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Parmi les joyeuses heures de ces jours de Noël, ce maître du mystère et de la libéralité des cheminées, une évocation touchante, hommage à la poésie douce des légendes religieuses, charme les adultes en éblouissant les "tout-petits". Je veux parler du rappel annuel de l'événement de Bethléem, par des crèches peuplées de multiples personnages : les santons.
La crèche a été et restera un objet d'adoration chrétienne. Son symbolisme combla certaines aspirations religieuses des fidèles de Thébaïde. Au septième siècle, Rome reçut, dans la basilique libérienne de Sainte-Marie Majeure, la crèche de la grotte de Bethléem. Elle y fut conservée dans un reliquaire d'argent, qui, aujourd'hui encore, la livre à l'admiration des croyants aux environs du 25 décembre. Mais l'animateur de ce pieux souvenir fut saint François d'Assise qui, avec l'autorisation du pape Honorius, fit dresser et inaugurer le 24 décembre 1223, dans la vallée de Graccia, une longue et chétive es table, que la longueur et l'injure du temps avaient tellement ruinée, qu'elle n'avait plus. que la moitié du couvert, ses ornements consistaient en un ingénieux mélange de papier, de mousse et de paille. Quantité de cierges et de lampes éclairaient ce lieu, et les figures de bois (qui représentaient le saint enfant Jésus, la sainte Vierge, sa mère, et son père, le bienheureux saint Joseph) étaient posées près d'un âne et d'un bœuf, qu'il y avait fait conduire, avec de la paille ou du foin pour leur nourriture", écrit le père Marchetti.
Depuis ce treizième siècle, rien n'est changé dans l'émouvante coutume. La piété des hommes éternellement demeure, faite des mêmes tendances et des mêmes besoins. Et malgré l'existence de ces crèches et de ces santons au charme suranné, nous verrons encore le frêle décor d'une étable en ruines, s'ouvrant sur un paysage accidenté, fait de carton, de papier peint, de mousse, de liège, sous la voûte d'un firmament étoilé. Le blond et rose Enfant-roi occupera le devant de la scène, entre le bœuf et l'âne, près de la sainte Vierge et de saint Joseph, non loin des rois mages, de leur suite et de la foule des paysans. Puis, dans les vitrines des marchands d'orfèvrerie religieuse, ou dans les magasins de jouets, de nombreux petits personnages de cire ou de bois attendront leur destin : frapper l'imagination ou la foi naïve des enfants et des simples, dans la modeste église de campagne ou dans la belle cathédrale, sous l'humble toit de la chaumière, ou sous celui de la plus riche maison.
En Provence, ce monde de pygmées, figurants empruntés à la religion ou à la vie réelle, les santouns ou santous connaîtront une vogue plus grande, mêlée à la joie et à l'adoration populaires.
Les santouns sont une industrie marseillaise. Ce sont de puériles statuettes d'argile, peinturlurées de couleurs vives, œuvres d'humbles artisans qui, le soir, dans l'atmosphère familiale du logis se livrent à leur fabrication en suivant une tradition transmise de pères en fils. Les santonniers utilisent les "moules" légués de générations en générations, et cette exécution serait absolument invariable si l'actualité, créant de nouveaux goûts, n'avait engendré de nouveaux modèles. Ces effigies charmantes partiront du seuil qui les a vu naître pour être groupées et vendues dans les baraques du cours Belzunce ou des allées de Meilhan (foire aux santouns), avec toute la faune de la crèche : moutons, pigeons, chameaux, girafes, lions, éléphants, etc. Et ce sera la dispersion inéluctable de ces charmantes petites figurines à travers la France et le monde. Bergers bohémiens, chasseurs, poissonniers, portant des paniers pleins de "fruits de mer ". Etonné (le ravi), bons vieillards à la barbe chenue, rémouleurs (remoulaïre), coquettes marchandes de fraises, vieux Marseillais confectionnant inlassablement "l'aïoli", ou "celui qui lit son journal à l'envers", pêcheurs (pescadou), meuniers, marchands d'oranges, "rétameurs", maires de village, paysans et paysannes, joyeux tambourinaires, tout un fragile peuple, plaisant par sa variété, son esprit et la naïveté de son interprétation. Certains "santouns", d'ailleurs, sont conservés dans des collections particulières. Entre autres. celle de M. Henry Clouzot, le distingué conservateur du musée Galliera, à qui ce sujet a suggéré de remarquables pages, lyriques ou documentaires, mises aimablement à notre disposition. Celles de M. C., à Aix (où se trouve, entre autres, un joli "santoun" en faïence d'Apt) et du Musée décoratif du Pavillon de Marsan (avec la gracieuse "santoune" en costume et bonnet comtadins de 1750, offerte par M. François Carnot).
Bien qu'un Marseillais écrive "que c'était un capucin de Marseille, sculpteur de son état, qui, le premier, eut l'idée de faire des personnages de petites dimensions, imitant ceux de la crèche de son couvent, à l'usage du peuple au XVIe siècle", il ne semble pas que les céramistes aient fabriqué beaucoup de santons.
Tout ce monde en miniature et les crèches avaient connu, au XVIIe siècle, une énorme faveur dont le XVIIIe siècle fut l'apogée. Il y avait même des crèches mécanisées où ficelles et manivelles manœuvraient les figurines de façon amusante.
Pour nous, aujourd'hui, nous ne pouvons deviner l'enchantement de ces évocations passées que dans la contemplation des collections de musées. La plus vaste est celle du musée de Munich. Le musée de Cluny possède deux crèches napolitaines du XVIIIe siècle et les musées du vieux Marseille, le Museon Arlaten et des collections privées, gardent jalousement de précieuses crèches provençales des XVIIe et XVIIIe siècles.
Quelles qu'elles soient, humbles ou riches, depuis des siècles, et pendant bien des millénaires encore, les crèches et santons seront pour l'humanité une source de foi et de joie, faite du puissant et invincible attrait du "naïf", du surprenant et du "merveilleux".
texte d'Anne Fouqueray publié en 1933
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