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Sur la Grand’Place, à six heures chaque soir, une foule nombreuse et amusée se presse à la triple grille du marché Saint-Nicolas, après la fermeture. C’est surtout depuis que les jours s’allongent que les curieux se plaisent à s’attarder là, car, lorsque la nuit d’hiver remplissait la voûte de la Grand’Garde, qui aurait osé stationner à l’entrée de ce mystérieux Palais des Ténèbres d’allure sinistre ?

Qu’y a-t-il donc de particulièrement attrayant sous ces portes ? Quel est l’objet de ces rires, qu’on entend fuser de temps à autre parmi l’assistance ? Est-ce le spectacle ridicule et pitoyable d’un ivrogne ? Un client du marché, ignorant l’heure de la fermeture, se serait-il laissé enfermer ? Ce ne sont pourtant pas les affiches multicolores qui attirent tant de monde? Alors? Un accident banal de la rue? L’audition de quelque chanson humoristique de goût populaire ?

Nullement. Approchons-nous : ce sont les rats.

A première vue, on n’aperçoit rien, entre les solides barreaux. Mais, quand l’œil s’habitue à fixer la masse d’ombre, on parvient à distinguer, sur le bitume sombre, les représentants de la gent rongeuse, qui se promènent, ou plutôt cherchent leur pâture quotidienne.

Justement, en voici un qui se risque de dessous une brouette. Il est d’assez belle taille, pour un rat ; on voit qu’il ne souffre guère de la vie chère, et l’ordre de "Crève Générale" lancé contre sa race ne semble pas devoir le toucher. Voyez son fin museau pointu qui rase le sol ; ses longues moustaches dansant autour de son nez, ses petits yeux vifs... Il a une tête si fine, et, — dirait-on --- si expressive qu’on le croirait volontiers échappé d’une fable de La Fontaine...

Mais il n’est pas seul. Derrière lui, dans l’ombre des piliers, s’agite et travaille toute une cité de rongeurs. En voilà un qui met toute son ardeur à traîner un trognon de chou ; un autre, assis sur son petit derrière, comme un chat, aiguise ses dents sur un vieil os ; enfin, rapide comme un éclair, en voici un qui traverse en courant un carré de lumière blanche projeté par un globe voltaïque.

Ils sont nombreux, les rats du Marché Saint- Nicolas. Il semble qu’ils se soient tous donné rendez-vous ici pour leur sabbat nocturne. Et, de fait, j’entends près de moi un poilu qui explique d’urne façon fort plausible comment ils se sont introduits dans la ville :

— Ce sont des réfugiés, dit le poilu. Ces sales bestioles-là, qui nous rongeaient au front, ont été obligées de déguerpir, sitôt qu’on eût comblé les tranchées et les trous d’obus ! Une petite dame peureuse et frissonnante sous sa fourrure d’hermine, se sauve bien vite à l’idée que l’une de ces vilaines bêtes pourrait la frôler de sa peau grise et rêche. Plus loin, un gosse lillois, qui tient bien sa place entre le "Keetje" bruxellois et le "Gavroche" parisien, lance cette observation :

— C’est-t’y pour qu’is ne s’sauvent point qu’on leur z’a mis c’te grille, comme à chell ménagerie ?

Enfin, Lille possède ce que nous convenons d’appeler un "Ratodrome", — en attendant, sans doute, sa nouvelle mairie, sa nouvelle gare, ses nouveaux quartiers... Les rats s’y habituent... Peut-être se domestiqueront-ils au point de venir, comme au Jardin des Plantes, manger des miettes de pain dans les mains des enfants ?

 

Jules Gallos.

 

article de 1919

 

 

 

Intérieur du Marché Saint-Nicolas – La Place Saint-Nicolas et l’entrée postérieure du Marché.

 

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à voir : LES CHIENS RATIERS  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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