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En 1944, la France entière était sous la botte de l'occupant. L'opinion restait partagée entre l'obéissance à Vichy et l'obéissance à Alger. La guerre des ondes troublait beaucoup de consciences. Or l'empire colonial s'était rallié au général de Gaulle qui, après le désastre de 1940, avait maintenu la France au combat. La Résistance intérieure recrutait des partisans sans cesse plus nombreux, malgré les représailles sanglantes et les massacres d'otages.
Les victoires remportées sur tous les fronts par les Alliés rendaient prévisible la défaite finale de l'Allemagne. En dépit des privations, en dépit des bombardements aériens, on vivait dans l'attente fiévreuse du débarquement et de la libération. C'était le but premier, audelà duquel on retrouvait l'espérance d'un monde pacifié sous l'égide des vainqueurs. D'où venait la certitude que le débarquement aurait lieu à l'été de 1944 ? Autant de la crainte de ne pouvoir tenir encore un hiver que du déroulement logique des opérations.
L'histoire telle qu'elle s'est faite jour après jour au cours de ces deux années cruciales, voilà ce qui est esquissé dans les différents textes du présent article qui a été publié en 1964, année du XXe anniversaire de la libération.
27 août 1944. — La descente des Champs-Élysées. On reconnaît le général de Gaulle.
I. - La France occupée Le prix de l'occupation
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Au début de 1944, les Français ressentent lourdement l'occupation de leur pays par les Allemands, qui dure depuis quatre ans. Avec les années, l'exploitation systématique de la France entreprise par les nazis s'est aggravée et les charges qu'elle fait peser deviennent insupportables.
D'abandon en abandon, le gouvernement de Vichy n'est plus qu'un paravent destiné à tromper l'opinion. Officiellement, il maintient le pays hors du gigantesque conflit qui s'est progressivement étendu aux dimensions de la planète, à quelques exceptions près. En réalité, contraint ou non, il subit la loi de Hitler.
La guerre ne saurait épargner des territoires transformés en réduits défensifs ou en plates-formes d'assaut contre les Alliés. Non seulement l'Allemagne parachève la construction d'un Mur de l'Atlantique et édifie un Mur de la Méditerranée, mais ses armées tiennent garnison en unités plus ou moins nombreuses selon les intentions du haut État-Major de la "Wehrmacht" qui a créé d'énormes dépôts de munitions, multiplié les camps d'aviation, installé des rampes de lancement pour les fusées à longue portée braquées sur l'Angleterre. En outre, il utilise par priorité les transports routiers et ferroviaires pour l'acheminement de ses troupes, de son matériel de guerre, de son ravitaillement et pour le transfert en Allemagne des denrées, de la maind'œuvre, des matières premières, des produits fabriqués qui permettent de soutenir l'effort de guerre allemand. Tout cela aux frais du vaincu, qui paie une indemnité journalière de plusieurs centaines de millions de francs. De plus, pour maintenir sa production industrielle sans créer des vides dans son armée, l'Allemagne fait travailler les prisonniers de guerre, lève des volontaires. Elle est aidée par le Service du Travail Obligatoire (S. T. O.), institué dans les territoires occupés.
Souffrances et divisions des Français.
Dans un pays devenu vassal de l'Allemagne, la situation matérielle et morale d'une grande partie de la population est pénible. Rationnés jusqu'à devenir exsangues, frappés par les bombardements des Alliés qui pilonnent les usines, les gares, les ports, les ouvrages militaires, sans pouvoir éviter de toucher la population civile, les Français sont en outre désorientés par une propagande qui a trouvé un chef d'orchestre en l'Allemand Gœbbels, et des porte-parole en France même chez des hommes politiques comme Marcel Déat ou Philippe Henriot qui se font à la radio de Paris les apologistes de l'Allemagne hitlérienne. Beaucoup de Français, touchés par cette propagande, ne semblent j guère s'émouvoir de l'acharnement que met l'occupant à poursuivre les juifs et les communistes, déportés en masse ou exécutés. Il est vrai que la rareté des denrées alimentaires est l'occasion de fructueux profits pour les paysans, bien davantage encore pour les trafiquants du "marché noir" qui voient dans le maintien de l'occupation la possibilité de continuer des affaires prospères et jouent sur les deux tableaux en ravitaillant collaborateurs et résistants. Pour les habitants des villes, qui souffrent davantage, il est difficile de se faire une idée juste de la situation réelle. Les émissions en français provenant de la radio de Londres sont systématiquement brouillées par les Allemands. Et en France les journaux et la radio de l'occupant contribuent à maintenir l'illusion d'une victoire certaine des puissances de l'Axe. Enfin le prestige persistant du maréchal Pétain, chef du gouvernement de Vichy, couvre toutes les manœuvres des Allemands et de leurs "collaborateurs"
La Résistance.
L'honneur de la France est sauvé par les Résistants :
— ceux qui ont rallié Londres ont constitué autour du général de Gaulle les unités navales, terrestres et aériennes de la France Libre dont l'action aux côtés des Alliés sur différents fronts a déjà couvert de gloire certains généraux comme Leclerc ou Kœnig.
— ceux qui, peu à peu, en France occupée, se sont groupés en réseaux clandestins et qui se font, au prix des plus grands périls, les auxiliaires actifs des Alliés. Ils les renseignent sur les emplacements et les mouvements des troupes allemandes, sur les fortifications édifiées le long de la côte, sur la construction des rampes de lancement pour les V1. Ils tentent d'informer l'opinion française par l'impression d'affiches, de tracts, de livres, de journaux clandestins. Ils se dressent contre le gouvernement de Vichy. Ils luttent contre les miliciens et la Légion des volontaires français contre le bolchevisme. Ils sabotent les voies de transport, les ouvrages fortifiés, le matériel fabriqué dans les usines; ils incendient les dépôts d'essence et exécutent d'audacieux coups de main afin de paralyser la machine de guerre allemande. Ils constituent enfin des maquis dans les régions montagneuses, boisées ou bocagères, comme les Alpes, le Massif Central, les Pyrénées ou la Bretagne. Tout ceci au péril de leur vie, car la répression allemande est sauvage, et l'aide alliée parcimonieuse. Quand les liaisons avec Londres ont été établies et les parachutages organisés, la Résistance intérieure reçoit, tardivement, des vivres et des armes, en quantités d'ailleurs insuffisantes.
Au printemps de 1944, ces deux Résistances s'organisent et coordonnent leurs efforts. Résistants de Londres et Résistants de France unis au sein du Comité Français de Libération Ntionale constituent à Alger un Gouvernement provisoire de la République Française, présidé par le général de Gaulle, assisté par des Commissaires de Gouvernementet une Assemblée Consultative. En France, les différents réseaux avaient formé dès 1943 un Conseil National de la Résistance et réuni ensuite leurs groupes armés au sein des Forces Françaises de l'Intérieur (F. F. I.).
L'attente.
C'est qu'en effet, depuis la fin de 1942, les événements ont changé de cours. On avait appris simultanément le désastre allemand de Stalingrad face àl'Armée Rouge, le débarquement des Anglais et des Américains en Afrique du Nord, le premier reflux des Japonais après les batailles navales de la mer de Corail et des îles Salomon. L'avance victorieuse des puissances de l'Axe était arrêtée, l'initiative leur échappait. Et bien des Français se reprirent à espérer une fin prochaine des hostilités, en suivant la progression constante des Alliés sur tous les fronts, plus spécialement en Europe sur le front oriental, en Afrique d'où furent définitivement expulsés Allemands et Italiens, en Europe Occidentale enfin où la Sicile, puis l'Italie méridionale furent conquises et la Corse même totalement libérée.
Les plus impatients avaient été déçus qu'un deuxième front ne fût pas ouvert en France dès 1943. Il était évident que l'attente ne se prolongerait pas au-delà de 1944, mais le printemps s'écoulait et rien ne se précisait. On recevait bien du maquis des nouvelles optimistes. On constatait bien la nervosité des occupants qui se traduisait par des brutalités impardonnables, comme le massacre des cheminots et des habitants d'Asq, à la suite du déraillement d'un train militaire, massacre qui fit plus de cent victimes. On observait bien la multiplication des raids aériens sur les villes et les ponts de la Seine et de la Loire en aval de Paris et d'Orléans, selon les méthodes américaines, si coûteuses pour les populations civiles, et qui consistaient en l'écrasement de l'objectif sous des milliers de tonnes de bombes, lâchées par des centaines d'avions volant à haute altitude, les fameuses forteresses volantes. Les journaux contrôlés par l'occupant faisaient eux-mêmes état de la concentration en Angleterre de forces considérables, mais c'était pour affirmer leur scepticisme quant à un éventuel débarquement. Et de rappeler, pour s'en faire des gorges chaudes, une opération anglo-canadienne tentée en 1942 dans la région de Dieppe et qui s'était soldée par un échec total. Néanmoins, au cours du printemps 1944, la proximité du "jour J" ne fait guère de doute pour les Français. Mais quand se produira-t-il ? Où ? Dans quelles circonstances ? A quel prix ? Autant d'anxieuses questions qui restent encore sans réponses.
II. . Le débarquement et la bataille de Normandie
La résistance se prépare.
Sans bénéficier d'informations précises qui auraient pu nuire au secret de l'opération, les maquis estiment cependant proche le jour où il leur faudra combattre l'ennemi, non plus dans l'ombre, mais à visage découvert. Dans cette perspective, ils ont été, au cours du mois de mai 1944, réorganisés en unités de combat. Dès le 1er juin, chefs régionaux et départementaux mettent leurs troupes en état d'alerte et définissent le rôle de la Résistance française :
"Alerte générale, chacun à son poste... Nous avons... le devoir de nous ingénier à exécuter, en prenant toutes les précautions de sécurité indispensables, tous les sabotages susceptibles de retarder sensiblement les mouvements de l'adversaire : brouillage de la signalisation routière, coupure des lignes téléphoniques, etc.
Un rôle très important nous est assigné, celui de guider et de renseigner les éléments parachutés ou d'avant- garde des armées alliées. A cette fin, il importe qu'à tout moment vous ayez en main les informations les plus précises sur la situation de votre secteur." (Instructions adressées le Ier juin 1944 par le chef départemental des F. F. 1. de l'Eure).
Et, pour les F. F. I., commence l'attente fiévreuse du message personnel que doit transmettre la radio de Londres pour signifier le début de la guerre de Libération. Mais, pour la majorité des Français, les messages personnels ne sont que de curieuses phrases dépourvues de toute signification ; les nouvelles ne peuvent venir que de l'écoute des bulletins d'informations diffusés par les postes de radio. Bien peu ont compris l'avertissement du 5 juin "Les carottes sont cuites". j
Le "Jour J".
Dans la nuit du 5 au 6 juin, les habitants de la côte normande entre Le Havre et Cherbourg sont réveillés par des bombardements d'une violence inouïe. Pour ces populations, il ne s'agit certes pas d'une nouveauté : la proximité du Mur de l'Atlantique a fait de leur région un objectif tout désigné pour les opérations aériennes des Alliés. Mais cette fois, le cauchemar des sifflements et des sourdes explosions qui les suivent ne semble pas devoir s'arrêter comme à l'accoutumée. Bientôt, le grondement des camions de troupes allemandes emplit les rues des villages et des villes du littoral. Le ciel est rouge, éclairé par les fusées et la lueur des bombes. Sous l'ouragan, des maisons s'écroulent, des quartiers entiers sont en un moment réduits en ruine. Tirés de leur lit par la violence de l'orage de fer et de feu qui s'abat sur leurs demeures, les habitants fuient dans la campagne ou se réfugient dans des grottes. Tel est le sort que connaissent Saint-Lo, Vire, Coutances, et bien des villages côtiers. Ainsi s'annonce le débarquement pour les habitants de la Normandie, qui ont jusqu'alors assez peu souffert de la guerre.
Mais la majorité des Français n'apprend la nouvelle que par la radio contrôlée par les Allemands. Celle-ci ne fait état le 6 juin que d'une forte concentration navale et aérienne des alliés dans la baie de la Seine, de violents bombardements de la région littorale occasionnant de fortes pertes dans la population civile. La radio de Londres, que les Français tentent aussitôt de capter malgré le brouillage, est fort heureusement plus explicite, et bientôt il ne subsiste plus aucun doute : le jour J est arrivé! Dès le lendemain, les journaux français sous contrôle allemand fournissent des précisions, et la population commence à se faire une idée claire des "opérations qui doivent être décisives pour le sort de l'Europe" :
" Dans les premières heures de la matinée d'hier, de puissantes formations de troupes aéroportées ont été lâchées dans la région située entre l'embouchure de la Seine et de l'Orne, dans le secteur s'étendant entre Isugny et Caen, ainsi que près de Barfleur, à l'extrémité Nord de la presqu'île du Cotentin. Deux heures environ après l'atterrissage des premiers parachutistes, lâchés au nombre de quatre divisions, des opérations de débarquement de grand style ont été déclenchées sur le front qui s'étend entre Le Havre et la région de Cherbourg. En deux points de ce secteur, les assaillants ont réussi, à l'aide de groupes de chars, à avancer de quelques kilomètres vers le Sud, à travers les dunes. D'autres formations anglo-américaines ont débarqué aux environs de la petite localité de Saint-Vaast-la-Hougue". (Le Petit Parisien, 7 juin.)
La carte de la région du débarquement, ci-dessus, permet à bien des Français de suivre désormais avec précision l'évolution de la bataille. Les journaux assortissent d'ailleurs l'annonce du débarquement de deux déclarations, l'une signée du maréchal Pétain, l'autre de son président du Conseil Pierre Laval. Elles dissuadent la population d'apporter son aide aux Alliés, en lui faisant craindre de rigoureuses représailles de la part de l'occupant. Mais le jour même, à la radio de Londres, le général de Gaulle s'adresse à la France occupée :
"La bataille suprême est engagée... Bien entendu, c'est la bataille de France, et c'est la bataille de la France!... Pour les fils de France, où qu'ils soient, quels qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre l'ennemi par tous les moyens dont ils disposent. Il s'agit de détruire l'ennemi, l'ennemi qui écrase et souille la patrie, l'ennemi détesté, l'ennemi déshonoré..."
Et les avions alliés répandent bientôt en Normandie un tract dont le recto est une proclamation aux Français du commandant en chef allié, le général Eisenhower, cependant que le verso porte cette phrase extraite du discours du général de Gaulle :
"... Que l'action menée par nous sur les arrières de l'ennemi soit conjuguée aussi étroitement que possible avec celles que mènent de front les armées alliées et françaises."
Pour tous ceux qui attendaient avec impatience le jour J, un immense espoir se lève. Désormais, les Français suivent avec fièvre, sur la petite carte découpée dans les journaux, les combats qui se déroulent en Normandie.
La bataille de Normandie.
Or, pendant les mois de juin et de juillet, l'anxiété se mêle à l'espoir. La presse de la collaboration s'efforce de minimiser les résultats obtenus par les Alliés et monte en épingle les hauts faits de l'armée allemande. Dès le 7 juin, un sous-titre du Petit Parisien fait état de l'information suivante :
"Dans la soirée, Berlin annonçait que les troupes débarquées auraient été rejetées à la mer sur plusieurs points."
Les jours qui suivent, le ton ne change guère. Le lecteur apprend le 8 juin dans L'Œuvre que "la plupart des têtes de pont anglo-américaines ont été anéanties au cours de contreattaques"; le 10 que : "les Anglo-Américains n'ont pu opérer leur jonction entre la tête de pont de l'embouchure de l'Orne et celle de Sainte-Mère-Église"; le 12 que : "les tentatives des Anglo-Américains pour progresser en direction de Cherbourg ont échoué". Et le 16 juin, le même journal"conclut : "Dix jours de combat en Normandie, plus de 400 chars et plus de 1 000 avions ont été détruits, 138 navires de guerre, cargos et transports ont été coulés ou gravement endommagés."
La réalité, telle qu'elle apparaît sur place en Normandie et telle que les Français peuvent la connaître par l'écoute des postes de radio alliés ou neutres, est assez différente. Les Alliés ont réussi à se maintenir dans leurs têtes de pont sans être "rejetés à la mer". Sans doute leur situation est-elle fragile en face d'un ennemi supérieur en nombre et bien équipé, d'autant qu'ils ne disposent encore d'aucun port pouvant leur permettre de débarquer du matériel lourd. Mais on apprend bientôt que cette lacune est comblée. A l'aide de milliers de tonnes de béton remorqués depuis l'Angleterre, de vieux bateaux volontairement coulés, de matériaux de toute sorte, un port artificiel est édifié à Arromanches. Il comprend un brise-lames, des quais d'accostage, des routes flottantes. Désormais, les Alliés sont en mesure non seulement de résister aux contre-attaques allemandes, mais aussi de développer leur action.
Celle-ci, cependant, se heurte à une défense acharnée des Allemands. Et pour qui, en ces jours de juin 1944, observe la carte, la tête de pont alliée de Normandie s'élargit avec une désespérante lenteur. Certes, Bayeux, libéré depuis le 7 juin, joue un peu le rôle de capitale de la France Libre et, dès le 14 juin, le général de Gaulle vient y installer le premier commissaire de la République et rendre visite aux localités libérées, telles Isigny ou Grandcamp. Puis, le 27 juin, les Français apprennent la libération de Cherbourg, le premier port important de la côte, le plus proche de l'Angleterre. Mais il ne s'agit là que de progrès accomplis à l'extrémité septentrionale du front, la plus difficilement défendable par les Allemands. Vers le Sud, après l'avance des premiers jours, la progression alliée semble enrayée. Caen, si proche des plages de débarquement et dont on attendait la chute prochaine, continue à résister. A la fin du mois de juin, le sort de la bataille de France n'est pas joué, et la presse de la collaboration ironise sur la stagnation des Alliés, comparant leur situation à celle des émigrés débarqués par les Anglais dans la presqu'île de Quiberon durant la Révolution française. C'est une guerre d'une violence inouïe qui se déroule en Normandie; villes et villages sont écrasés sous les bombes; les Alliés doivent s'emparer rue par rue d'agglomérations qui ne sont plus que monceaux de ruines. Terrés dans les grottes ou les abris, réfugiés dans les églises, les populations normandes vivent dans la terreur. La Libération prend pour elles des couleurs d'apocalypse. Lorsque, le 9 juillet, les Anglais et les Canadiens entrent dans Caen, la capitale de la Basse Normandie n'est plus qu'une ville rasée d'où émergent les squelettes des monuments qui ont fait sa fierté.
Le 25 juillet enfin cesse l'attente angoissée. On apprend qu'à l'extrémité occidentale du front les Américains déclenchent une brutale offensive en direction d'Avranches. Et, par la brèche ouverte, les armées alliées foncent vers la Bretagne et vers Le Mans. Est-ce enfin la Libération ? Est-ce la fin de quatre années d'occupation, la fin des souffrances, la fin des déportations ? Pas encore, car la bataille de Normandie n'est pas achevée. Dans les premiers jours d'août, l'inquiétude renaît. La presse de la zone occupée fait grand bruit autour d'une contre-offensive allemande sur Mortain et Avranches, destinée à couper de leurs bases les armées alliées qui se sont engouffrées par la percée d'Avranches. Et jusqu'au 15 août le sort de la bataille reste indécis. Mortain, libérée par les Américains, retombe aux mains des Allemands. De violents combats se déroulent à nouveau dans les villes rasées, et les Allemands jettent toutes leurs forces dans une bataille qu'ils sentent décisive. Lorsque leur échec est patent, deux armées allemandes sont encerclées dans une poche qui, sur une vingtaine de kilomètres de large, s'étend d'Argentan à Mortain. Désormais, la guerre change de caractère. Les Alliés amorcent de grands mouvements rapides pour désorganiser la résistance allemande. La Libération de la France commence...
Débarquement allié en Normandie. Au fond, des navires formant un "brise-vagues"
III - L'Insurrection Nationale
Dès l'annonce du débarquement, un grand frémissement gagne tous ceux des Français pour qui la période de l'occupation a représenté le moment le plus sombre de leur vie. Partout, la Résistance se prépare à passer à l'action; de nombreux Français, non engagés dans ses formations militaires, s'apprêtent à lui prêter main-forte. Le sol semble se dérober sous les pas de l'occupant; affolé par l'insurrection qui gronde autour de lui, il réplique vainement par une répression sauvage qui n'épargne pas même les populations civiles. La Résistance apporte une efficace contribution à l'action des armées libératrices, mine les défenses allemandes, désorganise les transports.
Les sabotages.
Pour les maquisards, dès le 6 juin, commence la mise en œuvre du Plan Vert de sabotage des transports routiers et ferroviaires. Dans toute la France, les voies ferrées sont coupées, les ouvrages d 'art sautent, les convois se perdent sur des itinéraires secondaires ou sont bloqués dans les gares détruites. Les Résistants guettent les mouvements des troupes allemandes et s'efforcent d'en entraver l'exécution.
C'est ainsi que les F. F. I. du Massif Central sont avertis le 7 juin qu'une division d'élite de l'armée allemande, la division S. S. Das Reich, a quitté ses cantonnements du Sud-Ouest et fait route vers la Normandie. Aussitôt commencent les actions de harcèlement ; les ponts sont barrés ; des groupes de F. F. I. à peine armés se sacrifient pour retarder la marche des Allemands ; les escarmouches se multiplient. Les services de renseignements de la Résistance s'efforcent de communiquer aux Alliés les indications qu'ils ont pu réunir sur les mouvements des éléments de la division transportés par voie ferrée, et des bombardements aériens leur coupent la route. Lorsque "Das Reich" peut enfin quitter le Massif Central, c'est une division épuisée, au matériel diminué, ayant pris un retard important sur l'horaire imposé, qui se dirige vers le front. Mais les populations paient cher l'étreinte que les maquis ont fait peser sur les troupes allemandes. Chargé de rétablir l'autorité des troupes d'occupation dans le Centre de la France, le général S. S. Von Brodowski se montre d'une rare férocité. Traversé par les éléments légers de la division "Das Reich", le village d'Oradour-sur-Glane connaît un martyre qui soulève l'indignation du monde. Mais le général Von Brodowski note sur son journal de marche un simple compte rendu de routine :
"14 juin 1944 : Une communication téléphonique en provenance d'Oradour me signale ce qui suit : 600 personnes ont été tuées. Toute la population mâle d 'Oradour a été fusillée. Les femmes et les enfants s'étaient réfugiés dans l'église; l'église a pris feu; des explosifs étaient entreposés dans l'église toutes les femmes et les enfants sont morts..."
En France, l'indignation est si grande que, malgré la présence des troupes d'occupation, la nouvelle de l'affreux massacre se répand et entraîne même une timide protestation du gouvernement de Vichy. Le journal clandestin Les Lettres Françaises publie sous le titre : "Sur les ruines de la morale : Oradour-sur-Glane" (*), le bouleversant récit d'un père de famille allant retrouver les siens en vacances à Oradour.
Loin d'atteindre le but qu'en attend l'occupant, un massacre comme celui d'Oradour ne fait que déterminer les Français à combattre plus énergiquement encore et, lorsqu'ils le peuvent, à rejoindre les groupes armés constitués dans les régions de relief favorable : Massif Central, Alpes, Bretagne.
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* voir texte compte sur la page Oradour-sur-Glane
Deux épisodes héroïques de l'insurrection : le Mont-Mouchet et le Vercors.
Important centre de maquisards, le Massif Central est une zone dangereuse pour l'ennemi. A la veille du débarquement, le chef d'un des maquis de la Margeride, dont le poste de commandement est établi dans la région forestière du Mont-Mouchet, propose à un agent allié de déclencher l'insurrection. Il ne reçoit qu'une réponse évasive qu'il interprète comme un acquiescement. Dès le 20 mai, il lance un ordre de levée en masse, et reçoit, de tout le Massif Central, des contingents de jeunes gens enthousiastes avides de participer à la Libération de la France. Ses effectifs ne cessent de s'accroître et ce sont bientôt plusieurs milliers d hommes qui sont prêts à affronter l'occupant. Le 2 juin, quatre jours avant le débarquement, les F. F. I. du Mont-Mouchet mettent en déroute un corps de S. S. envoyé pour les déloger. Dans les jours qui suivent, les Allemands accentuent leurs efforts. Sous le nombre, les maquisards doivent se replier, mais ils le font en bon ordre, et, grossis de nouveaux apports de résistants qui affluent de toute la région, ils affrontent à nouveau une véritable armée allemande, renforcée d'artillerie, de blindés, d 'aviation. Contraints de faire à nouveau retraite, ils réussissent cependant, grâce à leur connaissance du pays, à échapper à l'encerclement et à s'égailler, après n'avoir subi que des pertes minimes. N'ayant reçu des Alliés aucune des armes qu'ils espéraient, les maquisards du Mont-Mouchet prouvent que la Résistance est une force organisée, capable par ses propres moyens de combattre l'ennemi.
Plus tragique est le sort des maquis du Vercors. Forteresse naturelle composée de hauts plateaux forestiers, le Vercors est depuis longtemps un haut lieu de la Résistance. Zone-refuge des maquis, elle sert de terrain d'entraînement aux résistants des villes alpines qui veulent se préparer à l'insurrection. Malgré quelques attaques des Allemands et des « Miliciens» français qui les secondent, la Résistance est ici chez elle. Pensant pouvoir compter sur des parachutages d'armes et de renforts, les maquisards déclenchent dès le 6 juin l'insurrection. Pendant deux mois, le Vercors devient le bastion de la France libre en territoire occupé. Renforcés de volontaires qui accroissent sensiblement leurs effectifs, les F. F.I. du Vercors repoussent, au cours des moisde juin et de juillet, toutes les attaques dirigées contre eux. Le 14 juillet, le Vercors en liesse célèbre la fête nationale. Des unités de Résistants défilent dans la forêt ; des prises d'armes ont lieu dans les villes. La réputation du Vercors ne cesse de grandir, les postes de radio alliés vantent l'héroïsme des combattants, et sa résistance devient pour les Français le symbole de volonté de chasser l'occupant du sol national. Mais le Vercors vit dans l'espoir d'une opération aéroportée qui lui fournira armes et renforts. Quelques parachutages ont bien lieu, comme celui du 14 juillet au cours duquel les Américains larguent des "containers" d'armes au bout de parachutes bleublanc-rouge. Mais les renforts espérés ne viennent pas, et l'armement reste insuffisant. Bientôt, les Allemands s'inquiètent de la menace. Ils décident d'en finir. A partir du 19 juillet, une puissante armée cerne le Vercors. Pendant cinq jours, la bataille fait rage. Les F. F. I., très inférieurs en nombre aux assaillants, démoralisés par l'impression d'être abandonnés des Alliés, défendent cependant pas à pas le terrain et ne succombent que sous le nombre. Un grand nombre d'entre eux, tués au combat ou fusillés par les Allemands, paient de leur vie leur héroïsme.
Bien des régions de France connaissent à la même époque des insurrections semblables, souvent moins importantes cependant par les effectifs engagés. Mais tous les patriotes français vibrent aux exploits de ceux qui, mal armés, peu nombreux, affrontent à visage découvert et au prix des pires dangers l'ennemi qui, depuis quatre ans, tient la France sous sa coupe. Pour beaucoup de ces Résistants (ces terroristes, dit la radio sous contrôle allemand), l'épopée s'achève sous les balles allemandes. Ils ont prouvé que les Français ne sauraient passivement attendre leur délivrance. Sur le plan moral, l'influence d'insurrections comme celles du Mont-Mouchet et du Vercors est immense ; du point de vue strictement militaire, ces soulèvements, sursauts d'un peuple décidé à reconquérir sa liberté, ne réussissent pas lorsque les Allemands ont l'avantage du nombre et que l'aide alliée fait défaut. Mais, à l'approche des armées anglo-américaines, la Résistance joue un rôle militaire essentiel en prenant à revers la défense allemande dont les échecs se transforment en déroute. D'autant qu'une grande partie de la population se joint aux maquisards et leur apporte une aide efficace. C'est ce qui se passe en Bretagne.
La libération de la Bretagne.
Par sa situation, si proche du front de Normandie, la Bretagne joue un rôle essentiel dans les premières semaines du débarquement. Par tous les moyens, les F. F. I. s'efforcent d'empêcher les troupes allemandes qui tiennent garnison en Bretagne de renforcer le dispositif militaire de l'occupant face aux armées débarquées. Pendant les mois de juin et de juillet, sabotages et embuscades se multiplient qui paralysent les mouvements des Allemands. Une concentration de Résistants a même lieu dans un village du Morbihan, Saint-Marcel, qui prend vite les allures d'un camp retranché et oblige l'ennemi à livrer bataille. Dans ces conditions, la situation des Allemands devient intenable.
Lorsque, au début du mois d'août, après le succès de la percée d'Avranches, l'armée américaine fonce en direction de la Bretagne, le rôle de la Résistance s'avère capital. Dans toute la péninsule, les brassards des F. F. I. apparaissent au grand jour et leurs effectifs ne cessent de s'accroître. Avant même l'arrivée des Alliés, ils libèrent des villes : Pontivy, Josselin, Ploermel, Vannes, Saint-Brieuc et bien d'autres doivent aux Résistants leur libération. Les Américains y entrent sans combattre. Pendant que les troupes alliées ainsi épaulées par l'insurrection nationale foncent dans toutes les directions, les F. F. I. se chargent d'anéantir les derniers groupes ennemis dépassés par la progression américaine. En deux semaines, hormis quelques poches côtières où se maintiennent les Allemands, la Bretagne est libérée. Les Américains peuvent tourner leurs efforts vers l'Est, en direction de la Loire et de Paris, où se prépare une nouvelle insurrection.
IV. - La libération de Paris
Paris attend sa libération.
Depuis le 6 juin 1944, Paris vit dans la fièvre. Les combats de Normandie se déroulent à 200 km de la capitale. Le jour de la Libération, attendu avec impatience depuis quatre ans, approche. La région parisienne constitue un important îlot de résistance et possède son organisation de F. F. I. dirigée par un ouvrier métallurgiste qui a exercé des responsabilités syndicales avant d'entrer dans la clandestinité, le colonel Rol-Tanguy. A Paris même, le chef des forces de l'intérieur est un authentique officier de carrière, le colonel de Marguerittes, qui se fait appeler colonel Lizé. La Résistance tient prêtes des unités de combat qui peuvent compter sur l'appui des Milices patriotiques, organisations paramilitaires constituées dans les entreprises et les groupes d'immeubles. D'autre part, une municipalité composée de patriotes, le Comité Parisien de la Libération, doit se substituer aux autorités mises en place par le gouvernement de Vichy dès que l'insurrection aura éclaté. L'ardeur des F. F. I. parisiens, celle des F.-T. P. (Francs-Tireurs et Partisans) qui font partie des F. F. I. sans y être totalement intégrés, ne font aucun doute. Mais l'armement de la résistance parisienne est dérisoire; les parachutages d'armes ont été presque inexistants autour de Paris, et le chef d'État-Major des F. F. I., procédant dans les premiers jours d'août 1944 au recensement des armes, doit constater qu'il ne peut disposer que de quelques mitrailleuses ou fusils mitrailleurs et de quelques centaines de fusils et de pistolets pour armer plusieurs milliers d'hommes. Encore s'agit-il d'armes de modèle ancien. Quant aux munitions, elles sont presque inexistantes. Est-il possible dans ces conditions d'affronter vingt mille ennemis remarquablement armés et équipés de chars, d'autant que le bruit court, au mois d'août, que les Allemands veulent concentrer sur Paris des troupes S. S. venues de Normandie et du Sud-Ouest ? Dans le climat de l'été 1944, la perspective d'attendre passivement que les troupes alliées libèrent la capitale est une éventualité que la Résistance n'envisage même pas.
L'action des patriotes se fait d'ailleurs de plus en plus audacieuse, prouvant aux Parisiens que la Résistance est une réalité concrète. Le 28 juin, Paris apprend que Philippe Henriot, ministre de l'Information du gouvernement de Vichy, propagandiste de la collaboration et à ce titre l'un des plus détestés parmi les Français qui ont choisi d'aider l'ennemi, a été abattu dans son ministère. Les collaborateurs tentent de faire un martyr de celui qui fut leur chef de file, et la propagande allemande s'efforce de tirer parti de l'événement qu'elle qualifie d' "odieux attentat terroriste", en faisant placarder d'immenses affiches représentant Philippe Henriot, avec la légende : "Il disait la vérité, ils l'ont tué!"
Une proclamation du Comité Parisien de la Libération apporte à cette campagne la réponse de la Résistance.
"Le C. P. L. proclame la satisfaction avec laquelle Paris tout entier a appris l'exécution sur son territoire de Philippe Henriot... Le C. P. L. adresse l'hommage reconnaissant des Parisiens aux patriotes qui, au péril de leur vie, ont exécuté l'un des plus pernicieux et des plus misérables traîtres... L'exécution du Gœbbels français n'est ni un assassinat ni une vengeance privée. C'est la justice de la France qui passe. Le C. P. L. la salue."
La mort de Philippe Henriot, en apportant aux Français la preuve de l'efficacité de l'action de la Résistance, a un immense retentissement. Beaucoup y voient un témoignage de la puissance et de la vigilance d'unités organisées, prêtes à entrer en action.
Le 14 juillet, nouveau signe avant-coureur de la fièvre qui couve à Paris. Les habitants des quartiers de l'Est de la capitale assistent à une manifestation patriotique réunissant de nombreux participants, bien encadrés, disciplinés, et qui convergent vers la place de la République. Il faut près d'une heure aux Allemands, appuyés par une police française réticente, pour disperser la manifestation.
A l'approche des Alliés, l'action de la Résistance se fait sentir un peu partout. Dans les usines, on fabrique des clous spéciaux pour crever, le moment venu, les pneus des convois allemands; de bouche à oreille on se communique la formule de mélanges explosifs fabriqués dans des bouteilles, les cocktails Molotov, pour faire sauter les chars ennemis. Métro et autobus s'arrêtent.
Le 12 août, les cheminots de la région parisienne se mettent en grève, paralysant tout trafic, malgré les menaces d'intimidation des Allemands.
Le 14, les agents de police parisiens se voient remettre des tracts, signés d'un "Comité de Libération de la police parisienne" :
" ... Tout le personnel de la Préfecture de Police... devra cesser le travail dès mardi matin 15 août, à sept heures... Les policiers qui n'obéiraient pas au présent ordre de grève seront considérés comme des traîtres et des collaborateurs. Sous aucun prétexte, nos 'camarades ne devront se laisser désarmer. Pour l'ultime combat, tous en avant avec le peuple parisien."
Et le lendemain, 15 août, les Parisiens s'aperçoivent avec surprise que les agents de police ont disparu des rues de la capitale. Fait sans précédent, la police parisienne est en grève!
Parallèlement, les membres de la Résistance reçoivent le 14 août un ordre d'alerte émanant de l'État-Major des F. F. I. :
F. F. I1. Seine. État-major. 14 août 1944.
"A partir de la réception du présent ordre, les F. F. I. de tous les secteurs doivent se considérer comme mobilisés en permanence. Les groupes doivent pouvoir être mobilisés en une heure et recevoir les ordres des groupements en une heure."
Les jours qui suivent sont lourds de l'attente anxieuse d'événements décisifs. Paris est paralysé par les grèves; le ravitaillement se fait difficile. Dans les rues, sillonnées seulement par des camions roulant à toute allure et chargés de soldats allemands ou de miliciens français en armes, le doigt sur la gâchette, des groupes s'assemblent devant les affichettes apposées par diverses associations patriotiques et appelant les Parisiens à l'insurrection. Silencieusement, dans l'ombre, l'appareil de combat de la Résistance se met en place, mais, ici et là, on perçoit les mouvements annonciateurs du soulèvement. Dans certaines usines, dans les centres de distribution d'eau, les employés reçoivent la visite de F. F. I. en civil, venus prendre possession de ces points stratégiques. Dans la lourde chaleur d'août, attentifs au moindre indice, les habitants de la capitale attendent... Le 18 au soir, le chef d'État-Major des F. F. I. de Paris sort d'une réunion clandestine. Risquant d'être surpris par le couvre-feu que les Allemands ont fixé à 21 h, il avise un groupe d'ouvriers qui discutent devant un café de la place Denfert-Rochereau. Il leur demande s'il peut trouver une voiture qui lui permettrait de forcer les barrages ennemis :
"... Comme ils me répondaient de fort mauvaise grâce, je leur montrai l'ordre de mission du colonel Rol qui m'accréditait en qualité de chef d'État-Major des F. F. I. A la lecture de ces trois lettres magiques, tous ces hommes m'étreignirent et quelques minutes après une voiture venait se mettre à ma disposition.
Ainsi tout Paris attendait-il dans la fièvre et dans l'espérance que l'insurrection éclatât pour faire des F. F. I. l'armée nationale de la Résurrection.
Paris se soulève.
Le 19 août au matin, une agitation inaccoutumée règne dans Paris et en banlieue. Des drapeaux tricolores flottent sur les bâtiments publics ; aux abords de ceux-ci, des hommes en armes, portant brassard F. F. I., montent la garde. Bientôt, c'est au sommet de la Préfecture de Police que flottent les trois couleurs, symbolisant le soulèvement national. Le bruit se répand aussitôt dans la capitale que des policiers en civil ont occupé l'édifice au cours de la matinée, consignant le préfet nommé par Vichy. Mais comment se faire, dans la ville insurgée, une idée exacte des événements ? La presse de la collaboration ne paraît plus à partir du 19 au matin. Les nouvelles ne sont connues que par ouï-dire, amplifiées ou déformées au cours de leur transmis- sion, et les informations les plus fantastiques se répandent comme une traînée de poudre. Que perçoivent les Parisiens de l'événement historique qui se déroule sous leurs yeux ? D'abord, des images de bataille : chars allemands cernant la Préfecture de Police dans l'après-midi du 19, combats autour des bâtiments publics, mouvements des troupes d'occupation dans Paris. Et, au-delà du sifflement des balles, de l'agitation fiévreuse qui s'empare peu à peu de toute la capitale, se lève l'immense enthousiasme populaire de la Libération qui est la marque la plus frappante de la glorieuse semaine du 19 au 25 août.
Dès le 20, alors que l'Hôtel de Ville arbore à son tour son drapeau tricolore, le Comité Parisien de la Libération fait apposer sur les murs de la capitale l'appel qui invite le peuple à se soulever pour sa libération :
"Le jour tant attendu est arrivé! Les troupes françaises et alliées sont aux portes de Paris. Le devoir simple et sacré pour tous les Parisiens est de se battre. L'heure de l'insurrection nationale a sonné. Aux armes, citoyens!"
Pendant les jours qui suivent, les combats de rues ne cessent guère dans la capitale. Ce sont pour les Parisiens des jours de fièvre et d'espoir, des jours de crainte aussi. Les Allemands ne vont-ils pas détruire la capitale ? Les habitants ne risquent-ils pas le massacre de la part d'un ennemi traqué, mais formidablement armé ? jours où la vie quotidienne est d'ailleurs difficile, où le ravitaillement arrive mal, où presque toutes les boutiques ont baissé leurs rideaux de fer. Quant à la bataille elle-même, l'idée qu'on s'en fait reste confuse. Elle est à l'image de ce qu'aperçoit la population : une suite d'engagements brefs, d'embuscades, de fusillades, puis tout se calme et la vie reprend son cours, difficile.
Le 21 août au soir, les Parisiens peuvent lire une nouvelle proclamation du Comité Parisien de la Libération qui définit la tâche immédiate des habitants de la capitale dans l'insurrection libératrice : paralyser les chars allemands en élevant des barricades : «
"PARISIENS, L'insurrection du peuple de Paris a déjà libéré de nombreux édifices publics de la capitale. Une première grande victoire est remportée. La lutte continue. Elle doit se poursuivre jusqu'à ce que l'ennemi soit chassé de la région parisienne. Plus que jamais, tous au combat! Répondez à l'ordre de mobilisation générale, rejoignez les F. F. I1. Toute la population doit, par tous les moyens, empêcher la circulation de l'ennemi. Abattez les arbres, creusez les fossés anti-chars, dressez des barricades. C'est un peuple vainqueur qui recevra les Alliés..."
A cet appel, Paris se hérisse de barricades ; aux F. F. I. se joint toute la population, qui transporte pavés et sacs de sable, qui ravitaille les combattants et les encourage. Les actes de courage individuels se multiplient, dont les plus frappants sont l'attaque des chars allemands par des F. F. I1. ayant pour toute arme une bouteille remplie de liquide inflammable. Au milieu des chars qui sautent, des coups de feu et des barricades, Paris vit des jours d'exaltation. Les journaux de la Résistance, qui, depuis le 21 et le 22, se sont substitués à la presse de la collaboration, paraissent avec d'énormes manchettes qui entretiennent ce climat : "Paris lutte, Paris se libère" titre Franc-Tireur le 21 août ; "Paris brise ses chaînes" proclame le lendemain Libération ; et le 23 août Combat appelle le peuple aux armes : "Toute la ville aux barricades! Ils ne passeront pas!"
Mais, au milieu de la joyeuse ferveur de ces journées d'août 1944, une sourde inquiétude commence à poindre. Sans doute l'insurrection est-elle maîtresse de la capitale; mais la garnison allemande est toujours présente, enfermée dans ses casernes, et elle fait peser une redoutable menace sur la ville insurgée. Les Alliés avancent certes sur Paris, mais l'absence de nouvelles, ou l'acheminement difficile du courrier, rend malaisée une vue claire de la situation militaire. Cette anxiété, ressentie par toute la population, est éprouvée au plus haut point par les dirigeants du soulèvement. "Notre angoisse augmentait d'heure en heure", raconte le chef d'État-Major des F. F. I. parisiens, quand :
"... soudain, le lieutenant Jacques, l'air triomphant, entre dans mon bureau. Il tenait en mains un télégramme. "Le chef du secteur Sud a recueilli un pigeon voyageur, me dit-il, et qui portait ce message." Je dépliai fébrilement le papier : "Tenez bon... nous arrivons. Signé : Général Leclerc." Je sautai de joie, étreignant avec fièvre le porteur de la bonne nouvelle, si ému lui-même qu'il tremblait en me serrant les mains. Leclerc arrivait !"
Leclerc! C'est donc un général français, à la réputation déjà légendaire, qui vient au secours de Paris insurgé. Par l'écoute des postes de radio alliés, les Français connaissent les exploits de ce général dont le nom symbolise la résurrection de l'armée française, qui a combattu à la tête des forces françaises sur les champs de bataille d'Afrique, qui a permis à l'armée française d'être présente lors de la libération de la Normandie. Dès le 23 août, les chars de la division blindée du général Leclerc marchent sur Paris.
Le 24 août à dix heures du soir, les Parisiens commencent leur sixième veille d'insurgés, veille d'inquiétude pour la majorité des habitants de la capitale, veille d'espoir pour les membres de l'État-Major des F. F. I., avertis de l'arrivée imminente de la division Leclerc. Et soudain :
« ... une clameur s'élève vers la Cité, des fumées multicolores illuminent le ciel vers la Préfecture de Police. Nous nous penchons aux fenêtres. Est-ce possible ? Le gros bourdon de Notre-Dame s'ébranle, et, sourdement, dans la nuit, lance son appel auquel toutes les cloches de la capitale répondent aussitôt à toute volée, dans un hosanna prodigieux qui fait frissonner le ciel rougeoyant : "Les Français! Les Français! Ils sont à l'Hôtel de Ville!" Il est vingt-deux heures. Des larmes coulent lentement sur les visages...
... C'est frémissant que j'écoute, debout... cette splendide Marseillaise de la Libération qui s'élève de toutes les barricades dans Paris encore retentissant du bruit des éclats des obus et des balles, tandis que flotte partout fièrement le drapeau tricolore, symbole de toutes les libertés."
Et les journaux du lendemain fournissent des précisions sur l'arrivée à l'Hôtel de Ville, dans une ville encore tenue par les Allemands, du capitaine Dronne à la tête de ses trois chars : Romilly, Champaubert et Montmirail. Le dernier acte de la Libération de Paris commence.
Paris libéré.
L'entrée des premiers éléments de la Division Leclerc à Paris signifie pour les insurgés la participation active d'une unité régulière aux combats de la Libération. Les Allemands doivent désormais affronter des troupes bien équipées, soutenues par la population. Pour les Parisiens, l'arrivée de la division, c'est le début de la délivrance, et les derniers combats se déroulent dans une atmosphère de joyeuse kermesse.
Le 25 au matin, au milieu d'un indescriptible enthousiasme populaire, le gros des blindés français pénètre dans Paris par les portes du Sud. La presse de la Résistance crie sa joie : "Ils sont arrivés" titre Libération ; "Paris est délivré", s'écrie L'Aube; "Vive de Gaulle! Vive la France immortelle!" concluent le Parisien Libéré et L'Humanité. Cependant, les combats ne sont pas achevés. Autour du ministère des Affaires étrangères, au Sénat, à l'École Militaire, les blindés de la 2e D. B. doivent briser une vive résistance des Allemands. Mais la capitale prend déjà un air de victoire. De partout surgissent les drapeaux tricolores : la tour Eiffel, l'Arc de Triomphe ont bientôt le leur ; les chars du général Leclerc vont au combat entourés de véritables grappes humaines qui crient leur joie. Mais, au milieu de la liesse populaire, la lutte continue, avec son cortège de coups de feu, de morts, de blessés. Les soldats Français, épaulés par les F. F. I., doivent déloger les tireurs ennemis des groupes d'immeubles où ils sont embusqués; c'est surtout dans le quartier des Tuileries, de la rue de Rivoli, de la rue Royale que se déroulent les combats qui ont comme objectif l'Hôtel Meurice, siège de l'ÉtatMajor allemand dirigé par le général Von Choltitz. Au début de l'après-midi du 25, on apprend que l'Hôtel Meurice est tombé. Dans les heures qui suivront, le commandant dès troupes d'occupation de Paris signe, en présence du colonel Rol-Tangy, chef des F. F. I. de la région parisienne, sa reddition entre les mains du général Leclerc. Conduit ensuite par celui-ci et le colonel Roi à la gare Montparnasse, où a été établi le poste de commandement de la 2' D. B., il doit donner à ses troupes l'ordre de cesser la résistance. Paris est libre.
Dès lors, la capitale vit la grande fête de sa libération. A la fièvre des combats succède l'ivresse de la victoire et de la liberté retrouvée. Le jour même de la reddition de Von Choltitz, le général de Gaulle, venant de Rambouillet, se rend à Paris en traversant la banlieue Sud.
"Que de gens, sur la route, guettent mon passage! Que de drapeaux flottent du haut en bas des maisons! A partir de Longjumeau, la multitude va grossissant. Vers Bourg-la-Reine, elle s'entasse. A la Porte d'Orléans, près de laquelle on tiraille encore, c'est une exultante marée. L'avenue d'Orléans est noire de monde..."
Le président du gouvernement provisoire se rend d'abord à la gare Montparnasse où l'accueillent les vainqueurs, le général Leclerc et le colonel Rol, à qui il adresse ses félicitations... Puis, c'est l'arrivée à l'Hôtel de Ville où l'attendent le Conseil national de la Résistance et le Comité Parisien de la Libération.
"Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l'émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains ?"
déclare-t-il aux chefs de la Résistance, avant d'aller du haut d'un balcon répondre aux acclamations de la foule parisienne qui a envahi la place. Mais l'apothéose est pour le lendemain. Une série de cérémonies, annoncées par les journaux, doit dans l'après-midi du 26 marquer la Libération. Sous le radieux soleil d'août, Paris vit alors une de ses grandes journées historiques. La ville est toujours paralysée par l'absence de moyens de transports. Mais, de tous les quartiers de Paris et de la banlieue, d'innombrables piétons se mettent en marche vers l'Arc de Triomphe, où doivent débuter les cérémonies. Il est prévu que le général de Gaulle doit ranimer la flamme à 15 h. Pour la plupart des Parisiens, il n'est encore qu'un nom qui symbolise la Libération, une voix entendue à la radio de Londres. Son visage, que les journaux issus de la Résistance commencent cependant à faire connaître, n'est pas encore familier aux Français :
"A 3 h de l'après-midi, j'arrive à l'Arc de Triomphe... Je salue le régiment du Tchad rangé en bataille devant l'Arc et dont les officiers et les soldats, debout sur leurs voitures, me regardent passer devant eux, à l'Étoile, comme un rêve qui se réalise. Je ranime la flamme. Depuis le 14 juin 1940, nul n'avait pu le faire qu'en présence de l'envahisseur. Puis je quitte la voûte et le terre-plein. Les assistants s'écartent. Devant moi, les Champs-Éiysées Ah! C'est la mer! Une foule immense est massée de part et d'autre de la chaussée. Peut-être deux millions d'âmes. Les toits aussi sont noirs de monde. A toutes les fenêtres s'entassent des groupes compacts, pêle-mêle avec des drapeaux. Des grappes humaines sont accrochées à des échelles, des mâts, des réverbères. Si loin que porte ma vue, ce n'est qu'une houle vivante, dans le soleil, sous le tricolore..."
La descente triomphale des Champs-Élysées commence. Puis c'est, en voiture, la rue de Rivoli, l'Hôtel de Ville, où une foule vibrante acclame le cortège, Notre-Dame enfin où est célébré un Te Deum. Mais la guerre de libération n'est pas achevée. Au milieu de sa joie, Paris en a la preuve le jour même. Place de la Concorde, place de l'Hôtel-de-Ville, à l'intérieur même de la cathédrale, des fusillades ont éclaté. Dans la nuit du 26 au 27 août, les avions allemands ont bombardé la capitale, atteignant particulièrement les quartiers du Nord de Paris, où se déclenchent des incendies. "Il faut en finir", écrit le 27 août le journal Front National. Pour en finir, pour libérer totalement le territoire national, les F. F. I. s'engagent dans les unités de l'armée régulière. La grande épopée de la Libération se poursuit...
Opération aéroportée lors du débarquement de Provence.
V. Le débarquement en Provence et le mois des libérations
Provence - Le jour J.
Le 15 août 1944, à l'aube, une puissante flotte de guerre s'avance silencieusement au large des côtes provençales, dans la région de Saint-Tropez. A bord du navire amiral, parmi les chefs alliés, un Français qui songe avec nostalgie au temps où les escadres françaises du grand port de guerre de Toulon pouvaient s'approcher du littoral sans craindre les canons des défenses côtières, l'amiral Lemonnier :
"Comment chasser l'idée qui nous hante ? Y eut-il jamais dans l'histoire situation semblable à la nôtre ? Nous allons donner l'assaut de notre propre sol les canons qui, tout à l'heure, vont nous répondre, sont installés dans les batteries que nous avons construites; nous allons attaquer ces forts de Toulon avec lesquels notre escadre faisait chaque mois, il y a seulement cinq ans, de paisibles exercices. Cette fois, ce n'est plus l'exercice c'est le combat. Bientôt, nous allons réveiller les habitants du littoral, nous allons tirer sur nos maisons!"
Et à nouveau les scènes du débarquement de Normandie se répètent. Plusieurs heures durant, le bombardement naval et aérien ravage la côte ; les corolles blanches des parachutes descendent du ciel au-dessus du Muy. Toute la journée du 15, la bataille fait rage. Le lendemain, les Français apprennent que les troupes alliées ont atteint leurs objectifs, l'occupation d'un secteur côtier de 70 km de long, d'Agay à Cavalaire. Parmi ces troupes débarquées se trouvent des éléments de la Ire armée française, commandée par le général de Lattre de Tassigny. Un second front est donc ouvert en France et une armée française participe à la libération du Midi.
Mais le déroulement de la bataille de Provence est bien différent de ce qu'avait été l'évolution des combats de Normandie. Au lieu de la lente et difficile progression qui avait tenu les Français haletants au cours des mois de juin et de juillet, c'est ici une cascade de victoires, faisant écho à celles remportées durant la même période dans le Nord de la France. Pris à revers par la Résistance, débordés par l'enthousiasme des soldats français qui combattent pour la libération de leur pays, les Allemands lâchent pied rapidement. Les combats les plus violents ont lieu autour de l'arsenal de Toulon, dont le port est encombré des épaves de la flotte française qui s'y est sabordée en 1942, alors qu'elle était sur le point de tomber aux mains de l'ennemi. Aidés et renseignés par les F. F. I., les soldats du général de Lattre s'emparent de la ville le 27 août, douze jours après le débarquement.
Marseille ne tarde guère à tomber aux mains des Français. La situation y est à peu près identique à celle de Paris. Dès le 19 août, la Résistance a déclenché l'insurrection. Dans la ville, qui a profondément souffert de l'occupation, dont le vieux port a été détruit par les Allemands, où la Gestapo et ses auxiliaires français ont fait des ravages, un Comité Insurrectionnel s'installe à la Préfecture. Les combats de rue obligent les Allemands à se retrancher dans leurs cantonnements, et la ville est si solidement < tenue par les insurgés qu'un général français, le général de Monsabert, peut installer dans la grande cité son poste de commandement alors que plusieurs milliers d'ennemis puissamment armés sont demeurés à l'abri de leurs murs de béton, à tous les points stratégiques. Le 28 août, trois jours après la libération de Paris, les derniers éléments allemands capitulent et l'armée française peut faire dans Marseille une entrée triomphale. Le général de Lattre télégraphie au général de Gaulle que treize jours après le débarquement, dans le secteur qui lui est imparti, "il ne reste plus un Allemand qui ne soit mort ou captif". Pour qui considère la carte, il devient clair qu'à l'heure même où la libération de Paris marque l'effondrement du dispositif militaire allemand dans le Nord de la France la prise de Marseille et de Toulon, les deux principaux ports de la Méditerranée, ouvre une brèche irréparable dans le Mur de la Méditerranée. D'ailleurs, à cette date du 25 août, la libération du Midi semble un fait acquis.
La libération du Midi et la grande poursuite.
Dans les jours qui suivent le débarquement, alors que le gros des troupes françaises donne l'assaut à Toulon et à Marseille, d'autres groupes entreprennent la libération des Alpes et de la vallée du Rhône.
Dans les Alpes, leur tâche est facilitée par l'action des maquis. On a vu comment la Résistance française avait su tirer parti du relief alpin, qui faisait de cette région le terrain idéal des actions de guérilla. Si, au mois de juillet, les maquisards du Vercors, isolés, sans appui, ont succombé devant un ennemi supérieur en nombre et puissamment armé, les autres groupes de F. F. 1. n'ont pas pour autant renoncé à leur action. A partir du débarquement de Provence, ils exploitent la concentration des troupes allemandes vers les champs de bataille et déclenchent l'insurrection qui leur assure très vite le contrôle de la quasitotalité des départements alpins. Les dernières garnisons ennemies n'ont d'autre ressource que de s'enfermer dans les villes, où elles capitulent durant la seconde quinzaine d'août devant les Américains ou devant les F. F. I. Le 22 août, l'armée américaine fait son entrée dans Grenoble, d'où s'est enfuie la garnison allemande, attaquée par les Résistants.
Au même moment, des troupes françaises et américaines commencent à remonter la vallée du Rhône, libérant les unes après les autres les villes du Midi où les accueille une population chaleureuse, dont l'enthousiasme méridional fait un triomphe aux Alliés. Comme dans les Alpes, la résistance allemande s'effondre, et c'est à une véritable poursuite que se livrent les troupes franco-américaines. Au cours de cette seconde quinzaine d'août, Emmanuel d'Astier de La Vigerie, ministre de l'Intérieur du Gouvernement provisoire, remonte la vallée du Rhône avec les troupes françaises. Les Allemands ayant hâtivement évacué la région, il décide de devancer l'armée sur la rive droite du fleuve en aval d'Avignon :
"Une heure plus tard, le bac nous avait passés sur l'autre rive. Trois filles et deux garçons y surveillaient les mouvements de l'armée pour être les premiers à annoncer au pays la nouvelle d'un passage. Ils n'avaient jamais vu ni jeeps, ni battledress c'était pour eux l'avantgarde de l'Amérique. Bardoche (un des compagnons du ministre), tout en fixant un énorme drapeau tricolore sur le capot de la jeep, leur fit une conférence. Il présentait la scène, les conditions, les acteurs : "De l'autre côté du Rhône, les troupes françaises à Paris de Gaulle fait une entrée triomphale ; et ici, précédant les troupes, un de ses ministres, d'Astier, en route pour Montpellier. C'est la libération vous êtes les messagers. "Nous précédant, ils s'en furent à bicyclette annoncer notre arrivée au village. C'est ainsi que nous trouvâmes à Combs, puis à Jonquières, toute la population, les enfants aux bras de leur mère, les vieillards radotant, garçons et filles s'interpellant, qui nous apportaient des fleurs, du pastis. Bardoche, sur le marche-pied, les mains en portevoix, faisait l'annonce et orchestrait des Marseillaises fausses, mais qui furent parmi les plus joyeuses que j'aie jamais entendues."
Puis, c'est la tournée dans les villes libérées du Midi au milieu de la liesse populaire, de la joyeuse fierté d'une foule qui a œuvré pour sa libération et qui oublie en cet instant les ruines et les deuils de la guerre, mais qui, aussi, fait payer cher leur trahison à ceux des Français qui ont accepté de collaborer avec l'ennemi :
"Fêtes. Fête à Montpellier le lendemain un balcon, une foule battant les grilles dans la lumière et la chaleur, les grands mots vides qui prêtent aux cris et aux applaudissements..., des milliers d'hommes qui défilaient en bas et dont l'attitude proclamait "Nous avons fait cela..." Nous n'avions plus d'âge, mais la fatigue et l'étourdissement de l'extrême jeunesse. Fêtes. Fête à Nîmes à la tombée du jour... Qu'un sang impur abreuve nos sillons! Au pied du mur qui ferme les arènes, treize hommes meurent criblés de balles... "Fêtes. Fête au retour à Marseille. Cette descente de la Canebière..., une foule aux bras nus, pour la plus grande part si loin de l'histoire, et qui cherche à s'y reconnaître. (De Gaulle, c'est le grand en civil. Non, le militaire...") Fête, même à Toulon... malgré l'amas de béton et de fer place de la Liberté, et le quai Cronstadt tout entier disparu, les pans de murs et les carcasses de bateaux léchées par une eau tranquille."
Et pendant que se déroulent ces fêtes de la Libération, l'armée alliée, continuant la grande poursuite, fonce vers Lyon. Là encore l'action des F. F. I. fait s'effondrer la résistance ennemie.
Le 2 septembre, les troupes françaises font leur entrée dans Lyon, suivies de l'armée américaine. La ville, à qui l'on a fait une réputation de froideur, réserve à ses libérateurs un accueil aussi délirant que celui qu'ils ont connu dans le Midi. Et l'enthousiasme est à son comble lorsque défilent les F. F. I., cette armée de l'intérieur qui a connu quatre ans durant tant de périls et tant de morts pour sauver l'honneur de la France, et dont Lyon, qui s'énorgueillit du titre de capitale de la Résistance, entend reconnaître l'héroïsme. A ce moment, on apprend avec horreur les crimes des miliciens et des Allemands aux abois, et on peut dresser une longue liste de victimes de laquelle nous détacherons les grands universitaires que furent Victor Basch et Marc Bloch, sauvagement abattus dans la région lyonnaise, et les ministres Georges Mandel et Jean Zay.
Durant ce mois d'août, où les libérations se multiplient, où presque tous les Français connaissent en même temps la délivrance et se livrent à la joie de la liberté retrouvée, bien peu songent à s'arracher à l'euphorie du moment, aux fêtes, aux défilés, aux cérémonies qui se succèdent et qui absorbent toute leur attention, pour considérer l'évolution de la situation militaire. Elle apparaît cependant, pour qui trouve le temps de réfléchir, avec une évidente clarté. Alors que les troupes franco-américaines débarquées en Provence ont dépassé Lyon et se dirigent maintenant vers Dijon, les armées alliées débarquées en Normandie et qui se sont emparées d'Orléans font, elle aussi, mouvement vers la capitale bourguignonne : les deux mâchoires d'une gigantesque tenaille menacent de se refermer sur les troupes allemandes cantonnées dans le Centre et le Sud-Ouest de la France. La bataille va-t-elle maintenant se déplacer vers ces régions du territoire national où aucune troupe alliée n'a encore pénétré ?
La libération du Centre et du Sud-Ouest.
C'est faire bon marché de l'action des F. F. I.. Depuis le milieu du mois d'août, la Résistance a déclenché dans le Sud-Ouest l'insurrection nationale qui rend intenables les positions allemandes. Le mouvement part des Pyrénées. Le 17 août, le soulèvement éclate à TARBES. Les Allemands tentent de résister, mais les « Milices patriotiques» se joignent aux F. F. I. pour faire échec à l'ennemi. Les troupes d'occupation n'ont d'autre ressource que de se replier sur Toulouse, harcelées dans leur retraite par les Résistants. Le 19, Lourdes suit l'exemple de Tarbes; ; le 20, c'est le tour de Pau. Cette fois, la population constate que les troupes allemandes préparent leur repli de la frontière des Pyrénées.
L'exaltant exemple de ces libérations obtenues par les Français sans l'intervention des Alliés est très vite suivi. Des Pyrénées à la Loire, l'insurrection se répand comme une traînée de poudre. Les villes des Landes, du Périgord, de l'Auvergne, des pays de la Loire connaissent les unes après les autres les mêmes épisodes de libération ; chacun vit des événements qui ont pour longtemps alimenté la chronique locale. Lorsque, le 12 septembre 1944, a lieu, dans la Côte-d'Or, la jonction des armées venues Victor Basch, professeur à la Sorbonne, président de la Ligue des Droits de l'Homme. de Normandie et de celles venues de Provence, symboliquement effectuée par des éléments de la 2* Division Blindée du général Leclerc et de la Ire Armée française du général de Lattre, vingt-six départements du Centre et du Sud-Ouest de la France ont été libérés par l'action des Forces Françaises de l'Intérieur. Deux mois après la percée d'Avranches, moins d'un mois après le débarquement de Provence, la bataille de France est pratiquement terminée, et les Français gardent le souvenir ébloui du mois d'août 1944, le mois des Libérations, chanté par le poète Aragon :
Dans les flammes du paysage
Se sont ouvertes les prisons
On vit le soleil des visages
On mit des drapeaux aux maisons.
Il passait des gens en voiture
Qui disaient des faits merveilleux
Le revolver à la ceinture
Et le cœur plus grand que les yeux.
C'était aussi beau qu'au théâtre
Quand le rideau rouge frémit
L'août mil neuf cent quarante-quatre
Où s'en furent les ennemis.
VI. La marche au Rhin
La France, libérée, entre dans la guerre.
Jusqu'au 15 septembre, les victoires se sont succédé à un rythme si étourdissant que les Français, absorbés par les péripéties des libérations locales, ont quelque peine à suivre les événements, à savoir quelle partie du territoire national a été libérée, où se trouvent encore les Allemands. Depuis la jonction du 12 septembre, les deux vagues libératrices venues de Normandie et de Provence s'étant rejointes et formant désormais une ligne de front continue, la situation se clarifie. La radio, les journaux fournissent d'amples informations sur la marche victorieuse des armées alliées et, très fréquemment, des cartes permettent de faire le point. La seule lecture des communiqués suffit à déchaîner l'enthousiasme des commentateurs :
"Ce n'est pas un commentaire, c'est un palmarès. Les résultats que nous attendions depuis deux jours nous arrivent, dépêche par dépêche, au point qu'il est plus facile de mettre de l'ordre dans les idées que dans les faits. Procédons très simplement :
1° Les Alliés ont libéré Maestricht en Hollande.
2° Les Alliés ont encerclé Aix-la-Chapelle tandis que des combats se déroulent dans le centre de la ville.
3° Les Alliés ont occupé Thionville.
4° Les Alliés ont atteint Château-Salins.
5° Les Alliés, appuyés par les F. F. I., sont entrés dans Nancy et dans Charmes.
6° Les Alliés, partis de Mirecourt, se sont emparés d'Épinal."
(Combat, 16 septembre 1944.)
Ainsi, de la mer du Nord à la frontière suisse, les troupes alliées se dirigent vers le Rhin. Les seules fractions du territoire français encore occupées sont ces départements d'Alsace-Lorraine, annexés par le Reich en 1940 et qui tiennent si fort au cœur des Français que, dès 1941, les troupes de Leclerc, après avoir battu les Italiens à l'oasis saharienne de Koufra, juraient « de ne déposer les armes que lorsque ce même drapeau tricolore flottera également sur Metz et Strasbourg ». Désormais, le général Leclerc est à pied d'oeuvre puisque ses troupes viennent d'entrer à Épinal. A la lecture des journaux, l'impression prévaut d'ailleurs que la libération de l'Alsace et du Nord de la Lorraine est proche. Toute la presse a reproduit une photographie montrant les officiers allemands se précipitant sur leurs bicyclettes pour quitter Nancy, dans le plus grand désordre. Mais il n'est nullement question de déposer les armes quand commence l'investissement du territoire allemand. La grande ambition des Français semble être, au contraire, d'effacer jusqu'au souvenir de la défaite de 1940, en étant présents sur le sol du Reich, à l'heure de la victoire finale. Une vaste campagne est organisée pour pousser les F. F. I. à s'amalgamer à l'armée régulière :
"Les vertus de discipline, d'abnégation et de courage que vous avez montrées ne doivent pas s'amollir dans la joie de la libération. Les Forces Françaises de l'Intérieur sont appelées à constituer l'ossature de la nouvelle armée française. Des bataillons de volontaires F. F. I. régulièrement incorporés dans les cadres de l'armée française vont poursuivre la lutte aux côtés des armées alliées sous le commandement de leurs chefs F. F. 1. Vous serez fiers d'appartenir à ces glorieuses unités qui associeront la France résistante aux victoires finales... » (Instruction adressée aux F. F. I. de l'Eure par leur commandant départemental.)
Et les armées françaises s'étoffent par la participation de nombreux combattants de la Résistance. Une large publicité est donnée à certains de ces engagements, par exemple à celui du colonel Fabien*, chef des F. T. P. de Paris, qui rejoint le front avec son bataillon, et qui a trouvé la mort en Alsace, ou encore à celui du chef de la résistance parisienne, le colonel Rol Tanguy. La France est prête à participer à la victoire des Alliés.
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* On a su depuis qu'il est l'auteur du premier attentat commis à Paris contre un officier allemand, au métro "Jaurès".
La libération de l'Alsace-lorraine.
Mais, à la différence de ce qui s'était produit au cours des mois d'août et de septembre, la progression alliée s'est trouvée ralentie par une opiniâtre résistance allemande. Il ne s'agit plus désormais pour l'ennemi de conserver un territoire occupé, mais de défendre contre un envahisseur les frontières du Reich, dont l'Alsace-Lorraine fait, aux yeux des Allemands, partie intégrante. Aussi, pendant plusieurs semaines, assiste-t-on à une véritable stagnation des opérations militaires aux frontières de la France. La bataille s'éternise autour d'Aix-la-Chapelle, et le front se fixe autour des trois piliers de la défense allemande : Aix-la Chapelle, Metz, Belfort. Du coup, la presse attire l'attention sur les victoires alliées des autres théâtres d'opération et publie des cartes montrant le territoire occupé par les Allemands qui se rétrécit comme une peau de chagrin. On apprend ainsi, au cours du mois d'octobre 1944, que les Alliés ont débarqué en Grèce, ouvrant une nouvelle brêche, par le Sud cette fois, dans le dispositif de défense de l'ennemi. On suit la progression russe en Europe Centrale, sur le front de Hongrie et on applaudit à la première pénétration du territoire allemand par l'Est, l'entrée des troupes soviétiques en Prusse-Orientale.
Mais il faut attendre le mois de novembre pour que se déclenche enfin l'offensive attendue des Alliés sur l'Alsace. A partir du 15, la " Armée française lance une vigoureuse attaque sur Belfort, qui ouvre aux troupes du général De Lattre la route de l'Alsace par le Sud. En même temps, les Américains progressent dans le Nord de la Lorraine, et le 20 novembre le général Patton libère enfin Metz. Par le Nord et par le Sud, les troupes alliées convergent vers le dernier bastion allemand en France. Et les communiqués victorieux emplissent les journaux et les bulletins d'information de la radio. Le 21 novembre, un de ces bulletins de victoire annonce une nouvelle qui fait la fierté des Français : les troupes françaises ont atteint le Rhin, en tête des armées alliées.
"La présidence du gouvernement communique : Les éléments avancés de la lre armée française ont atteint le Rhin au Sud-Est de Mulhouse le 19 novembre à 19 h. Les troupes françaises ont fait leur entrée à Belfort, ce matin, à 9 h 30 elles poussent vers Mulhouse. L'investissement de Metz est maintenant complet. Gérardmer a été libérée."
Et tandis que, pour la première fois depuis 1940, les obus français commencent à pleuvoir sur la rive droite du Rhin, le général de Lattre fait son entrée à Mulhouse. Désormais, tous les regards sont tournés vers la ville qui symbolise la réalisation de l'unité française, et sans laquelle la libération du territoire ne saurait être complète : Strasbourg. Mais les troupes alliées du Nord n'ont pas encore franchi les Vosges, et nul ne pense que l'ennemi n'a pas préparé une solide résistance autour de la capitale alsacienne. Aussi, le 24 novembre, la surprise est-elle grande quand on apprend que le général Leclerc, le libérateur de Paris, a fait la veille son entrée à Strasbourg. Et les détails se multiplient sur l'audacieuse manoeuvre : le passage par surprise des Vosges au col de Saverne alors que les Américains sont encore arrêtés sur les crêtes de la montagne, l'investissement de la ville par toutes les routes convergeant sur Strasbourg, et une arrivée si rapide dans la capitale alsacienne qu'elle prend au dépourvu aussi bien les Strasbourgeois stupéfaits d'une libération si soudaine que la défense allemande qui reste presque sans réaction. Ainsi, le général Leclerc a tenu le serment de Koufra et il peut adresser le 26 novembre aux habitants de Strasbourg réunis place Kléber pour une prise d'armes une proclamation qui est saluée d'une vibrante Marseillaise :
"Pendant les quatre ans de la lutte gigantesque que nous avons menée sous la direction du général de Gaulle, votre cathédrale a été notre obsession. Nous avions juré de voir le drapeau tricolore à son sommet. C'est fait. Je vous demande de saluer avec respect nos compagnons de combat, officiers, sous-officiers et soldats, qui réalisèrent une poussée héroïque pour franchir les Vosges et libérer Strasbourg. Je salue avec émotion ceux qui sont morts. Citoyens de Strasbourg, la France et ses alliés ne commettront pas les fautes du passé. L'envahisseur ne reviendra pas."
La libération de Strasbourg signifie si clairement pour tous les Français la conclusion victorieuse de la bataille de France que le ministre de la Guerre fait une déclaration largement reproduite par la presse, qui, en même temps qu'un message de félicitations à l'Armée, constitue un bilan de la guerre de libération :
"Nos trois couleurs flottent à nouveau sur l'Alsace. Après Altkirch, après Mulhouse, Strasbourg est délivrée du joug allemand. La France entière salue avec une intense émotion la fin du martyre des populations alsaciennes. « endant près de quatre ans, tous ceux qui, à l'appel prophétique du 18 juin 1940, ont rejoint le général de Gaulle, tous ceux, aussi, qui n'ont cessé de lutter en France au sein de la Résistance, ont attendu ce jour de gloire et ce couronnement de leurs efforts sans jamais douter des destinées de la patrie.
22 novembre 1918 Entrée des Français dans Strasbourg reconquise après cinquante-deux mois d'une guerre implacable.
20 novembre 1944 La première armée française du général de Lattre de Tassigny, formée des troupes venues d'Afrique et des unités F. F. I., monte la garde sur le Rhin.
21 novembre 1944 Mulhouse est délivrée par la première armée française.
23 novembre 1944 Les troupes du général Leclerc qui, le 26 août, avaient, avec l'aide des Forces Françaises de l'Intérieur, délivré Paris, libèrent Strasbourg.
La France est fière de son armée...
VII. Les dernières alarmes
La contre-offensive allemande.
Après la prise de Strasbourg, le sentiment général en France est que la libération définitive n'est plus qu'une question de jours. L'ennemi ne se maintient plus que dans quelques poches côtières isolées sur l'Océan Atlantique, autour de Royan, La Rochelle, Saint-Nazaire et Lorient. Puissamment retranché, il est certes en état de résister, mais des unités françaises constituées avec des combattants venus des F. F. I. bloquent étroitement ces poches et interdisent à l'ennemi de songer à des actions autres que défensives. Une poche semblable existe sur la mer du Nord, celle de Dunkerque. Enfin, dans la plaine d'Alsace, un centre de résistance ennemi se maintient autour de Colmar, empêchant le jonction de la 1ere Armée française, qui occupe au Sud la région de Mulhouse, et des troupes américaines (dont fait partie la 20 Division Blindée du général Leclerc) qui, après la victoire de Strasbourg, ont occupé le Nord de la Basse Alsace. Au total, estime-t-on en France, assez peu de chose. Sauf les Alsaciens et les habitants des zones voisines des poches côtières, directement intéressés aux opérations, la majorité des Français ne considère plus que d'un œil distrait la situation militaire on se sent désormais plus spectateur qu'acteur. Et les préoccupations portent sur la réorganisation de la vie quotidienne qu'il faut reprendre après quatre années d'occupation et les grands bouleversement de l'été. On célèbre dans le recueillement les fêtes de fin d'année, les premières qui, depuis 1939, se déroulent dans la liberté retrouvée.
L'intérêt des Français se porte aussi vers le sort des nombreux prisonniers de guerre et déportés, enfermés dans les camps de concentration allemands et qui se trouvent pris dans la zone des combats. Les déportés n'ayant jamais pu communiquer avec leurs familles, celles-ci sont sans nouvelles d'eux, parfois depuis plusieurs années. Sont-ils morts ou vivants ? Pourra-t-on revoir les êtres chers dont on a été brutalement séparé par l'occupant ? Autant de questions auxquelles on espère maintenant que la victoire militaire des Alliés apportera une réponse conforme aux vœux caressés depuis des années. Pour les prisonniers de guerre, qui ont généralement pu écrire à leur famille durant leur détention, la Libération a interrompu les possibilités de communication. Bien des Français attendent, pour se livrer totalement à la joie de la liberté retrouvée, le retour maintenant prochain des détenus.
A ce climat d'optimisme ou d'espoir, les événements de la midécembre apportent un démenti brutal. Le 16 décembre, les troupes allemandes lancent une soudaine contre-offensive dans les Ardennes; elle s'accompagne d'une vigoureuse reprise de l'activité militaire allemande en Alsace, à partir de la poche de Colmar. Malgré l'optimisme officiel dont font preuve les journaux, la lecture des communiqués laisse percer l'inquiétude. Le 19 décembre, on peut lire dans un nouveau quotidien, Le Monde, qui paraît le même jour, les nouvelles suivantes :
"... une contre-offensive de grande envergure a été déclenchée par les Allemands entre Montjoie et Trêves; cette attaque, précédée d'une forte préparation d'artillerie, appuyée par de puissants moyens, et bénéficiant de l'effet de surprise, a obligé les éléments alliés qui, dans ce secteur, se trouvaient en Allemagne à proximité des frontières belge et luxembourgeoise, à repasser les frontières de ces deux pays, notamment près de Honsfeld et d'Echternach. La pénétration allemande sur les confins belges et luxembourgeois atteint en certains points plusieurs kilomètres; ailleurs, elle a été enrayée. Cette contre-offensive est appuyée par des tanks et par l'aviation et comporte des lâchers massifs de parachutistes. Elle paraît constituer l'effort le plus sérieux accompli par la Wehrmacht depuis le débarquement... D'autre part, une puissante attaque ennemie se poursuit dans la plaine d'Alsace et la région des Vosges. Elle a obligé les troupes françaises à céder un peu de terrain c'est ainsi qu'au Sud de Strasbourg le village de Diebolsheim, à 16 km à l'Est de Sélestat... a dû être évacué, de même que deux villages au Nord-Ouest de Colmar et une position dans les Vosges."
On conçoit qu'à la lecture de telles nouvelles, et en dépit de la belle assurance dont témoignent par ailleurs les communiqués officiels, l'inquiétude se soit emparée de bien des Français. En Alsace particulièrement, l'alarme est grande. Prises en tenaille par la contre-offensive allemande, les troupes qui occupent Strasbourg vont-elles pouvoir résister ? Le général Leclerc pourra-t-il tenir son serment : « l'envahisseur ne reviendra pas » ? Mais les Alsaciens ne sont pas les seuls à s'effrayer ; devant la poussée ennemie dans les Ardennes, le front allié va-t-il tenir ? Paris rr'est-it pas exposé à un retour offensif des Allemands ? Les poches de l'Atlantique ne peuvent-elles servir de bases à une contre-offensive qui prendrait à revers les armées alliées ? Dans les derniers jours de 1944, les nouvelles les plus fantastiques circulent; elles trouvent un aliment dans l'inquiétude compréhensible des Français qui viennent de subir quatre années de l'occupation la plus rude et qui savent de quelle manière les Allemands ont traité les populations soupçonnées d'aider les Alliés ou la Résistance. Dans certains cas, c'est une véritable panique qui règne, et nombreux sont les habitants du Nord ou de la région parisienne qui se préparent à la fuite au cas où se produiraient de nouvelles victoires allemandes.
Quelques jours plus tard, l'arrêt de la contre-offensive dans les Ardennes ramène le calme en France. Mais cette année 1944, si fertile en événements, ne s'achève pas sans qu'il subsiste chez les Français quelque inquiétude. Battu en France, l'ennemi s'est réorganisé à l'abri de ses frontières, et la tentative de percée des Ardennes prouve qu'il n'est pas sans ressources. Les poches de l'Atlantique et de Dunkerque tiennent toujours. Dans la poche de Colmar, les combats font rage; les Allemands semblent conserver l'initiative et menacent Strasbourg, récemment libérée. L'espoir l'emporte cependant sur ces motifs d'alarme. La France a reconquis sa liberté et sa fierté. Elle a une armée, une population décidée à conserver l'indépendance retrouvée. Elle est prête à relever les ruines dont les combats de la guerre ont jonché son sol.
C'est au moment de la libération de Schirmeck, en Alsace, que fut révélée pour la première fois, au public, l'existence des camps de déportation. Celui du Struthof, voisin de cette ville, compte parmi les plus sinistres. On voit ici deux soldats américains contempler une inscription de propagande nazie qui signifie « Les Juifs, les démocrates et les bolchevistes sont les fossoyeurs de l'humanité. Voici pourquoi nous combattrons jusqu'à la victoire finale.
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