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La Braderie par François Louis Joseph Watteau, dit Watteau de Lille

 

 

 

Dès le début du XIII° siècle, les grandes maisons seigneuriales et bourgeoises de Lille, avaient donné le droit à leurs gens de maison, de "brader", c’est-à-dire de vendre pour s’en défaire, et ce au profit des "varlets"(1), les vêtements, lingeries, chausses, ustensiles, que leurs maitres jugeaient hors d’usage. Cette tolérance qui ne valait que pour une matinée désignée par les échevins d’alors, donna naissance à la Braderie. La vente avait lieu alors à la porte des demeures. Elle attirait comme on pense, bien des pauvres hères de Lille et des environs heureux de trouver des vêtements à bon compte.

 

Or, il arriva que, un peu à la fois, la coutume s’implanta de profiter de ce jour octroyé par les échevins, pour vendre de cette façon tous les objets hors d’usage.  Ce ne fut qu’au XV° siècle que les marchands comprirent le parti qu’ils pouvez tirer de cette façon de se défaire de leurs fonds de magasin. Les chiffonniers, les vendeurs de ferrailles, furent les premiers à profiter du jour de Braderie. Un emplacement fut désigné, la rue de Paris actuelle : il n’a pas varié jusqu’en 1890, et est encore actuellement le centre, le cœur de la Braderie lilloise, ce qu’il faut visiter si l’on veut saisir une idée de l’antique Braderie avec son sans-façon, son sans-gêne, sa gaité bien flamande et rabelaisienne. La nuit surtout y revit la vielle physionomie de la Braderie.


LES "PACOULS" A LA BRADERIE

 

Les pauvres "pacouls" des environs de Lille (on appelait de la sorte les paysans, pendant le Moyen-Âge, au temps de la Renaissance et des XVII° et XVIII° siècles), qui se hasardaient à la Braderie, furent longtemps les souffre-douleurs de ces réjouissances. Pourtant, ils venaient en foule. C’était une si bonne aubaine pour eux. Mais il n’était pas rare de les voir se promener innocemment avec un "sauret" (2) attaché dans le dos, ou encore un écriteau annonçant A la Braderie, au reste !... ou que la victime de la plaisanterie était de la famille des ânes. Au surplus, on leur jouait mille tours pendables à ces pauvres pacouls. Bon diables, ils se laissaient faire, tout en admirant "la ville", le nez au vent.


LA PHYSIONOMIE DEFINITIVE DE LA FÊTE

 

La Braderie, telle que nous la connaissons de nos jours, prit sa physionomie définitive à la fin du XVIII° siècle et pendant la Révolution. De plus en plus elle se cantonna d’abord rue de Paris et autour du Vieux Théâtre situé alors face à la rue Faidherbe actuelle, laquelle rue n’était pas encore percée. Grâce au tableau du Musée de Peinture de Lille, dû au talent du peintre François Watteau, nous sommes fixés sur ce qui se passait alors à la Braderie. Ce devait être ce jour-là, à Lille, un tapage formidable, un désordre ahurissant, une liesse désordonnée, une cohue débordante au milieu de laquelle des gaillards à la main trop leste ne se faisaient pas faute de trouver des cotillons. Dame !... la vieille Flandre étai gaillarde, et l’usage de la bière lui a toujours fait la plaisanterie un peu lourde, les jours de folle sarabande surtout.

 

Au cours du XIX° siècle, le mouvement, la vogue de la Braderie ne firent que croitre. Le bon chansonnier Desrousseaux l’a chantée, a écrit sur elle : Il n’y a certainement pas fête plus populaire, plus connue dans le Nord de la France, que ne l’est notre franco-marché de la Braderie. Et plus tard, un autre chansonnier lillois, le père Emile Hornez, poète délicat et subtil, bon vivant, certes, mais faisant ses poésies non en patois, mais en français, chantait à son tour la Braderie.

 

I
La Braderie !... à ce mot là
Tout cœur de vieux lillois s’agite.
Chacun l’attendait : la voilà,

Cette fête... … Allons, vite, vite !
Marchands de bric-à-brac, fripiers,
Chercheurs de toute vieillerie.
Avant le jour soyez sur pieds :
C’est aujourd’hui la Braderie !...

 

II

Le plus petit recoin est pris
Par les vendeurs, du Vieux Théâtre
Jusqu’à la Porte de Paris.
Et quel monde vif et folâtre !
Que de boutiques en plein vent !
Vieux habits, chiffons, literie,
Bouquins, vieux chapeaux, tout se vend

A tout prix à la Braderie !...

 

III

Bazar immense et sans pareil,
Vendant à la foule accourue,
Chacun a sa place au soleil,
Le Temple d'aujourd'hui, c'est la rue.
Qu'il est bon d'oublier l'impôt !...
Merci, Madame la Mairie.
Lille mettra la poule au pot
En l'honneur de la Braderie !

 

Depuis 1890 environ, la Braderie s’est étendue un peu de tous côtés. Elle gagna d’abord les rues du Sec-Arembault et des Manneliers, puis la Grand’Place, pointant de là rues Nationale, Esquermoise, Neuve et Grande Chaussée. Actuellement, elle occupe tout le centre de la ville, débordant même sur la rue Léon Gambetta, le Marché de Wazemmes, d’un côté, le boulevard des Ecoles de l’autre, etc…. Tant et si bien que l’on peut affirmer que tout commerçant lillois liquide, liquide… non seulement du vieux, mais du neuf.

 

A cet immense marché en plein vent, chacun peut trouver son compte !... Mais il s’agit d’avoir l’œil vif, de ne pas craindre la bousculade, ni la gaité.

 

Note : Le texte ci-dessous est une adaptation d'un article publié dans un quotidien régional de 1931.

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1 - jeunes pages au Moyen-Âge

2 - hareng salé et fumé

Jusqu'aux années 1970, la Braderie se terminait le lundi à 13 h 30. Et ce jour était chomé, c'était le "Lundi de Braderie" !

 

 

 

 

 

LES BRADERIES D’AUTREFOIS (article publié en 1951)

 

Le deuxième lundi de la Foire de Lille est depuis temps immémorial, jour consacié a la Braderie. D'où vient ce mot ? Un vieux dictionnaire de mots patois en donne une simplification . "Brader", action de vendre ce qui a déjà servi ce qui est plus ou moins usé.

 

L'a Braderie de Saint-Sauveur il y a 50 ans

 

Jadis, à Saint-Sauveur, les paysans des environs de Lille (pour lesquels les gens de la ville constituaient une sorte d'aristocratie), accouraient dans le quartier. Leur ambition n'était nullement d'acheter des marchandises neuves ; oh ! que non ! Il leur fallait du "déjà porté". du "déjà mis". On cherchait, dans des tas d'objets déposés à même sur les trottoirs, quelque chose qui pouvait encore "faire l'affaire". Et on avait attendu le jour de la Braderie pour faire cette acquisition, persuadé qu'on ferait une bonne affaire.

C'étaient des souliers plutôt grands que petits, et qu’un bon raccommodage remettrait en état ; une jupe, un pantalon, une redingote que la brave mère de famille n'aurait qu'à retoucher, ou des ustensiles de ménage, plus ou moins en bon état, dont le rétameur ou le serrurier du village permettrait de tirer parti .

 

En 1902 on "brada" rue Nationale

 

Les impressions d'un "bra deux", de cette époque-là sont toutes différentes de celles d’un visiteur du véritable marché qu'est actuellement la Braderie. En ce temps-là, on pouvait voir (et uniquement dans les rues Faidherbe, de Paris et Esquermoise), des rangées d'étalages au bord des trottoirs, à terre, ou sur des planches soutenues par des tréteaux. C'est en 1902 que l'on brada rue Nationale, mais dans cette artère ce fut une sorte de liquidation générale, une vente forcée, un gigantesque déballage ! Tandis que dans les autres rues, c'était un amoncellement désordonné de marchandises de toutes sortes. Les vendeurs offraient aux passants d'invraisemblables occasions.

Les vendeurs étaient des as, discutant avec le client, lui demandant ses prix et ne le laissant partir qu'à regret, et après avoir épuisé les dernières concessions. Il fallait voir leur sourire vainqueur quand, d'un air plus que satisfait, ils emballaient l'objet choisi parmi le chaos des "rossignols" de toute esjiece...

 

Les boniments d'alors

 

Il fallait entendre les boniments des charlatans et des camelots, les rou'ements de leur tambour à la peau crevée, ou les sons criards de leur orchestre de ...deux musiciens !...

"Mesdames el Messieurs, criait l'un d'eux (qui pour la circonstance avait revêtu un costume d'astronome, sans en oublier le chapeau pointu constellé d'étoiles dorées, une parure de chemise en véritable doublé-or pour rien ! Un cadeau..."

Et ce n'est pas tout... Approchez M'sieurs, Dames ! Allons, en arrière les enfants... Voici un joli porte-monnaie pouvant en même temps servir d'étui à cigarettes.

Et ce n'est pas encore tout !.. Une magnifique épingle de cravate en imitation d'argent. Les huit pièces non pas pour 1 fr. 25, ni pour 50 centimes, mais pour la bagatelle de six sous !..".

 

Pour les vers solitaires

 

Un peu plus loin, on pouvait voir, à côté d'une caisse d'emballage lui servant de table, un charlatant prônant les vertus d’un remède contre les vers. Son discours était enflaminé. Voyez plutôt :

"Voyez-vous, Mesdames, dans ce bocal. Un enfant de cinq ans est mort de cette terrible maladie!...".

Et il faisait passer sous les yeux du public, qui s'en trouvait bouche bée, un cœur de pigeon ou de lapin, traversé de part en part d'un long morceau de macaroni... Et pendant ce temps-là, le piston et la basse jouaient une marchce funèbre !...

 

La Braderie est typiquement Lilloise

 

Autrefois, quand on voulait saisir, sur le vif, le caractère spécial de la Braderie, c'est au lieu d'origine qu'il fallait se rendre : dans le quartier Saint Sauveur. En ce temps-tà, tous les riverains des rues de Paris et de St Sauveur, devenaient marchands ou plutôt étaient fripiers. Le fameux lundi, on descendait du grenier tout ce qui n’avait pas été vendu l'année ou les années précédentes, et aussi tout ce qu'on avait monté au cours de l'année courante.

Sur le trottoir, sans plus de cérémonie, on en faisait un tas. Il y avait de tout : de vieux bouquins, de vieilles boites, de vieux habits, de la ferraille rouillée, des vieilles pendules. En résumé tout ce qui était vieux et qui ne pouvait guère servir. Qui pouvait dire a quelle date l'horloger avait mis la dernière main à ce cadran jaune marqué de chiffres arabes ? Le tout était surmonté d'un paysage qui s'était éraillé petit à petit et dont on ne voyait plus que la couleur sale ?...

On y vendait les livres, trois pour deux sous ! Et il y en avait pour tous les goûts ; des grammaires, des arithmétiques decimales, des romans d'Alexandre Dumas et des fables de La Fontaine. Des chaussures éculées voisinaient avec une croix de la Légion d'honneur au ruban plus que passé, des trousseaux de clefs, des bretelles, des accessoires de vélos, un quinquet en cuivre, des assiettes à fleurs et de désuets chapeaux de paille. Ceux de Saint-Sauveur n’oubliaient jamais à cette époque de l'année d'étaler et de proposer aux nombreux visiteurs toutes leurs, vieilleries.

 

Au cours des Braderies de jadis, ceux qui erraient parmi les innombrables "bradeux" sentaient un goût de terroir qui s'en dégageait. Oui, la Braderie, est bien typiquement lilloise !..

 

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UN POEME D'AUGUSTE LABBE (1930)

 

Eun’ fiête à Lille point ordinaire
Et qu’ cha fait fureur tous les fos
Ch’est bien cheull’ Brad’rie populaire
Tant aimée par tous les Lillos.

L’ Braderie  ch’est ’n vrai r’mu’-ménache.
On y pass’ tout’ l’ nuit joyeus’mint,
Pindant qu’ les marchands s’ mettent in plache.
Les bradeux ont tout du bonimint :
"Au reste, au reste, tros quarts d’hazard !!!
Tout l’ nuit on y fait l’ mêm’ pétard."

 

L’ Brad’rie ou l’ Carreau des vieus’ries,
L’ rindez-vous des gins sans sommei’,
Uch’ qu’on y vot des comédies
Comme on in vot point l’ soleil.
L’ Brad’rie aimé’ des noctambules
V’nus d’ tout partout l’ départemint,
Car cheull’ nuit- là  montres et pindules
Sont tous remisé’s et commint !

"Au reste, au reste, tros quarts d’hazard !!!
Tout l’ nuit on y fait l’ mêm’ pétard."

 

Vive l’ Brad’rie !... cheull’ joyeus’ fiête
Qu’elle attir’ tant d’gins parmi nous.
Uch’ qu’on s’ rhabill’ des pieds à l’ tête
In n’ déboursant point gremint d’ sous !
Nos pères aussi aimottent à l’ faire,
Et nos deschindants f’ront comme eux.
L’ Brad’rie restera populaire.
Toudis on pouss’ra ch’ cri fameux :

"Au reste, au reste, tros quarts d’hazard !!!
Ch’est la Foire ! V’nez vir au hazard."

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En septembre 1930, un quotidien régional racontait la braderie :

 

La coutume de tout blaguer, de rire à tout propos, d’inventer les plus grosses malices fait que, dans la foule compacte, on a l’originalité d’acheter ou de marchander en s’amusant.. Au surplus, la braderie est un jour de fête, jour de repos général, jour où, tous atours exhibés, fous costumes du dimanche endossés, tous soucis chassés, on ne pense qu’à s’égayer, à s’ébattre joyeusement et à profiter des occasions, puisque ce matin-là, elles doivent être toutes, par définition, exceptionnelles.

Vers 9 heures, les phonos, qui ont usé des disques toute la nuit, ont la voix rauque et pénible des chanteurs fatigués, le rythme de toutes les musiques barbares s’est ralenti, mais l’animation atteint son maximum.


Cadre naturel des immeubles entassés, des vitrines achalandées, d’une guirlande longue, de tables sur tréteaux mal alignés et qui se prolonge le long des rues en puissance de braderie. Le tambour bat, un porte-voix aboie des phrases inouïes, des  camelots rivalisent d’éloquence persuasive, un jazz attire la foule... ; des crécelles assassinent les oreilles en appelant les amateurs de moules, cuites en série. Des jeunes gens, coiffés de fez en papier, courent en gesticulant : des ballons rouges s’élèvent ; des baudruches immenses et gonflées se dressent, dont un mauvais plaisant disait que c’était des rêves de vierge, et qu’un marchand affirme qu’elles avaient traversé l’Atlantique. Les plaisanteries vont bon train et les forains savent avoir de l’esprit.

 

Le vendeur d’une tisane douée de tous les pouvoirs, clamait en un cours d’herboristerie médicinale bien imitée, qu’il était le petit-fils du ver solitaire de R…, et que grand-mère avait raison, qui, au lieu d’aller au cinéma s’occupait à chercher des plantes de santé ; un fourreur dont l’appendice nasal décelait l’origine *, s’écriait avec sérieux : "Ne vous basez pas sur les prix ; à n’importe quel prix, nous sommes vendeurs, faites une offre sérieuse et la marchandise est à vous" ; un charlatan qui vendait dix objets au prix d’un seul, ne craignait pas de terminer son discours bien ordonné par cette anormale conclusion : "Je travaille pour mon plaisir, ma fortune est faite !" Un  méridional dont l’accent chantait dans sa gorge grippée, prouvait que sa pierre, gloire de la Foire de paris, guérissait tous les maux, y compris  ceux qui atteignent l’intelligence. A midi moins cinq, un camelot, une poignée de chaussettes à la main, les offrait pour trois fois rien, en adjurant les gens attroupés de faire vite parce que toute la police le guettait !...

 

La cloche n’a pas sonné, mais c’est le signal de la fin du marché. L’apparition des premières autos jette le désarroi. Les marchands s’empressent au rapide déballage de leurs attributs de vente avec la mine bourrue des gens qui ont perdu leur temps. La foule cherche, dans les cafés, les forces apéritives pour absorber ensuite les dernières moules et les dernières frites chez le bistrot du coin.
Après un "demi bien tiré", qui n’était pas le premier, tout le monde, en famille, en groupe, est allé terminer la fête de la braderie à l’Esplanade, où la foire continue à dispenser la fantasmagorie de ses extraordinaires réjouissances.


* Phrase dans le texte original

dessin de 1913

 

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un article publié en 1890 :

 

La voici revenue, notre vieille Braderie, notre foire "en vieux" qui, malgré les altérations sensibles qu’elle a subies, garde encore dans son étrangeté comme un reflet des temps anciens.

A quelle époque remonte l’institution de la Braderie ? Les chercheurs les plus érudits n'ont pu nous renseigner à ce sujet. Tous sont d’accord pour affirmer son antiquité, on constate qu’elle était prospère dans des temps très reculés : personne ne sait quand et comment elle a surgi. Elle aura commencé toute seule, modestement, timidement, se sera accrue sans qu’on y prît garde, se confondant longtemps avec le franc marché de la foire. Par cela même qu’elle prenait directement ses racines dans un instinct de cupidité populaire, abandonnée à elle-même et non régentée par des règlements, la Braderie s’est étendue et fortifiée, elle a résisté à tout, s’accommodant aux temps et aux circonstances et c’est aujourd’hui la seule institution ancienne qui ait conservé la vogue, l’entrain, et, dans une certaine mesure l’allure, qu’elle avait au moyen âge.

Alors, c’étaient les gens de maison qui vendaient les défroques de leurs maîtres aux paysans accourus pour se renipper à peu de frais; c’étaient les petits boutiquiers qui se débarrassaient des rossignols accumulés dans leur échoppe ; vieux galons, vieux habits s’étalaient pêle-mêle en bordure le long des maisons de la rue de Paris, encore dépourvue de trottoirs et qu’on nommait rue des Malades. Les charlatans, vendeurs de vulnéraires, d’orviétan, de secrets pour garder aux hommes la vigueur, aux filles la beauté, pour détourner les maléfices et sortilèges, se mêlaient aux bradeux , lançaient lazzis et quolibets auxquels Jacques Bonhomme ripostait avec son gros bon sens et sa tinesse madrée.

De quatre à six heures du matin c’était, dans cette rue de Paris, une animation, un brouhaha, un entrain, une bousculade insensés. On s’interpellait, on s’apostrophait du plus loin qu’on se voyait ; chaque fois qu'on reconnaissait un "pays" c’étaient de bruyantes manifestations de joie, c’étaient des cris et des clameurs que dominait, sur une note glapissante, l'appel traditionnel : Au reste! au reste!

Aujourd’hui, les gens de la maison ne vendent plus à la Braderie, le vieux s’en va : des marchands authentiques avec des objets neufs ont pris leur place. Dès la veille, ils se sont installés sur toute la longueur de la rue de Paris et aux abords du théâtre; ils y couchent pour avoir dès l’aube une place du droit de premier occupant. Les dentistes ambulants se mêlent à la fête et remplacent, avec la gaieté en moins, et des tambours et trompettes en plus, les charlatans d'autrefois.

Mais ces modifications constatées, on peut dire que pour le reste la Braderie est aujourd’hui ce qu’elle était autrefois. Elle a gardé sa vogue et sa réputation, le paysan y accourt, le Lillois y assiste, et l'on s'y écrase en conscience comme au bon vieux temps. Nous faisons trop facilement mépris des choses du moment pour glorifier le passé. Au fond notre Braderie est bien restée ce qu’elle fut jadis. Demandez aux étrangers qui y assistent pour la première fois ce qu’ils en pensent et ils vous diront : "C’est du vrai moyen âge ; comme coutume locale rien n’est plus curieux". Et c’est vrai !

Notre Braderie s’est toujours adaptée aux temps, et c’est par ses adaptations nouvelles qu’elle reste elle-même, qu’elle conserve son caractère propre. Elle a peut-être un peu perdu d’originalité, je l’accorde, mais il lui en reste cependant assez pour être à l’heure présente une fête unique en France. On lui reproche de n’être plus amusante ; dame ! c’est que nous-mêmes ne sommes plus gais, c'est que les jours où nous vivons sont peu propices à la joie insouciante et sans mélange. Au moyen âge, d’ailleurs, elle ne fut pas drôle tous les ans : dans les périodes de peste, de guerre, de famine, on ne s’y tordait pas de plaisir, croyez-moi.

Mais après les jours tristes venaient les jours heureux, et la Braderie reprenait son gros rire. Pourquoi n’en serait-il plus de même ?

Enfin, telle qu’elle est, le Lillois l’aime encore et il a raison. Espérons que nous saurons la garder et la transmettre aux générations futures comme nous l’avons reçue des grands-pères de nos grands-pères.

 

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rappelons que ce texte est ancien (1890 !) et que les mentalités ont changé

 

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à voir :

photos de la Braderie de Lille dans les années 1910

photos de la Braderie de Lille dans les années 1920

photos de la Braderie de Lille dans les années 1930

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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