ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | ALEXANDRE DESROUSSEAUX (1820-1892)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alexandre Desrousseaux
Né à Lille, le chansonnier du Nord, le barde aimé du peuple, ainsi nommé par un chroniqueur dans une notice biographique, un poète doublé d’un musicien. Desrousseaux a publié ses œuvres poétiques et musicales en plusieurs volumes ; il a fait paraitre pendant plusieurs années des Almanachs Chantants, un album de mélodie, etc.
La plupart de nos meilleures revues et les journaux français et étrangers ont consacré à notre chansonnier des articles des plus élogieux. Sa biographie a paru dans l’Encyclopédie du XIXe siècle, de pierre Larousse, le Dictionnaire des Contemporains de Vapereau, etc.
Desrousseaux jouit d’une immense popularité. En 1864, l’Académie des Sciences de Lille lui a décerné une médaille d’or.


publié dans le journal Le Diable Rose (1872)

 

Il est principalement connu pour L'Canchon Dormoire, une chanson plus connue sous le titre : Le P'tit Quinquin

 

 

 

Desrousseaux chantant Le P'tit Quinquin dans un salon lillois

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un article publié en 1890 :

 

Un jour, c’était je crois pendant le carnaval de 1837, des jeunes gens montèrent en fiacre et s’établirent sur une place publique. L’un d’eux se mit à débiter une joyeuse chanson intitulée : Le spectacle gratis. Il y racontait, dans le vieux style, les malheurs d'un ouvrier et de sa compagne à une représentation populaire. C’était gai et piquant. On applaudit, on acheta la chanson, et aujourd’hui tout le monde la sait, si bien qu’on la croyait d’une antiquité reculée, quand l’auteur publia un recueil où il reprenait possession de cette première œuvre. Le succès de Desrousseaux, c’est le nom du poète, qui n’a pas cessé depuis cette époque de composer, a été complet ; le peuple chante ses vers, les gens du monde veulent les entendre, et la critique les attaque de temps en temps. Dans ses œuvres, expression fidèle de la vie familière, chacun trouve quelque chose pour soi-même. La vieille, qui passe le temps à se souvenir, chante les Amours de Jeannette et de Girotte :

 

Ah t qu’il étot biau, min Girotte,

Avec ses bas d’soie et s’ culotte;

Avecque s’n habit d'bouracan,

Et sin jabo' à tros volants...

Mettant sin capiau à la craine

Ch’étot point d’chés homme’ à l’ douzaine.

Il arringeot si bien ses ch’feux

Qu'il avot dije-huit pouc’s de queue !

 

Les mères ont leur part : l’ Canchon dorrnoire est la plus jolie berceuse que je connaisse. Une pauvre dentellière chante en "amiclotant" son petit garçon qui pleure et ne veut pas dormir. Pour le décider, elle lui promet tout. S’il la laisse travailler et faire une bonne semaine, elle ira dégager son beau sarrau, son pantalon de drap, son gilet de laine, puis les marionnettes le récompenseront, puis saint Nicolas, qui apporte des friandises...  Mais l’enfant pleure toujours. Saint Nicolas, ajoute-t-elle, arrive sur son baudet, et il apporte en même temps un martinet pour les enfants qui crient. Or, tout le monde sait les mœurs de saint Nicolas ; le petit garçon comprend et s’endort bien vite. Il faudrait citer cette chanson, mais elle ne peut être séparée de la musique, qui est composée par Desrousseaux lui-même avec beauconp de grâce. Le rythme est franc, la phrase souple, l’allure libre et populaire, en même temps que des notes délicates trahissent un sens musical très fin. Il faut entendre les petites filles chanter la Canchon dorrnoire dans les rues pauvres de la ville, à l'heure où l’école et la fabrique ont renvoyé chacun chez soi.

 

A un autre moment, à midi par exemple, ce ne sont plus des rondes enfantines, mais des troupes de conscrits qui font honneur aux airs de Desrousseaux. Le P'tit Violette est déjà tout défiguré à force d’avoir servi aux bruyantes promenades des jeunes soldats. S’ils ne savent pas tous la chanson, personne n’ignore le refrain; le plus lettré de la bande se charge des couplets. L’histoire est simple : Un enfant trouvé, sur les langes duquel était brodée une violette, devient le fils adoptif du quartier Saint-Sauveur. Il est beau, il est brave, il est gai; malheureusement, la conscription l’enlève à ses amis et Rosette. Mais, au retour, quelle fête, quels cris de joie! On improvise un immense cabaret en plein air pour recevoir le petit Violette. On chanteses louanges et on le marie. Voilà toute la pasquille; elle est faite de peu de chose, j’en conviens, si toutefois l’affection et le bonheur partagés sont peu de chose. Nos soldats l’ont portée dans toutes les garnisons et même sous les murs de Sébastopol ; la musique militaire s’en est emparée à son tour; en un mot, le petit Violette a fait tant de chemin qu’on le retrouvera quelque jour peut-être dans les chansons populaires de toute la France. D'autres morceaux ont eu une destinée semblable, par exemple le Baiser volé , dans lequel on raconte comment Nicolas s'est repenti d’avoir embrassé Thrinette. Ce nom de Nicolas a suffi pour donner naguère un à-propos guerrier au refrain : Ah! tu t'in souviendras, Nicolas !

 

Les vers de Desrousseaux n’avaient pas besoin de ces heureux hasards pour faire fortune. Le peuple devait adopter quand même des chansons composées avec une telle vérité d’observation qu’il s’y reconnaît tout d’abord. Aux deux précieuses qualités de Brùle-Maison, la gaieté et le naturel, Desrousseaux a joint une délicatesse étrangère avant lui à la pa'squille. Sans faire le peuple trop beau, sans lui ôter son amour du plaisir, du bruit, de la bière et des mots risqués, il a mis en œuvre le sentiment naturel du bien et du mal qui vit au fond de toutes les âmes, il l'a développé avec adresse, en le mêlant discrètement aux conversations joviales et aux grosses plaisanteries de ses personnages. Quelquefois même il a poussé l'émotion jusqu’à des nuances élégiaques qui sortent un peu du genre, comme dans Marie-Claire et dans le Bonheur du ménage. Où il a le mieux réussi à tempérer le ton populaire du récit par le sentiment moral, c’est dans Choisse et Thrinette, pasquille célèbre à Lille, dont la composition manque de netteté, mais qui rachète ce défaut par l’importance de l'idée. Deux femmes causent ensemble: l’une raconte comment on peut gagner de l'argent et avoir de beaux habits ; son moyen est de prêter à la petite semaine. L’autre s’indigne de cette révélation et rompt avec l’usurière. Telle est la donnée. Si l'on songe que de cette manière une leçon utile pénètre, sous la protection de la gaieté, au milieu d'une population ouvrière, on m’accordera que les chansons de Desrousseaux atteignent tout doucement le but que se proposent souvent en vain les écrivains moralistes. Parmi ces conseils indirects, il exprime aussi des regrets; les fêtes populaires s’en vont : le Broquelet , la Braderie étaient les réjouissances bien légitimes des filtiers et des dentellières. Pourquoi tombent-elles en désuétude ?

 

Sous ce rapport, les Chansons de Desrousseaux retraceront aux Lillois du XXe siècle les coutumes et les mœurs de leurs pères, plutôt qu’elles ne réussiront à prolonger des usages déjà à moitié oubliés. Mais c’est encore un caractère de son recueil que cette peinture même de la vie lilloise : physionomies. mœurs, coutumes, langages, état social, vieux souvenirs et anecdotes locales, tout s'y retrouvera un jour, depuis le nom de Jeanne Maillotte la Jeanne Hachette du pays, jusqu’à celui de l'homme bleu.

 

Ainsi, dans une centaine d’années, les chansons de Desrousseaux pourront bien être feuilletées curieusement par l’historien du pays, tandis que les petites filles en répéteront les couplets dans tous les faubourgs de la ville.

 

Emile Chasles.

 

 

 

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voir également :

Le P'tit Quinquin

L'ptite histoire du P'tit Quinquin

 

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