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couverture du magazine Regards du 14 juillet 1945
LA FETE NATIONALE APRES 1789
Ce qui différencie les fêtes de la Révolution de celles de l'ancien régime c'est l'esprit qui les anime, c'est surtout !e fait que le peuple en est devenu l'acteur. "Les têtes nationales, affirmait David, sont instituées pour le peuple ; il convient donc qu'il y participe d'un commun accord et qu'il y joue le. premier rôle."
14 JUILLET 1790 - FETE DE LA FEDERATION NATIONALE
C'est la première grande fête qui ait eu lieu après la prise de la Bastille. La commémoration du soulèvement populaire du 14 juillet 1789 avisit déjà eu lieu le 30 mai 1790 à Lyon, puis le 6 juin, à Lille. Des fêtes grandioses se préparaient à Paris pour le 14 juillet. "L'Autel de la Patrie est dressé devant l'Ecole militaire, au milieu d'un cirque elliptique dessiné par les arbres ; trente gradins forment l'amphithéâtre. L'entrée du cirque est marquée par un arc de triomphe dorique à trois portes auxquelles on accédait par une large chaussée établie pour la circonstance." Ce fut un travail considérable et le 12 juillet la foule considérant que les travaux n'étaient pas suffisamment avancés, se mit à l'ouvrage, aidée des bataillons de la Garde Nationale, des femmes, des prêtres, des fédérés, des chartreux, des charbonniers, des maçons, des serruriers, des imprimeurs, des forts de la Halle, etc.
Tous se faisaient un point d'honneur de prendre part au travail. Dans cet immense chantier l'enthousiasme était général, tout le monde fraternisait et, sous une pluie battante qui dura deux jours, s'encourageait en chantant.
Le "Ça ira". — C'est alors que le peuple adopta la musique d'une contredanse connue à l'époque sous le titre de Carillon national et y adapta des paroles pour La circonstance. Le fameux "Ça ira" était né. Les paroles disaient toute la confiance et la joie du peuple de Paris de pouvoir fêter dignement la conquête de sa liberté.
Enfin, tout est prêt à temps et le 14 juillet, dès six heures du matin, le cortège se met en marche : c'est d'abord les gardes nationaux avec musique en tête, puis les 120 députés de la Commune, les représentants des corps militaires nationaux et étrangers et les représentants des 83 départements. La cérémonie se termina par la prestation de serment. Les représentants des différentes provinces dansèrent les pas de leur pays : bourrées, farandoles, etc., devant les Parisiens enthousiastes.
14 JUILLET 1791
La fête nationa le fut organisée cette année-là sur l'initiative de la Société des Minimes, Société Fraternelle des Patriotes de l'un et de l'autre sexe, sur l'emplacement de la Bastille.
14 JUILLET 1801
(18 Brumaire. An X). Après les campagnes napoléoniennes, les fêtes traditionnelles du 14 juillet revêtirent à nouveau un caractère grandiose. Entre le pont de la Concorde et le pont des Tuileries un vaste édifice s'élève au milieu du fleuve : c'est le temple du Commerce. De chaque côté se trouvent le temple de la Paix et celui des Beaux-Arts. Sur la place de la Concorde un grand théâtre, érigé pour la circonstance, présente une grande pantomime allégorique. Un journal de l'époque décrit ainsi le spectacle :
"Toutes les nations sont armées les unes contre les autres", dit le programme de la fête.
" Sur la scène ont lieu des évolutions militaires, des assauts, des marches et des combats. Un tableau montre les malheurs de la guerre. Puis les malheurs cessent, le canon se tait. — Les constructions militaires qui décoraient le fond du théâtre se sont écroulées — Le jour plus doux qui éclaire la scène laisse voir le temple de la Paix, celui des Beaux-Arts et celui du Commerce. Les acteurs chantent alors l'Hymne à la Paix. Puis un ballet formé de toutes les nations réconciliées termine la pantomime."
Ensuite on tira un immense feu d'artifice et l'on dansa dans tout Paris le reste de la nuit. »
NAISSANCE DE LA MARSEILLAISE
Le fameux "Ça ira" de 1790 fut adopté par toutes les musiques militaires et fut joué, entre autres sur le champ de bataille de Valmy. Mais le 25 avril 1793, à Strasbourg, le maire Diétrich demande à Rouget de l'Isle de composer un chant plus digne d'être le chant de la nation française, et le sublime cri d'angoisse et d'élan patriotique qui surgit dans la nuit suivante devait nécessairement éteindre les sons grêles de la petite contredanse parisienne promue pour un temps à la dignité d'hymne national. Le compositeur Gossec nous donna ensuite le Chant du 14 juillet, une admirable inspiration qu'on peut nommer avec raison le une "seconde Marseillaise". La Marseillaise est un chant d'action, le Chant du 14 juillet, un chant d'amour, l'amour de l'humanité, celui que chantent en mourant les patriotes de France.
Les délégués des Provinces françaises apportent une note pittoresque à la première célébration de la prise de la Bastille (du film La Marseillaise).
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La prise de la Bastille (14 juillet 1789)
RÉJOUISSANCES D'HIER ET D'AUTREFOIS
Gais et contents,
Nous marchions triomphants,
En allant à Longchamp,
Le cœur à l'aise,
Sans hésiter,
Car nous allions fêter,
Voir et complimenter
L'armée française.
Ce vieux et entraînant refrain qui fut, il y à un demi-siècle, un des triomphes de Paulus à l'Alcazar d'Eté, les jeunes ne le connaissent plus guère. Ce n'est plus à Longchamp, mais aux Champs-Elysées qu'ils vont assister au défilé des troupes. Car la revue s'est simplifiée, sans pour cela cesser d'être une des attractions de ce grand jour qui demeure, avec ses traditionnelles réjouissances : bals publics, illuminations, bouquets de feu sur le ciel sombre, la plus populaire de nos fêtes.
D'un bout à l'autre de la France, et jusque dans nos plus lointaines colonies, voici que la Fête Nationale redonne son signal d'immense allégresse. A Belleville comme sur la Canebière, au Havre comme à Casablanca, au pied de la butte Montmartre comme autour des "mornes" antillais, les lampions s'allument, les girandoles brillent, les orchestres en plein vent se déchaînent.
Aux accords de leurs airs nouveaux, évoquons les polkas de naguère, retrouvons, en flânant à travers le passé, les petits et les grands souvenirs de quelques 14 Juillet mémorables.
Une journée symbolique
Et d'abord, du premier de tous : celui où le peuple prit la Bastille, au début de la Révolution française. L'avant-veille, un dimanche, lè jour même où, dans Paris affolé, s'était répandu la nouvelle du maladroit renvoi de Necker, un jeune avocat au Parlement, Camille Desmoulins, avait, un pistolet en main, assemblé la foule au Palais-Royal, pour un vibrant appel aux armes. L'agitation, dès lors, avait été croissant. Ce fut, comme l'a dit Taine, "l'anarchie spontanée".
Le 14 juillet, au point du jour, sans aucun plan concerté, une forte colonne de manifestants, où il y avait de tout, des bourgeois, des ouvriers, des gardes-françaises, des femmes, des enfants, se porta vers la Bastille qui abritait un dépôt d'armes. La vieille forteresse, aux yeux de ces insurgés, représentait le despotisme, les abus du pouvoir absolu. Sur ses cachots, ses oubliettes, ses prisonniers, des bruits sinistres couraient, dont beaucoup n'étaient que légendes. En fallait-il plus pour que l'attroupement grossît à vue d oeil ?
Les 82 Invalides et les 32 Suisses qui formaient la garnison du château-fort devenu prison d'Etat n'étaient pas de taille,, sans renforts, à tenir tête à cette cohue vociférante.
Un bref combat suffit à livrer la place aux assaillants. Les prisonniers mis en liberté, le gouverneur de Launay massacré, tout fut fini.
Dès le lendemain, la démolition de la Bastille était ordonnée. Dans le "Journal" manuscrit que tenait Louis XVI, on trouve, à la date de ce mardi 14 juillet, ce simple mot: "Rien." Et sans doute faut-il en conclure que le roi n'avait pas tout de suite reçu à Versailles la nouvelle des événements. Mais il reste que ces heures d'émeute n'eussent été qu'une courte alerte. Une petite victoire populaire, si l'envahissement de la mystérieuse forteresse n'avait tout de suite pris une valeur da symbole. On y vit là fin du "bon plaisir", le déclin du règne de l'arbitraire. Et c'est, en effet, une France nouvelle qui va fêter, l'année suivante, le premier anniversaire de cet assaut.
Où le ciel est aristocrate
La prise de la Bastille avait été une journée de troubles et de lutte. Sa commémoiation, le, 14 juillet 1790, fut, au contraire, une journée d'union. On y vit s'affirmer l'unité nationale, jusqu'alors irréalisée. Tant d'obstacles géographiques, de rivalités de races s'opposaient à cette fusion ! En groupant d'abord les bourgs et les cités, puis les provinces, voici que les jeunes fédérations viennent enfin de rendre possible cette fraternité. Cet anniversaire sera leur fête, la "Fête de la Fédération" où, suivant le mot de Michelet, "la France apparaît transfigurée dans la lumière de juillet". Lumière tout idéale, puisque le soleil boude ce jour-là. L'averse, les rafales d'eau et de vent font rage. "Le ciel est aristocrate !" risque un fédéré de belle humeur. N'importe : on tient bon, car le spectacle en vaut la peine.
Au Champ de Mars, 14.000 délégués sont là, venus de tous les points de la France. Et une foule immense les entoure : près de deux cent mille spectateurs. Toutes les classes ont eu part aux préparatifs de la fête. Des mains racées et plébéiennes ont contribué à dresser, parer cet "autel de la Patries où va officier, mître en tête, l'évêque cfAutun, Talleyrànd, assisté dè trois cents prêtas qui, sur leurs aubes blanches, portent des écharpes tricolores.
Dans une tribune aux sièges fleurdelysés, le roi et la reine ont pris place, entourés des représentants de l'Assemblée nationale. La messe terminée, La Fayette s'avance, dépose son épée sur l'autel. En sa qualité de chef de la Fédération, c'est à lui de prêter serment, le premier, à la Constitution. Il jure. Puis vient le tour du roi. Debout, de sa place, on le voit tendre le bras. Un formidable unisson de voix fait écho à sa formule solennelle. Et les vivats, les acclamations redoublent quand Marie-Antoinette, élevant son fils à bout de bras, le montre à cette foule délirante.
Le soir, dans Paris illuminé, on va danser sur l'emplacement de la Bastille détruite. Grande fête civique où tout un. peuple communie dans une même ferveur. Il faudra près de cent trente ans pour qu'un autre 14 juillet - celui de l'inoubliable, défilé de la Victoire - ressuscite une telle atmosphère.
14 juillet 1919 - Les Maréchaux en tête du défilé de la Victoire
Ici l'on danse
Tant d'années ont passé depuis la proclamation de la troisième République que la fête nationale, si attendue qu'elle soit, ne déchaîne plus le même élan que naguère. "Il en va du 14 juillet, écrivait déjà Francisque Sarcey il y a "cinquante ans, comme de toutes les choses de ce monde : elles s'usent par la répétition même. Je me souviendrai toujours de la première fois qu'il fut célébré à Paris. Quel universel enthousiasme ! Toutes les fenêtres, depuis l'entresol jusqu'aux derniers étages, étaient pavoisées de drapeaux tricolores; des arcs de triomphe dans toutes les rues, des arches de fleurs jetées de toutes les maisons aux maisons d'en face, si bien que l'on marchait sous des berceaux de verdure. Paris n'a plus cette parure-là. Mais n'empêche que ceux qui le fuient régulièrement avant le 14 juillet, pour le grand exode des vacances, y perdent maints spectacles savoureux.
Et d'abord le plus traditionnel de tous : les bals publics, qui commencent dès la veille. Il fut un temps où les danseurs avaient leurs emplacements de choix : la place de la Bourse, par exemple, dont le pavage en bois se prêtait mieux que le pavé, alors dominant, aux évolutions des fervents de la polka et du quadrille. Aujourd'hui, on danse partout. Pas de petite place, de carrefour qui, entre des mâts pavoisés et enguirlandés, n'ait son estrade en plein vent. Le velours rouge à crépines d'or de naguère y est parfois remplacé par une décoration moins coûteuse, le jazz fait tort à la "Valse bleue"; mais le même entrain anime les couples. Les terrasses des cafés ou des bistrots voisins regorgent de consommateurs. Et ce ne sont pas les seuls établissements qui fassent recette, s'il faut en croire cette pancarte de 1884: "Les chalets de nécessité, resteront ouverts toute la nuit."
Les bals sont si nombreux, les orchestres si rapprochés parfois, que les danseurs de tango perçoivent l'écho d'un fox-trott proche. Il y a de moins en moins dans Paris de ces îlots où se groupaient les natifs d'une même province. Aussi est-il devenu rare d'entendre la musette auvergnate rythmer de ses sons aigus une bourrée joyeuse, ou le biniou grouper des Bretons exilés dans la capitale. Les "déracinés", dispersés, se sont mis au ton de Paris.
Hôtes de marque
On y a d'autant mieux le loisir de danser, à la veille du 14 juillet, qu'il n'est plus nécessaire de se lever à l'aube pour assister à la revue. Avant guerre, dès sept heures du matin, les tribunes étaient déjà au complet et l'accès en-était interdit aux retardataires. En 1913, où la revue avait été avancée d'une heure, on refusa l'entrée à quarante mille porteurs de cartes. Aujourd'hui, ce n'est pas ayant neuf heures qu'une salve d'artillerie, tirée du Mont Valérien, annonce l'arrivée du président de la République à la tribune (l'an dernier, celle-ci s'élevait aux Champs-Elysées, à l'angle de la rue de Presbourg).
Il n'est pas rare qu'un souverain étranger ou un hôte de marque assiste à la revue à côté du chef de l'Etat. En 1873, à Bagatelle (Longchamp ne fut adopté que plus tard), ce fut le shah de Perse, Nasser ed-Din, qui, en grand costume d'apparat, le cimeterre au côté, la taille encerclée d'une merveilleuse ceinture ornée de rubis et d'émeraudes et qui valait plus d'un million, prit place à la droite du maréchal de Mac Mahon, dans l'après-midi du 14 juillet. Car la revue eut lieu tout d'abord l'après-midi, ce qui, par les journées très chaudes, était pour les troupes une cause d'extrême fatigue.
En 1896, on se montre avec curiosité, assis entre le président Félix Faure et M. Méline, l'ambassadeur extraordinaire chinois, Li Hung Chang, arrivé à Paris la veille. Il porte une casaque bleue et un bonnet pourpre surmonté d'un bouton de cristal. Quand on lui demande ce qui l'a étonné le plus pendant son voyage en Europe, ce représentant du Céleste Empire répond avec malice en clignant des yeux: "C'est de m'y voir!"
Trois ans plus tard, les héros de la fête sont Marchand et sa mission, de retour de leur glorieuse campagne africaine, illustrée par l'occupation de Fachoda.
En 1903, Santos-Dumont évolue en dirigeable au-dessus du champ de manœuvres et salue au passage la tribune présidentielle d'une salve de vingt et un coups de pistolet.
Un des groupes les plus remarqués à Longchamp, en 1907, fut celui des trois cents Garibaldiens venus à Paris pour assister à l'inauguration de la statue de leur ancien chef. Groupés, en chemises rouges et képis galonnés de vert, autour du général Canzio, gendre de Garibaldi, ils s'intéressèrent, comme tous les spectateurs, aux évolutions du dirigeable Patrie, qui traversa le champ de courses assez bas pour qu'on entendît le ronflement de ses hélices.
En 1913, les souverains belges; que la guerre allait bientôt rendre chez nous si populaires, assistent à la revue avec le président Fallières.
Entre tous les hôtes que la revue de Longchamp vit à la place d'honneur en ces dernières années, citons l'empereur d'Annam, qui apparut en costume de soie brodé d'or, le sultan du Maroc, le roi Carol de Roumanie.
Sans compter, en 1922, vingt-cinq grands chefs de l'A. O. F., dont les burnous éclatants firent sensation.
Bal d'avant-guerre : les costumes ont changé, mais l'entrain reste le même.
Reprêsentation gratuite à l'Opéra : les amateurs ne manquent pas.
La foule en fête
Au temps où la revue avait lieu de bon matin, il était amusant de voir la foule qui, avant 1900, ne connaissait pas le métro, prendre d'assaut omnibus, bateaux, trains de ceinture, quand elle n'emboîtait point le pas aux troupes en marche vers Longchamp, en s'arrêtant devant celles qui campaient dans les avenues du Bois, autour des fusils formés en faisceaux et des chevaux attachés aux arbres.
Pittoresque spectacle que celui des soldats en pantalon rouge groupés sur l'herbe pour la popote, des officiers, le sabre traînant, les gants blancs passés dans la dragonne, qui mangeaient une tranche de viande froide autour de lit voiture de la cantinière du bataillon.
Sur l'hippodrome, les troupes se formaient sur trois rangs. En première ligne, les écoles militaires : Polytechnique en grande tenue, Saint-Cyr, avec ses chatoyants casoars, entourant son vénérable aumônier à la soutane constellée de croix, puis l'Ecole navale. Venaient ensuite la garde républicaine, l'infanterie, l'artillerie, passant au grand trot par batteries, la cavalerie, qui allait être le "clou" de l'impressionnante charge finale s'arrêtant juste au pied des tribunes. Quinze mille hommes en tout, dont le passage était salué d'acclamations.
Les bravos ne sont pas moins nourris depuis que la revue n'a plus lieu à Longchamp. Mais la foule a moins d'espace. Elle n'a plus, pour s'y jucher en grappes humaines, les baraques du pari mutuel, les innombrables arbres du Bois. Et elle s'en console en pensant que nos soldats y gagnent, que le 14 Juillet, avec son traditionnel quart de vin, n'est plus pour eux l'accablante journée de naguère.
Les "clous" de la revue
Chaque année ou presque, une curiosité nouvelle attire, au cours de la revue, l'attention du public. En 1885, il n'a d'yeux que pour les bataillons scolaires. Un an plus tard, peu après l'inauguration du buste du sergent Bobillot, tué à Tuyan-Quan, ce sont les héros du Tonkin qu'on acclame, et surtout le général Boulanger montant "Tunis", le cheval noir qui va devenir légendaire.
Nouveau triomphe pour les soldats coloniaux en 1889. La foule ne se lasse pas, malgré l'averse, de contempler, sur l'esplanade des Invalides, la popote des tirailleurs tonkinois et annamites, des Sénégalais, des Cipayes, qui prennent part à la revue. L'année noire allait, d'ailleurs, être plus complètement encore à l'honneur le 14 juillet 1913, à la "Revue des quarante drapeaux" qui associa intimement nos armées métropolitaine et coloniale. Les cinq cent mille spectateurs qui se pressaient à Longchamp firent fête aux soldats indigènes, notamment au 1er régiment de tirailleurs sénégalais, dont le drapeau fut décoré par le président Poincaré. Lorsque, la revue finie, ils traversèrent Paris aux sons de leur "nouba", une immense foule leur fit escorte.
La badauderie trouve d'ailleurs, aux jours de fêtes nationales, de moindres occasions de s'exercer. C'est ainsi que le défilé des chiens sanitaires obtint grand succès en 1913, de même que, dix ans plus tôt, l'apparition de la nouvelle tenue mise à l'essai pour l'infanterie. La huitième compagnie du 289 d'infanterie, qui la présentait aux Parisiens, défila sous un uniforme de drap gris fer bleuté avec passepoils rouges, coiffée d'un feutre mou genre boer. Le pantalon serré en bas dans de courtes jambières, la vareuse à col souple donnaient aux fantassins un aspect inattendu, qui ne fut pas sans déconcerter quelque peu les spectateurs.
Un autre 14 juillet dont le souvenir mérite d'être rappelé, c'est celui de 1889. Le centenaire de la prise de la Bastille y fut brillamment célébré, tant par la translation des cendres de Carnot, de Marceau et de la Tour d'Auvergne au Panthéon, et par l'inauguration de la statue de Dalou : "Le Triomphe de la République" que par la revue, à laquelle nous avons déjà fait allusion. Dans les tribunes, des élégantes y assistaient en grandes capelines de dentelle paille, doublées de surah assorti et empanachées de plumes. Au Palais de l'Industrie, une ode triomphale d'Augusta Holmès fut chantée, devant vingt mille invités, par Mme Romi, personnifiant la République en peplum d'azur et bonnet phrygien. Et une rétrospective reconstituait, avenue de Suffren, la vie à la Bastille, entre autres l'évasion de Latude, qui devenait une scène de mélodrame jouée en plein air.
Peu après, eut lieu le banquet des Maires, qui groupa, au même Palais de l'Industrie, treize mille convives. Banquet monstre présidé par Sadi Carnot, et où s'alignèrent, sur cinquante-sept tables immenses, 52.000 verres et 25.000 fourchettes. Plus de mille personnes, cuisiniers, marmitons, maîtres d'hôtel, etc., furent mises au services de ces agapes pantagruéliques, où furent notamment consomniés 3.000 litres de bouillon, 3.000 kilos de poisson, 2.500 kilos de filets de bœuf, 1.800 bottes de radis, 800 canetons en pâtés, 20.000 bouteilles de vin et 4.000 bouteilles d'eau minérale.
l'envers de la revue de Longchamp
Feux de la rampe et gerbes de feu
Les bals, les festins, la revue, ce ne sont pas les seules attractions du 14 juillet. La fête ne serait pas complète si l'art ne se mettait de la partie, en offrant à la foule des représentations gratuites auxquelles le cinéma a fait quelque tort, mais qui n'en restent pas moins très courues.
Il fut un temps où la queue, à l'Opéra, surtout quand Faust figurait sur l'affiche, se formait dès minuit pour la matinée du lendemain. A grand renfort de manteaux et de pliants, les premiers arrivés s'installaient tant bien que mal pour l'interminable attente. Le jour venu, on déjeunait sur le pouce de pain, de fromage, de saucisson. Des vendeurs de victuailles circulaient. Dès les portes ouvertes, aujourd'hui encore, une ruée se précipite. Mais, plus avisés que naguère, les spectateurs ne courent plus, par habitude, vers l'amphithéâtre. Ils occupent d'abord l'orchestre et les loges.
A la Comédie-Française, toute la salle est debout pour entendre les strophes de la Marseillaise déclamées par Mmes Segond-Weber ou Delvair. L'hymne national fut rarement plus émouvant qu'avant la représentation d'Horace, le 14 juillet 1915, donnée devant nombre de jeunes soldats. Quarante-cinq ans auparavant, au début de l'autre guerre, Thérésa, reconnue dans la rue, avait dû le chanter boulevard Sébastopol, sur l'impériale d'un omnibus, devant une foule en délire.
Il y a aussi des matinées pour les enfants des écoles, des représentations dans les hôpitaux, des fêtes nautiques. Et enfin, le spectacle de la rue, dont la décoration n'aura jamais été plus brillante que cette année, à la veille du voyage retardé des souverains anglais.
Mais c'est à la nuit que le spectacle devient féerique. L'éclairage a progressé depuis le temps où l'on s'émerveillait, en 1883, des cent quatre-vingt mille becs de gaz dessinant en lignes de feu les contours du Trocadéro, des milliers de lanternes vénitiennes étincelant au Champ de Mars. Et, plus encore que les monuments illuminés par projections, les feux d'artifice des Buttes-Chaumont, du Pont Neuf, du Parc Montsouris, enthousiasment à présent les Parisiens. Les fusées, les soleils, les bouquets se succèdent d'un bout à l'autre de la capitale, et rien n'est plus beau que la silhouette de Notre-Dame de Paris se détachant sur le ciel, sous l'effet des projections et surtout des gerbes lumineuses qui semblent jaillir de son parvis même.
Une journée d'apothéose
Autant le 14 juillet de 1915, alors que l'armée du kronprinz attaquait dans la forêt d'Argonne, avait été assombri, en dépit de la belle cérémonie organisée pour le transfert aux Invalides des cendres de Rouget de l'isle, autant celui de 1919, un lundi, fut un jour triomphal où la France entière frémit d'enthousiasme. On ne se lassa pas d'acclamer les vainqueurs qui, comme l'écrivait ici même M. Pierre Rameil, avaient "renouvelé le miracle de la force vivante, de l'idée renversant les vieilles murailles" pour la délivrance de l'humanité.
La veille, Joffre, Foch, Pétain ont reçu solennement leurs épées d'honneur à l'Hôtel de Ville. C'est eux qui, l'heure arrivée, vont, immédiatement après les mutilés, prendre la tête du défilé, entre les délégations des armées alliées. La pluie de la veille a cessé, le soleil dore les arbres, les toits, les balcons de l'avenue des Champs-Elysées, tout chargés de grappes humaines. Le canon tonne, des fanfares éclatent, les tambours battent, cependant que des clameurs fusent. Formidable acclamation par laquelle quatre millions de spectateurs saluent au passage les drapeaux, les chefs, les soldats, tous ceux auxquels, suivant l'expression de Clemenceau, l'Arc de Triomphe offre "la magnificence de sa porte de gloire ".
Est-il possible, même quand n'intervient nul grand événement, de rajeunir le vieux thème des réjouissances du 14 juillet qui, depuis bien des années, est resté à peu près le même à Paris comme en province ? Gémier le croyait. Il rêvait d'organiser à Longchamp, avec son art de manier les foules, une grande solennité nationale où, canons tonnant, cloches sonnantes, l'une des premières places eût été pour les représentants en costumes des provinces meurtries par la guerre.
Mais le prestige de la Fête nationale en eût-il été accru ? Il tient surtout à l'unanimité des réjouissances, à l'élan avec lequel, d'un bout à l'autre de la France, le signal en est donné à la même heure. Il n'est pas jusqu'à nos ambassades à l'étranger où la colonie française ne s'associe à la commémoration, dea même que les Américains de Paris participent, le 4 juillet, à la célébration de Vlndependence Day!,
Auguste Filon a dit que si le Français est pessimiste au coin du feu, il ne l'est plus quand il se trouve mêlé à la foule, dans une communion d'allégresse. C'est une des forces de notre 14 Juillet que de nous rendre à tous, chaque année, cette bienfaisante contagion d'optimisme.
article de Charles Clerc publié en 1938
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