ACCUEIL | L'HISTOIRE | BOUVINES - 28 JUIN 1914 - VIIe CENTENAIRE DE LA BATAILLE

 

 

 

 

 

En vue de la célébration des 700 ans de la Bataille de Bouvines, un concours d’affiche fut organisé par le Comité des Fêtes Commémoratives de la Victoire de 1214. Voici un projet, disons-le, un peu humoristique publié dans un journal régional le 1er novembre 1913. Vous trouverez en bas de page deux projets "plus sérieux".

 

 

 

 

Le pont de Bouvines, sur la rivière La Marque, est de construction récente. Il a remplacé le vieux pont de pierres situé en aval du pont sur lequel passa l’armée de Philippe-Auguste – La Chapelle aux arbres. Placé au milieu de la plaine se déroulant de Bouvines à Camphin, ce groupe d’arbres entourant un calvaire marque l’endroit où était le centre de l’armée française avec Philippe-Auguste, face à l’Empereur d’Allemagne – Erigé en 1863 à l’entrée du village de Bouvines, ce modeste monument rappelle la grande date du 27 juillet 1214. C’est à peu de distance de cette pierre que s’élèvera un nouveau monument, plus important cette fois.
P.S. : de nos jours, les deux monuments subsistent.

 

 

 

 

Les fêtes commémoratives préparées de longue date pour le septième centenaire ont été célébrées le dimanche 28 juin avec un éclat imposant. Annoncées à Lille, dès le 26 au soir par les sons éclatants des fanfares militaires qui précédaient une brillante retraite aux flambeaux, puis le samedi à Cysoing, elles se sont terminées le dimanche sur les lieux mêmes de la bataille par une apothéose.

 

Sur les photos : Sur l’estrade officielle pendant les discours – Au théâtre de verdure (dans la propriété de M. Félix Dehau, maire de Bouvines, la représentation par les artistes de l’Odéon, de La Fille de Roland, d’Henri de Bornier.

 

 

BOUVINES 1214-1914

 

II


Anglais, Teutons, se ruaient au carnage,
Sûrs, croyaient-ils, du succès des combats,
Cherchant en vain à briser le courage
De nos aïeux qui ne faiblissaient pas,
Frappant sans cesse et d’estoc et de taille.
Nos fiers guerriers aux prix de mille efforts,
Sur l’agresseur gagnèrent la bataille.
Le sol poudreux était jonché de morts.


REFRAIN

III


Nous n’oublierons jamais cette victoire.
Bien que depuis, sept siècles aient passé ;
L’enfant lira cette page d’histoire
Avec orgueil, sans en être lassé.
Dès ce beau jour, notre France était née,
Et c’est parmi tous ces rivaux jaloux
Que commença sa haute destinée
Peuples et Rois, près d’Elle, inclinez-vous !


REFRAIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aux vainqueurs de Bouvines, la cantate  (paroles de Emile Legrand, musique de Oscar Petit) qui fut chantée à Lille, le vendredi 26 juin 1914, pendant la retraite aux flambeaux.

 

 

 

Le samedi 27 juin eut lieu à Lille, une Soirée de gala au Théâtre Municipal de Lille*, au profit de l’érection du monument commémoratif, avec une représentation de Comme les Feuilles (Come le foglie), comédie en 4 actes de Giuseppe  Giacosa traduite par Mle Darsenne.

 

* de nos jours, l'Opéra de Lille.

 

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Un journal régional avait organisé en octobre 1913, un concours pour la composition d’une affiche à propos du VIIe centenaire. Le sujet imposé était un épisode de la bataille. Deux projets ont été présentés au jury, qui a décidé de partager le prix affecté à ce concours entre M. Guillaume, artiste peintre à Malo-les-Bains (affiche de gauche), et M. Franquet, dessinateur à Lille (affiche de droite). Ces projets ne sont pas définitifs.

 

 

 

 

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Il y aura tantôt 700 ans que Philippe-Auguste livrait bataille à l’empereur Othon IV dans la plaine de Bouvines. Le hasard d’une excursion nous a fait passer par là ces temps derniers, et nous nous sommes arrêtés dans le silence de ces champs historiques. La terre y est paisible, le vent qui chante son refrain triste dans les hauts peupliers nous dit les plaintes des blessés après le choc formidable des armées d’airain; beaucoup de ces guerriers bardés de fer s’endormirent en la glèbe rousse, et l’on retrouva dans les siècles suivants, leurs armures, boucliers et épées, reliques historiques que les antiquaires se disputent encore à l’heure présente.

 

Bouvines conserve le culte de cette page d’histoire ; son église est là qui le prouve. Située sur une hauteur, la sainte demeure actuelle fut, en effet, construite sur l’emplacement de la chapelle en laquelle Philippe-Auguste pria et déposa son diadème avant la bataille (27 juillet 1214). Ses troupes prièrent, elles aussi, devant la croix de pierre qui s’érigeait alors derrière la chapelle, et c’est encore en cet endroit que furent enterrés les vaillants chevaliers et archers du roi, le soir du combat, qui fut, selon les écrivains du temps, d’une fureur extrême.

 

L’église de Bouvines est bien le monument élevé à la gloire des guerriers français morts en ce coin de terre pour notre belle patrie. C’est un remarquable édifice que nous devons à l’art et à la science de l’éminent architecte lillois M. Normant-Dufresne. Notre concitoyen y a mis tout son cœur ; il en a fait un sanctuaire, véritable œuvre d’art, qui est une belle reconstitution historique, et dont Mme Normant-Dufresne, sa veuve, en est restée la gardienne et la bienfaitrice.

 

article publié en 1912

 

 

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Passant, arrêtestoi: cette plaine est Bouvine.

Ici l'envahisseur germain fut rejeté,

Afin que se fondât la durable unité

D'une France obstinée à demeurer latine.

 

Ces champs dont la moisson à tous les vents s'incline,

Le sang ici versé fit leur fertilité.

Cet horizon de calme et de sérénité

Fut fatal à l'orgueil de la race voisine.

 

Ici l'on vit combattre et vaincre, un contre trois,

Les Français; et flotter l'oriflamme des rois

Au=dessus d'une enseigne en nos mains prisonnière.

 

Passant, au monde entier, dis que comme autrefois

La nation demeure héroïque et guerrière

Où le vieux sang romain se mêle au sang gaulois.

 

André M. de PONCHEVILLE.

 

 

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L'église de Bouvines en 1914 - en médaillon : l'architecte lillois Auguste Normant-Dufresne

 

 

Les Chefs du Nord à Bouvines

 

Barrès conduit son fils unique sur les pentes escarpées de Sion-Baudémont et cherche à éveiller chez lui, devant le château des ducs de Lorraine, la conscience de sa race. Mistral se promène tout seul, ou avec des amis, sur les Alpilles et aux Saintes Maries. Les chefs du Nord viennent à Bouvines avec leurs cinq, six enfants, filles enjouées, garçons robustes, pétulants, pleins de vie. Hommes d'action voués aux tâches rudes, cerveaux toujours en gestation d'usines et de machines, ils trouvent, non loin de leurs villes trépidantes, à Tournai, à Bruges, à Bouvines, d'admirables reposoirs, des refuges.

Lorsque l'été dore les moissons de la Pévèle et du Mélan- thois, leurs prestes et modernes autos, traversant Cysoing, Sainghin, les amènent, en famille, jusqu'à cette plaine où se jouèrent les destinées de la Flandre et de la France.

Ce 12 juillet 1914, il y a foule dans l'unique rue qui va montant à l'église de Bouvines patrons et ouvriers, citadins et paysans, pensionnats et orphéons juchés sur l'impériale de grands breaks, bicyclistes et piétons, car on célèbre par des fêtes historiques et patriotiques le septième centenaire de la bataille.

Le soleil est brûlant. Dans l'allégresse de cette matinée dominicale, déjà les verres se remplissent. La porte des cabarets est ouverte, une odeur de bière et de tabac s'en exhale. De gais appels, des chants se font entendre. Et la foule, de plus en plus dense, monte toujours vers l'église et le champ de bataille.

C'est là que les Allemands d'Othon, les Flamands du Comte Ferrand, les Anglais de Jean-sans-Terre rencontrèrent l'armée de Philippe-Auguste. Les Français engagent le combat dans un enthousiasme sacré. Le roi s'agenouille à l'église. Il bénit ses soldats. Il s'avance au chant des psaumes "Benedictus qui docet", " Exsurgat Deus", "Domine loetabitur rex in virtute tua". Une légende, rapportée par Chateaubriand, veut que Saint Martin ait été à Bouvines avec d'autres saints et saintes. Les évêques combattent à côté des nobles et des communiers. Les chevaliers se livrent, comme dans l'Iliade, des combats singuliers auxquels le Ciel s'intéresse. Pendant la bataille, le soleil lance ses flèches d'or dans les yeux des Barbares et la mer engloutit le fuyard anglais avec le trésor de son maître. Enfin, les Français, bien que surpris en retraite et luttant un contre deux, sont vainqueurs.

Tout se teinte de merveilleux, tout baigne dans le surnaturel. Bouvines, c'est l'intervention du divin dans nos affaires comme à Tolbiac, comme plus tard sur la Marne. On croit entendre ici des voix dans la brise comme à Domrémy. Tout est réuni pour satisfaire notre amour du légendaire et du prodigieux.

Mais le plus merveilleux de cette histoire, c'est que des Flamands de la Flandre française dont les pères combattaient, ce jour-là, sous le signe du Lion, les notables de Lille qui fut pillée et saccagée par Philippe-Auguste, aient pu se réunir en 1914 pour commémorer joyeusement la défaite de leur prince et la perte de leur indépendance. C'est une sorte de miracle que la complète fusion de ce morceau de Flandre dans le creuset français.

Les fêtes organisées à Bouvines par les notables lillois, le 12 juillet 1914, montrent à quel point l'unité nationale était réalisée quelques jours avant la grande guerre. (En Lorraine, Barrès, parlant aux gens de sa province, pouvait dire "La France, c'est nous.")

Les pèlerins de ce dimanche d'été 1924, debout sur le plateau de Bouvines, contemplent un paysage qui n'a pas changé depuis la journée fameuse. C'est la même plaine, très égale, très unie (1), fertile et chargée de blés, que Guillaume le Breton a décrite. La Marque coule toujours entre ses mêmes bords marécageux. Ce sont les mêmes villages et de même importance Cysoing, Bourghelles, Wannehaili, Camphin, Gruson, Sainghin. L'industrie a respecté cette terre illustre. Seule, l'abbaye de Cysoing a disparu. Un calvaire, entouré de tilleuls, indique encore la chapelle aux arbres où le roi se tenait au début de la bataille.

Mais un gai tumulte de trompettes rappelle dans Bouvines les promeneurs. Sur la place de l'Eglise débouche le cortège. D'abord les braves sergents vêtus de la cotte de mailles et de la jaque de cuir pour rappeler ceux-là qui eurent l'honneur d'engager le combat, puis les miliciens des Communes portant l'arbalète ou la pique, les ribauds et les cotériaux habiles à se couler, leur petit glaive à la main, parmi la cavalerie, puis des écuyers arborant sur leur casaque des armoiries brodées. Un géant magnifique à la barbe blonde s'avance, élevant vers le ciel l'oriflamme de Saint Denis. Puis des petits pages, adolescents, jolis, pimpants. Enfin les chevaliers, les Princes et le Roi Philippe, chevauchant le heaume en tête, portant le haubert, les brassards, les cuissards d'acier, montant de lourds chevaux couverts de soies multicolores, chatoyant sous le soleil de feu.

Vision resplendissante. L'histoire de France en marche. !

La grille d'un vaste parc s'ouvre et le cortège pénètre sous les grands arbres, se déploie autour des pelouses et vient se ranger autour d'un autel, près duquel prennent place les évêques de Cambrai, de Lille, de Limoges, de Beauvais, d'Orléans.

La chaleur est accablante. Soudain, bien qu'on soit au cœur de la journée, le soleil semble s'éteindre. Il disparaît derrière d'épais nuages noirs.

L'évêque d'Orléans, Mgr Touchet, se détache du groupe des prélats, monte dans une tribune et commence d'une voix forte "S'il suffisait, pour canoniser une terre qu'elle eût bu, à longs traits, le sang des héros, la plaine étendue des collines de la Belgique à celles de l'Artois, entre les bras de la Lys et de l'Escaut, pourrait, à juste titre, être proclamée l'une des plus saintes de la Patrie."

Au loin, on entend le tonnerre gronder. Un tourbillon de vent courbe les branches, arrache les feuilles, éteint et renverse les flambeaux de l'autel. La voix de l'évêque lutte avec celle de l'orage. On perçoit des lambeaux de phrases :

"Denain, Fontenoy, Fleurus. des bataillons fouettés par un vent d'enthousiasme divin à moins qu'il ne fût fou." Et le lyrisme va crescendo, comme l'ouragan, et les périodes lancées par cette voix de cuivre volent, rebondissent, échevelées :

"Quel rendez-vous de guerre que ce coin de pays ! Français qui visitons ces lieux de tragédie, éblouissons-nous des vols de souvenirs qui se lèvent de chaque motte des champs noirâtres, pesons de quel prix fut payée la conservation de la France et disons anathème à quiconque, héritier d'un tel passé, se déclarerait incapable d'en porter le saint honneur !"

Le vent tombe, la lumière renaît, le tonnerre s'éloigne. Et, pareil au héros des "Trophées", enflammé d'un haut pressentiment, l'évêque s'écrie "Les Allemands ont cela dans le sang depuis Tolbiac : nous envahir afin de se refaire ! Dieu fasse que l'ère de ces mortelles luttes soit close ! Cependant, si l'arène devait se rouvrir, daigne le même Dieu se souvenir que c'est, à notre tour, d'être battants au lieu d'être battus, et puisse le drapeau tricolore, reprenant le vent qui souleva l'oriflamme à Bouvines, faire reculer l'aigle noire jusque delà notre chère Alsace-Lorraine rendue, enfin, suivant ses vœux, à sa mère la France et à son droit !"

Paroles prophétiques et doublement émouvantes à cette heure, en ce lieu !

Maintenant, une chorale, venue de Tourcoing, chante, avec un art incomparable, le "Magnificat", l'hymne de la joie parfaite :

" Le Puissant a fait en moi de grandes choses...

Et mon esprit a exulté !...

En proie à une émotion profonde, les Chefs du Nord, entourés de leurs robustes garçons, de leurs belles jeunes filles, ont le sentiment qu'ils vivent une heure solennelle. Un frisson passe sur la foule inclinée devant l'ostensoir d'or.

La cérémonie prend fin. Lentement, dans l'odeur de l'herbe piétinêe, le peuple se disperse. On redescend la rue de Bouvines. On reprend la route de sa ville ou de son village, de par la plaine couverte de blés altiers. Des mains se serrent. Parmi ces jeunes hommes venus à Bouvines prendre une leçon d'enthousiasme, beaucoup, marqués pour le sacrifice, ne se reverront plus et se disent là un éternel adieu.

Maintenant, rien ne peut plus arrêter les événements. La guerre est en marche. Elle approche. Elle est aux portes. Quelques jours encore, et les descendants d'Othon, les vaincus de Bouvines, seront ici !

 

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(1) « Grataque planities cereali gramine vernans ». (Guillaume Le Breton).

 

Charles Droulers

 

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La Chanson de Bouvines

 

A propos des fêtes du 27 Juin prochain (article publié en 1914)

 

La première fois que je fus à Bouvines, il me prit la fantaisie de descendre de bicyclette à 2.000 mètres à peine du champ de bataille et de demander à un paysan qui conduisait une charrue :

— Voulez-vous me montrer, s’il vous plaît, la route de Bouvines ?...

Je connaissais très bien mon chemin, mais je voulais un peu faire causer le bonhomme. Il me déclara tout d’abord qu’il ne savait pas "où ça se trouvait", et que sans doute c’était la route de Louvil (1) que je cherchais.

— Pas précisément ! c’est Bouvines que je veux dire; vous savez bien, la bataille de Bouvines, ce doit être ici tout près ?

"on homme n’avait pas l’air plus éclairé. J’insistai et, me souvenant que, dans le patois du pays, Les "i"» se prononcent "é" (2), je demandai la route de Bovenne.

— Ah ! Bovenne ! ch’est par là ! Mais vous savez, ajouta-t-il avec un sourire de pitié, y a jamais eu d’batall’ à Bovenne, vous s’trompez, sûrement !

Cette ignorance de mon laboureur est tout de même un peu violente. Toutefois, si l'histoire ne doute pas qu’il y ait eu une grande bataille à Bouvines, elle ne sait pas au juste « comment ça s'est passé ». Nous n'avons, sur ce grand événement, sur les effectifs des troupes, sur leurs évolutions, sur la stratégie des chefs, les péripéties de la lutte, les blessés et les morts, ni documents précis, ni renseignements historiques. Guillaume Le Breton, chapelain et médecin de Philippe-Auguste, a écrit des Chroniques et un poème épique, la Philippide, à la gloire de son maître, où le merveilleux, l'invraisemblable et la littérature se mêlent si intimement à des faits peut-être positifs, que je ne me charge pas de les débrouiller, ni de séparer la paille du bon grain. Et nous n’avons pas d'autres renseignements.

Aussi voudra-t-on m’excuser, si c’est d'après le témoignage (sincère dans l'ensemble, mais surtout inexact dans le détail de mon vénérable confrère du XIIIe siècle, que je vais rappeler ici ce qu’on raconte généralement de la bataille de Bouvines — du moins ce qui est à peu près vraisemblable. Il est possible, comme souvent d'ailleurs, que, dans ce cas encore, la légende et la poésie soient plus belles et plus vraies que la réalité. Et, en tout cas, j’estime que c’est à la manière de la Chanson de Roland, qu’il est encore le plus agréable de raconter la Chanson de Bouvines.

 

Le roi Philippe-Auguste avait senti le péril où la Conjuration des alliés devait mettre la France. Après avoir essayé vainement de détacher plusieurs seigneurs de la Coalition, il envoie le prince royal sur la Loire, lève des troupes dans l’Ile-de- France, le Soissonnais, la Picardie, le Beauvaisis, le Vermondois, l’Artois, la Picardie, et, le premier à l’ouvrage, il rassemble tout son monde dans la ville de Péronne.

Pendant ce temps, sous les murs de Valenciennes, l'empereur Othon passait la revue de ses Allemands, des Flamands de Ferrand, et des Anglais du comte de Salisbury, surnommé Longue-Epée.

Philippe-Auguste prend la résolution de prévenir l’Empereur. Il quitte Péronne le 23 juillet 1214, traverse Arras, passe la Deûle à Pont-à-Vendin et, Le 26, campé devant Tournai, devenu le refuge des principaux Flamands depuis le sac de Lille. Othon se met en route, lui aussi, en suivant la voie romaine de Bavai à Tournai. Il prend sur son passage, presque sans coup férir, la forteresse française de Mortagne, près de Saint-Amand. Ce succès, l'accueil des gens de Tournai, l’état de dévastation des plaines voisines et le manque de ressources effraient le roi de France qui, brusquement, donne l’ordre à son armée d'essayer de rentrer en communication avec les garnisons françaises de Douai, de Lens et de Béthune.

L’armée se met en marche le dimanche 27 juillet à la pointe du jour, en suivant la voie romaine de Tournai à la mer. Vers midi, elle avait fait une quinzaine de kilomètres et franchissait la Marque au pont de Bouvines. Le roi, fatigué, se reposait au pied d’un frêne près de la chapelle de Saint-Pierre (3). Le chevalier Garien, de l’ordre de St-Jean de Jérusalem, évêque élu de Senlis, apparaît tout à coup aux yeux du roi dans sa robe rouge ornée d’une croix noire.

— Sire, dit-il, ceux de là-bas ne veulent en aucune manière renvoyer la bataille à demain.

En effet, Garin, "sage homme, de profond conseil et merveilleusement prévoyant pour les choses qui étaient à venir" avait poussé une pointe de reconnaissance jusqu’à deux milles de Tournai et avait aperçu l'armée ennemie qui s’avançait, enseignes déployées, chevaux couverts, sergents d'armes en tête pour éclairer la marche et tout prêts au combat.

Garin soutenait qu’il était urgent de se ranger en ordre de bataille. Les autres chevaliers soutenaient que les Allemand'! se portaient sur Tournai, et que c'était dimanche, et qu’Othon ne pouvait pas avoir l’intention de violer la Trêve de Dieu, et qu'on avait tout le temps de changer de chemin et d’obliquer vers Lille où l'on pourrait facilement se concentrer et camper.

Mais au moment où le mouvement s’exécute, on apprend que les gens du vicomte de Melun sont entrés en contact avec l’avant-garde d’Othon ; il n’y a plus d’illusions à se faire, on ne peut plus éviter la rencontre fatale.

Le roi commande aux troupes de repas ser le pont de Bouvines et fait former sa ligne de bataille, face à Tournai, un peu en avant du village. Puis, "rayonnant de joie, comme si on l’eût appelé à une noce", il va s’agenouiller à l’église Saint- Pierre :

— Seigneur, dit-il, je ne suis qu’un homme, mais je suis roi de France.

Queus que sois, rois suis de France,

Garder me devez sans fallance (4).

Il adresse ensuite un discours à ses soldats :

Tout notre espoir, toute notre confiance sont en Dieu. Le roi Othon et son armée sont ennemis de la Sainte Eglise excommuniés par le Seigneur Pape. Nous nous sommes chrétiens. Nous pouvon donc avoir confiance en la miséricorde de Dieu qui nous donnera malgré nos péchés la victoire sur ses ennemis qui sont les nôtres (5).

Puis il bénit tout son monde, et il s’élance en avant "là où nul ne se trouvai! entre lui et l’ennemi" pendant que son fidèle chapelain notre confrère entonne le psaume : Béni soit le Seigneur qui est me force, jusqu'à la fin; ensuite : O Dieu, éle vez-nous, jusqu’à la fin; et Seigneur, le roi se réjouira de votre force, jusqu’à la fin. Le bon chapelain chantait "comme il pouvait, les larmes s’échappaient de ses yeux et les sanglots se mêlaient à ses chants".

Mais l’Empereur, justement, débouchait sur le plateau de Cysoing, à l’est de Bouvines. Il est désappointé de voir l'armée en place, car il croyait la surprendre en pleine fuite. Il déploie ses troupes du sud-est au nord-ouest. L’Empereur était au milieu de son armée avec une suite brillante et nombreuse. A côté de lui, un char, attelé de quatre chevaux, portait, sur un énorme pal, un aigle doré de hautes dimensions. Cinquante gentilshommes allemands étaient préposés à la garde de cette enseigne colossale et fantastique.

Le roi de France était en face. Sur là droite, commandée par le duc de Bourgogne, Le comte de Saint-Pol, soupçonné d’intelligence avec le duc de Bourgogne, interpellait l’évêque de Senlis, qui faisait les fonctions de général adjudant-major :

— Frère Garin, Le roi, aujourd’hui, aura en moi un bon traitre !

Et, en vérité, ses chevauchées furieuses ' à travers les escadrons serrés des chevaliers flamands devaient contribuer notablement au succès de la journée.

 

Il était environ une heure et demie de l'après-midi. L’armée allemande était tournée vers le sud-ouest. En sa qualité de "physicien", Guillaume le Breton remarque que c’était une circonstance défavorable pour se battre et que les Alliés eurent, tout le jour, le soleil dans les yeux. La lutte fut extrêmement chaude.

Les Flamands, irrités des pillages récents, étaient les plus enragés. Eustache de Marquillies, un vrai géant, d'une force prodigieuse, se démenait sur le champ de bataille, hurlant comme un possédé : A mort les Français ! A mort ! Un Champenois réussit à lui attraper la tête sous le bras, le désarme de son hausse-col, ce qui permet à son voisin d’enfoncer une épée dans la gorge du Flamand. Michel de Harnes est cloué sur sa selle d'un coup de lance si violent qu’il transperça la cuisse de l'homme et le flanc du cheval.

Les piquiers des communes françaises, qui avaient, pendant ce temps-là, achevé de repasser le pont, s’élancent sans s'arrêter sur le champ de bataille. L’infanterie allemande, la plus réputée de l’Europe, les refoule sur les Chevaliers de France. Un mouvement de désarroi inexprimable se produit. Des fantassins allemands arrivent jusqu’à Philippe-Auguste. Ils le secouent tellement vigoureusement à coups de pique, qu’ils le blessent à la gorge et le font tomber de cheval. Le porte-étendard Gallon de Montigny agite en désespéré l’oriflamme du Roi. A ce signal, un chevalier du nom de Tristan se précipite vers Philippe, remet le roi en selle, et meurt bientôt percé de coups, après avoir sauvé la yie de Philippe-Auguste.

De son côté, l’Empereur n’était guère en meilleure posture. Guillaume des Barres qui le poursuivait l'avait saisi au corps et s’apprêtait à l’assommer de son épée, quand — parallélisme touchant — Bernard d’Ostermale. arriva au bon moment pour faire comme Tristan et mourir en sauvant l’Empereur. Othon n'eut que le temps de remonter sur le cheval de Bernard, qui emporta son nouveau maître, d'une seule traite, paraît-il, jusqu’à Valenciennes.

— Amis, criait Philippe-Auguste, voici l’Empereur qui s’en va; nous n’en verrons plus aujourd’hui que le dos.

Guillaume des Barres aurait bien poursuivi l’Empereur, mais un malencontreux coup de poignard ayant troué le ventre de son cheval, il se dédommagea en s’élançant sur le Char Impérial et en abattant l’aigle doré à violents coups de hache.

Le soleil commençait à descendre. La gauche et le centre de l’armée ennemie ne se battaient plus guère. A l’aile droite, seul, Renaud de Boulogne luttait encore avec acharnement. Il était monté sur un grand cheval, et son heaume portait un gigantesque cimier noir, fait de fanons de baleine. Comme une apparition fantastique dans le soleil couchant, il dominait la plaine et cette figure étrange remplissait d’admiration respectueuse et de mystérieux effroi les chevaliers français. Il avait mis ses bataillons en cercles, au milieu desquels il venait se reposer de temps en temps pour reprendre haleine entre plusieurs séries, de combats, singuliers. Il lutta, tant qu’il put, presque seul. Mais finalement, vers huit heures du soir, la tour vivante de son infanterie s’écroula et Renaud dut se rendre.

Alors, sur la victoire des Français, le soleil de Bouvines, le soleil, complaisant, se coucha glorieux, moins célèbre aujourd'hui, et pourtant, dans la réalité, peut-être plus poétique encore que celui d’Austerlitz.

 

Et puis, ce fut le triomphal retour du Roi.

"Qui pourrait raconter, qui pourrait s'imaginer, tracer avec la plume, les joyeux applaudissements, les hymnes de triomphe, les danses des gens du peuple, les doux chants des clercs, les sonneries harmonieuses des cloches, la décoration des églises; les rues, les maisons, les chemins, dans les villages et dans les villes, tendus de courtines et de soieries, couverts de fleurs, d’herbes, de branches vertes. Les habitants de toute classe, de tout sexe, de tout âge accouraient de toute part pour voir un si grand triomphe; les paysans et les moissonneurs interrompaient leurs travaux, suspendant à leur cou leur faux et leur hoyau et se précipitant en foule vers les chemins pour voir enchaîné ce Ferrand dont, peu auparavant, ils redoutaient les armes."

Le malheureux Ferrand ! Nos aïeux ne 'furent guère généreux pour un prince qui, après tout, avait lutté pour l’indépendance de son peuple.

Eh ! Ferrand, criait-on, gros plein de graisse, bouffi d’orgueil, toi qui ruais .(6) et levais le talon contre ton maître, tu ne regimberas plus maintenant ! Et nous-mêmes, dans notre enfance, avec quel plaisir ne récitions-nous pas les vers malicieux et les grosses plaisanteries du peuple.

Quatre ferrants, bien ferrés

Traient Ferrand, bien enferré.

Pour ma part, j’avoue bien humblement que c'était là ce que je trouvais de plus amusant dans toute l’histoire de France. "Toute la route se passa ainsi, jusqu'à ce qu’on fût arrivé à Paris. Les bourgeois et surtout la multitude des étudiants, le clergé et le peuple allaient-au-devant du roi, chantant des hymnes et des cantiques. Ils prolongèrent leurs plaisirs pendant la nuit et même pendant sept nuits consécutives. Les étudiants surtout ne cessaient de festoyer, chantant et dansant continuellement ! »h ' ‘ "

Naturellement !

 

Ségard, abbé de Cysoing, fit relever 168 morts et les fit enterrer soit dans le cimetière de l’abbaye, soit dans d’immenses fosses creusées sur le champ de bataille, auprès des plus grands tas de cadavres. Plus tard, sur la voie romaine, une chapelle fut bâtie, qu’on appela "la chapelle aux Arbres". Elle n’existe plus. Mais à son emplacement il y a encore un Calvaire, en pleins champs, qu’on appelle le Calvaire de Cysoing, au pied duquel, sur une pierre à moitié enfoncée dans le sol, on déchiffre ces mots en lettres gothiques : Simus in pace, Soyons en paix. C’est la devise de Mathias de Barda, abbé de Cysoing, qui fit reconstruire la Chapelle aux Arbres vers le XVIe siècle. Il est bon de venir à cet humble Calvaire quand on a salué les champs glorieux de Bouvines; quand on a visité la belle église où l’épopée de Guillaume le Breton se lit sur des verrières éloquentes; quand on a laissé vibrer son cœur au souvenir de l’élan généreux des ancêtres; oui, alors il est bon de venir s’agenouiller au pied de ce Calvaire.

Après les grandes et nécessaires leçons de l’héroïsme, n’est-ce pas une discrète leçon que la Providence a voulu nous ménager en jetant négligemment sur le champ de la guerre l’antithèse mystérieuse et troublante de cette devise abbatiale : Simus in pace. Que nous soyons en paix ?

Dr Edgard Leroy.

 

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(1) Louvil, petit village à côté de Bouvines.

(2) C’est ainsi qu’on dit un épé d’bleu pour un épi de blé — min peur’, m’meur pour : mon père, ma mère.

(3) On montre à Bouvines une source près de laquelle se serait reposé le roi Philippe. C’est la fontaine Saint-Pierre, qui a la réputation de guérir la fièvre (?) et les maux d’yeux.

(4) Philippe Moustet, chroniqueur contemporain.

(5) Guillaume le Breton.

(6) Allusion au mot ferrand, sorte de cheval ferré.

 

 

 

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