qui a fait le Tour du Monde : c’est le “P’tit Quinquin"
BIOGRAPHIE DE CE HÉROS, PAR LE POÈTE ALPHONSE CAPON, DE LILLE
Il n’est peut-être personne en Flandre, en France, en Algérie,dans les pays civilisés, qui ne connaisse le petit Quinquin ou n’ait au moins entendu parler de lui, car ce luron de Lillois-là a fait son tour d’Europe, voire... son tour du Monde ; il a voyagé et roulé sa bosse, vrai trouvère nomade dans toutes les capitales du vieux et nouveau continent, aux colonies d’Asie, en Afrique, en Amérique, que sais-je, et sa "canchon dormoire" a bercé bien des mioches, chatouillé bien des cœurs, délicoté bien des jambes. Quelle voix n’a pas chanté ou fredonné ?
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Dors, min p’ tit quinquin, Min p’ tit pouchin, Min gros Rojin, Te m’ f’ras du chagrin, Si te n’ dors point qu’à demain. |
Les fanfares l’ont joué et rejoué en pas redoublés, les orchestres l’ont râclé en quadrilles ou en polkas dans les bals de guinguettes et tous les orgues de barbarie, à la façon de Biribi, l’ont vulgarisé dans les cours et sur les champs de foire.
Le petit Quinquin, s’il faut en croire son acte de naissance, vit le jour, à Lille, en l’année 1853 et semblable à Minerve qui sortit autrefois, armé de pied en cape, du crâne de Sire Jupiter, Quinquin naquit de toute pièce de la cervelle du Chansonnier Desrousseaux ! ; mais comme son frère ne pouvait l’allaiter, il fut élevé en nourrice par une pauvre dentellière du quartier Saint-Sauveur, laquelle
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Amiclotant le p' tit garchon, tachot d’ l’endormir par eun’ canchon elle li dijot, min Narcisse, d’main t’aras du pain d’épice, du chuc à gogo, si t'es sache et qu’ te fais dodo. |
Mais le petit Quinquin, trois quart d’heure durant, ohein ! ohein ! ne faisait que braire :
— Dors, lui disait-elle, nous irons dans l’cour à Jeannette à Vaques vir les Marionnettes et à la comédie à un doupe, comme tu riras. — Ohein ! ohein !
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Allons’ serr tes yeux, dors min bonhomme, j’vas dire une prière à p’tit Jésus, pour qui vienne ichi, pindant tin somme, t’fair rêver qu’ j’ les mains plein's d’écus, pour qui t’apporte une coquille, avec du sirop qui guile, tout l’ long d’tin minton, te t’pourlequ’ras tros heur’ de long. |
Ohein ! ohein ! Dors ; — l’mois qui vient, St-Nicolas te laisseras mettre ton panier.
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Y t’rimplira si t’es sache, d’ sequois qui t’rindront bénache, sin cha sin baudet, t envoiera un grand martinet. |
Ni les Marionnettes ni le pain d’Epices ne produisaient d’effet, mais la menace du Martinet apaisait le petit qui, craignant de voir arriver le Baudet de St-Nicolas, s’endormait dans l’Ochennoire, tandis que la pauvre dentellière, reprenant son coussin de travail, répétait vingt fois encore :
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Dors, min p’tit Quinquin ! |
Il faut l’entendre avec sa mélodie originale, cette berceuse patoise. Son refrain facile entre d’emblée dans l’oreille et n’en sort plus. C’est cette chanson-là qui fit la réputation du Petit Quinquin et comme les succès du fils rejaillissent généralement sur le père, le docte Desrousseaux pouvait être satisfait de son œuvre, car la gloire d’un tel enfant lui faisait honneur.
Petit Quinquin essaya donc ses premiers pas dans le monde, le 13 novembre 1853. Quelques mois après, jugez de sa précocité, alors qu’il pleurait encore au berceau, et était déjà connu et admiré dans toute la ville de Lille et ses alentours. En 1854, à peine âgé d’un an, les journaux de la localité parlaient de lui et faisaient son éloge. Le "Nord", "l’Echo du Nord ", "la Liberté", le "Messager", lui prédisaient le plus grand avenir. Ça, c’est un prodige, il ira loin, clamait-on, quel bieau enfant ! et pourtant :
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Quoiqu’ tout rempli d’un esprit fort drôle, Quinquin n’a rien fait pour êtr’ savant, car, au lieu d’aller jeune à l’école, trois quat’ jours sur six, y passot d’vant. il aimot mieux fair’ queuelte, pour li juer à l’porette, à l’guisse, à rongnons, avec des aut’ gais compagnons. |
Gaillard flamand de la race du jeune et merveilleux Gargantua, Quinquin criait, sifflait, reniflait, batifolait avec Lolotte et Liquette, ses voisines, humait les pintes, léchait les plats, carillonnait aux portes, se berçait en dodelinant de la tête, monochordisait des doigts, accompagnait en barytonnant, les conscrits au tirage au sort et Une, Deuss ! marchait au pas, tambour battant avec les Musiques militaires.
En 1855, un ami de la gaîté, disciple de Gambrinus, voulut, en mourant, avoir petit Quinquin pour chanter et rire à son enterrement ; ce fut une partie de plaisir à laquelle, vous pensez bien, Quinquin ne manqua pas.
Il débuta un soir au Théâtre de Lille, dans la "Poule aux Œufs d’or". Petit Quinquin, travesti, entonna quelques couplets ayant pour refrain :
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Quoi, c’est blanc Mignon, cet ami donc, mon cœur raffole, j’ m’amus’ comme une folle, mon cœur fait ding, ding, dong. |
Vous voyez que pour la circonstance, il avait fignolé et parlé le langage parisien, le malin fieu !
Vers 1857, sa renommée s’étendit dans le Département du Nord et les provinces limitrophes : Quinquin parcourut la Flandre, l’Artois, la Somme et l’Oise et arriva à Paris, cù sa chanson retentit sur les Boulevards et dans les soirées musicales de la grande salle Barthélemy.
En 1858, au cortège des fastes de Lille, un quadrille ayant pour titre Petit Quinquin, fut vendu au profit de l’œuvre des invalides du travail et, en 1860, une Demoiselle composa un Noël à son intention.
Parlerai-je des amourettes et des conquêtes de jeunesse de Petit Quinquin ? Il était de toutes les rigolades et de toutes les goguettes. Les Dames, ma foi, lui trouvaient bel air :
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partout dins les bals, fort sur la danse, on l’appelot l’roi du rigodon, et pus d'eun’ jeun’ fille veyant s’ prestance, poussot des soupirs pour ch’ biau garchon, des brun’s, des blond's, des rousses, etott’nt toudis à ses trousses, pein’ perdu, l'farceux n’avot point l’air d’être amoureux ! |
Plus d’une brave ouvrière, en tricotant, pensait à lui. Il fut le Thème de bien des conversations et aussi des romances au piano. Un jour, il entreprit une tournée artistique avec une jeune violoniste dans les principales villes de l’Europe, et des princesses étrangères, assure-t-on, s’en amourachèrent !
Néanmoins, le Petit Quinquin et c’est le tort de toutes les célébrités, eut aussi ses détracteurs. On blâma son accent patois et son allure vulgaire, mais ces critiques impies, loin de l’amoindrir, ne firent, au contraire, que lui donner un nouveau regain de popularité.
Petit Quinquin grandissait toujours en succès et en gloire à mesure qu’il croissait en âge. Les Commerçants le prirent bientôt pour sujet de leur réclame ; un fabricant de pipes d’Arras donna son nom à un modèle de Bouffarde à figure de poupart. Un fabricant de faïence de Sarreguemines illustra des assiettes ayant pour image le portrait de Petit Quinquin. Un éditeur de Paris publia des chromos en l’honneur de Petit Quinquin. Un marchand de bleu et de mine de plomb, une usine de fils retors de Lille et une fabrique de chicorée de St-Saulve firent tirer à plusieurs milliers d’exemplaires des Etiquettes coloriées représentant Petit Quinquin. Un fabricant de pain d’épices de Lille, moula des carrés et des queuches avec des dessins en bosse à l’effigie de Petit Quinquin !
Enfin, un cabaret, rue des Etaques, presque à côté de la Cour à l’Eau, prit pour enseigne : Au Petit Quinquin !
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Au Cabaret du Petit Quinquin, On est sûr d’enfoncer le chagrin. |
Quinquin par ci, Quinquin par là, Quinquin était le héros de tous les concerts et de toutes les fêtes, le boute-entrain de toutes les réunions ; on l’applaudit en Russie, il figura sur un programme hollandais de Rotterdam. Maintes chansons furent faites sur lui et chantées dans les Eldorados et les Alcazars, et son nom fut donné en baptême à des yoles de sport nautique, ainsi qu’à des ballons. Il inspira des Strophes aux doctes Lyriques, les écrivains ne dédaignèrent pas de le citer dans leurs romans et les orphéons et les philarmonies, dans les festivals et les concours internationaux, proclamèrent partout le triomphe de Petit Quinquin.
Petit Quinqufn a vingt et un ans d’âge, n’avait encore couru que la prétentaine et s’était gaussé de l’amour et du mariage, mais...
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Quand il a nncontré Cath’rine, Aussitôt sin cœur a palpité, i sa déclaré, Veyant s’ biell mine, cheull’ bonn’ fillett’ n’a point résisté, brav’s infants dins leur ménache, pleins d’amour et pleins d’ corache, i n’s'ront point lambins à nous donner des p’tits pouchins. |
Quinquin se maria donc comme il est enregistré authentiquement dans le volume des pasquilles lilloises de Maître Derousseaux. La noce eut lieu, ajouterai-je, au cabaret du petit Quinquin. Le menu fut succulent et pas cher, on y mangea des grillades, des coulons rôtis, du gambon et du flan ! inutile de dire que l’on dansa. Il y avait là tous les chochons amis et connaissances, César Fiqueux, Manicour, Bâtisse l’Uzot, Minique l’Arlequin, avec l’habit de son vieux grand’père, le cousin Myrtil, Marie Gripette, Grosse Rougette et Mimi l’Amour. Lillos-trompette apporta son piston, Litin l’tapin son tambour, Petit Riquiqui tira sous la table, pendant la danse du savetier, la jarretière aurore de Catherine et l’on but et l’on rit tant que c’en fut une bénédiction !
Désormais, plein de gloire, heureux en ménage, Quinquin vit toujours, il vit et vivra longtemps encore, certes, aucun de ses concitoyens ne peut le renier. N’est-il pas le poussin du Nord, l’enfant de Lille ? et sa chanson à lui est notre chant natal, elle est pour les gens de St-Sauveur, avec son rythme franc et sa verve patoise, ce qu’est, dans un autre genre, le Ranz des Vaches pour les Suisses et lorsque voyageant, les Lillois l’entendent retentir là-bas sur les terres lointaines, leur cœur palpite et chante au souvenir de leur ville et de leur pays!
Oui, Petit Quinquin vivra longtemps encore, car, populaire comme Gayant et Mannekin-pis, il a pour lui la gaieté naïve et le rire éternel et l’on peut dire, avec son frère, le-Chansonnier Desrousseaux :
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Tant qu’on s’amusera, qu’on s’ trémoussera, qu'on rigolera, et tant que Lill’ dur’ra, De Quinquin, on parlera ! |
Alphonse Capon (article publié en 1919)
monument au Square Jussieu à Lille
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