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Sans doute, le Bonhomme Noël, là-haut, en était-il encore au stade des préparatifs de sa fantastique tournée, quand l'idée m'est venue de « descendre » à Aubagne. C'est seulement à trois ou quatre lieues de Marseille, Aubagne. Oui, j'allais voir si les troupes de santons étaient bientôt prêtes pour la grande parade  de fin d'année
Jadis, cette plaisante cité provençale - M. Alphonse Daudet nous l'a dit – était le rendez-vous joyeux des magnanarelles (1) et des cigales. Et tout ce joli monde chantait, chantait, ébloui de lumière, étourdi de soleil, enivré de ciel bleu. Depuis longtemps, il n'y a plus de magnanarelles. Affligées de se voir préférer la pratique des chimistes, elles .sont parties pour les Saintes-Maries, comme Mireille, et elles n'en sont jamais revenues. Maintenant, Aubagne, c'est la capitale des santons.
Ils sont, dans la localité, une bonne trentaine de santouniés (2) qui produisent ces aimables figurines de terre dont on pare les crèches de Provence, également  les crèches d'autres régions, et même de l'étranger. C'est chez le doyen des santouniés que je suis attendu pour passer la veillée...

 

Terre glaise et colle forte

Le vieux Cadet Barbaroux, maître ès santons, joueur de fifre à l'occasion, barbuc omme feu Tristan Bernard, m'a accueilli, tout guilleret, en son atelier.
- Alorsse, c'est vous, mon bon monsieur, c'est vous qui êtes dans les journaux? Ainsi, "ils" veulent savoir, là-bas, comment on fait les santons ? Mon pôvre monsieur, vous vous êtes donné bien de la peine !... Ho ! Zize, ho ! Apporte le vin chaud !

Ça sentait la terre glaise, la colle forte et la peinture fraîche. Il y avait sur la table, sur la cheminée, sur l'armoire, sur les étagères, à terre, jusque dans les recoins, des cortèges entiers de santons multicolores, prêts à partir en campagne - une campagne pacifique, humaine, qui commença à Bethléem, par une nuit calme et sereine comme celle-ci, et qui se poursuit à travers les siècles et les siècles, pour les grandes causes de l'Amour et de la Paix.

Ah ! si vous l'aviez vu, au long de la veillée, le vieux Cadet ! Si vous l'aviez vu pétrir la belle argile grise et fine d'Aubagne, cette argile de Noël que l'on utilise depuis plus de deux cents ans, au pays de Mistral !
Ses doigts noueux et habiles distribuent la pâte de terre dans des moules de toutes formes, en plâtre,  en fer-blanc ; les uns, longs comme des concombres de Plan-de-Cuque ; les autres, pas plus gros qu'un grillon. Ensuite, les moules remplis, c'est Zize, la femme, qui les prend en charge, les met au four et en surveille la bonne cuisson.

 

 

 

Il n'y a qu'un Noël par an !
Au corps-brut du santon cuit, Cadet ajoute, avec une virtuosité étonnante, les bras, les coiffures, les accessoires vestimentaires, les attributs caractéristiques du personnage. Une larme de colle par-ci, une larme par-là, quelques coups de pinceau, et voilà la figurine parée pour aller tenir son rôle dans ia crèche. Après l'Enfant Jésus, rose, grassouillet, étendant ses petits bras, j'ai vu apparaître successivement les témoins de la Nativité : Marie, Joseph, les Rois Mages tout bardés d'ors, les .anges aux ailes déployées, les bergers accourus de la montagne, en leurs amples manteaux de bure ; puis le .bœuf débonnaire, l'âne résigné, les moutons et les agneaux. Et aussi tout le petit monde de la vie quotidienne : le paysan, le meunier, la fileuse, l'ange Bouffarèo, lou pescadou, l’amoulaïre (rémouleur), Iou cassaïre (le chasseur), le tambourinaire, le boumian (gitan), le boulanger, la marchande de poissons, la lavandière, lou fada, etc.

- Mais, dites-moi, maître Barbaroux, vous allez faire fortune, pour sûr !
- Oh ! que non, peuchère ! Il n'y a qu'un Noël par an ! Et je ne suis qu'un humble artisan provençal, comme l’étaient mes ancêtres qui m'ont légué leurs modèles et leurs secrets de fabrication.

- Les santons sont en grande mode depuis quelques lustres. Arrivez-vous  à satisfaire les demandes ?
- Ça oui ! Il le faut bien, bonne Mère ! Voyez, tout ce lot-ci va partir pour la chapelle de la Charité, à Aix, que je fournis depuis plus d'un demi-siècle... Celui-là, c'est pour la vieille église de Saint-Vincent, aux Baux... A propos, vous savez, la messe de minuit aux Baux,  c'est peut-être la plus belle de toutes... J'en ai aussi pour les églises de Saint-Rémy, d'Arles, d'Eyguières. Ce qui me reste, je l'emporte à Marseille, à la grande Foire, aux santons, sur les anciennes allées de Meilhan.


Il se fait tard.
- Encore un verre de vin cuit ? La nuit est fraiche !
Nous avons trinqué cordialement, au-dessus de la foule compacte, hétérogène et bigarrée des santons. Et lorsque l'ampoule électrique s'est allumée, dehors, les Rois Mages, tournés par hasard vers la lumière, semblaient avoir découvert, dans le puissant scintillement, le signal tant attendu du départ pour la sublime et éternelle épopée.

 

Carlos d'Aguila (publié dans un quotidien suisse – décembre 1965)

 

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1 - femme s'occupant de l'élevage du ver à soie.

2 - santonnier en provençal

 

 

 

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