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Un poète (1) de là-bas a conté cette banale et naïve histoire en mots très simples, cueillis dans le parler même du faubourg lillois.
Dans un jardin, au cœur de la ville, au pied de son buste érigé sous les arbres, l'image d'une dentellière du Nord berce un "quinquin" en chantant.
Et rien, peut-être, n'a mieux conquis les cœurs prompts à s'émouvoir, que la "canchon dormoire", que la tendre et naïve berceuse devenue populaire au pays du charbon et du lin, depuis la mer grise jusqu'aux villes enfumées.
Elle est, là-bas, l'hymne des humbles bonheurs qu'illumine un sourire d'enfant.

La rue était étroite et courte, avec de hautes maisons sombres. Les boutiques, elles-mêmes, étaient sans gaieté et, le soir, ne projetaient sur le pavé toujours humide que des reflets avares.
Au carrefour voisin, passait de temps en temps un petit tramway vert qui avait l'air de danse sur ses roues. La zone nue des anciens remparts, au gazon rare et pelé, interrompait un instant la perspective. Lorsque le regard passait outre, il retrouvait d'autres maisons hautes et sombres et la coulée d'autres rues, des rues des faubourgs.
Des cheminées d'usines enfumaient ce quartier de Lille et le fracas sans cesse renouvelé des trains dénonçait la gare proche. Une rumeur confuse montait tout le jour et se taisait à peine la nuit.
Le soir, le ciel s'illuminait vers el centre de la ville, du côté des places parées des décors de féerie et d'avenues animées et sonores. Un grand reflet rouge, né des feux de mille enseignes et de mille lampadaires, montait au-dessus des toitures inégales et faisait songer à quelque incendie géant.
Le petiot jour, dans la pauvre rue, semblait plus blafard et plus livide qu'ailleurs, - plus froid aussi.
A la première heure, l'homme s'en allait vers la gare. C'est par centaines que d'autres partaient comme lui, par les trains de l'aube, appelés par le travail vers d'industrielles banlieues. C'était un "noir" (2) - comme on les appelle - un de ceux qui peinent courageusement dans les usines de Fives, de La Madeleine ou de Saint-André.
Il acceptait l'obligation de son rude labeur avec une sorte de philosophie un peu fataliste, habitué dès l'enfance à ne connaître de la vie familiale que les heures du soir où l'on est si las et que les dimanches où il fait bon être libre.
Chaque matin, il retrouvait les mêmes compagnons et les mêmes visages, et faisait à peu de choses près les mêmes gestes. De loin, le grand Smeesters le hélait parmi la foule silencieuse et encore un peu ensommeillée :
Par ici Delebeque ! Tin Narcisse t'a laissé dormir, cette nuit ?
Et Delebeque, rajustant à son épaule la courroie de sa musette de toile, répondait invariablement :
- Sais-tu quoi, Smeesters ? M' femme a' core dû lui redire sa "canchon dormoire". (3)
Tout le quartier la connaissait, sa "canchon dormoire". Tout le quartier et les gens du wagon et aussi tous ceux où travaillait Delebeque !
C'était une berceuse naïve que sa femme, quelque jour, avait d^entendre nul ne savait où, - à moins qu'elle ne l'eût cueillie au fond obscur de son âme maternelle et simple :

Dors, min p'tit Quinquin,
Min p'tit pouchin
Min gros rojin !
Te m'feras du chagrin
Si te n'dors pas j'qu'à d'main...


Delebeque l'avait tant entendue que, machinalement, au rythme du train, au rythme de son travail et de sa vie, il chantonnait sans cesse le pauvre refrain qui, au long du jour, de l'aube pâle au crépuscule, le rattachait à sa femme et à l'enfant demeurés à l'humble logis.

Charles Brisson - Dors, min p'tit Quinquin

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1 - Alexandre Desrousseaux

2 - un noir : un ouvrier métallurgiste
3 - Canchon dormoire : patois de Lille, chanson pour endormir les enfants, berceuse

 

 

 

 

 

quinquin

 

Publicité pour le chocolat Delespaul-Havez, fabrication dans le Nord, avec le P'tit Quinquin qui avait grandit.

 

 

 

 

à lire également :

L' ptite histoire du P'tit Quinquin

La biographie du P'tit Quinquin

 

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Au P'tit Quinquin, c'était aussi une marque de laine - magasin situé au 35, rue de l'Hôpital Militaire à Lille (publicité de 1931)

 

 

autre publicité de 1932

 

 

et une autre publicité de 1933

 

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