60 ANS DE DESSINS ANIMES

publié en 1946

Si le cinquantenaire du cinéma n’a pas encore été jusqu’ici célébré publiquement, l’une de ses branches, le dessin animé, fait actuellement l’objet d’une excellente exposition à la Cinémathèque française, créée il y a dix ans par M. Henri Langlois. A vrai dire, ce n’est plus d’un cinquantenaire qu’il faut parler pour le dessin animé, car, depuis le moment où fut découverte la persistance des impressions visuelles sur la rétine, des esprits ingénieux imaginèrent bientôt de procurer l’illusion du mouvement en faisant succéder devant les yeux, à une cadence rapide, une suite d’images comportant chacune par rapport à la précédente de légères modifications. Le procédé était alors rudimentaire. Sur le disque que Joseph Plateau eut le premier l’idée de créer en 1832 étaient dessinés une série de visages d’une même personne, variant de la tristesse à la gaîté, de telle sorte qu’en faisant tourner le disque le visage s’animait, pleurait et riait. Ces disques furent le premier procédé pour donner vie à des images.

Le talent d’Emile Reynaud fut d’en tirer un parti prodigieux. Abandonnant le procédé du disque, qui ne pouvait contenir qu’un nombre réduit de figures, il traça ses dessins sur des bandes de papier : le premier film était créé. Mais le mérite technique d’Emile Reynaud le cède de beaucoup à son talent d’artiste. Des figures comme le cavalier au galop ou la petite fille qui saute à la corde sont des chefs-d’œuvre de mouvement.

Un autre Français allait bientôt simplifier ce moyen d’expression jusqu’à l’épure ; et, grâce à ce langage de traits schématiques, il contera les aventures de ses personnages à un rythme endiablé qui est depuis lors celui du dessin animé moderne. Les fantoches d’Emile Cohl ressemblent à première vue à des croquis sommaires d’enfant. Réduits à l’essentiel, ils sont très expressifs.

C’est dans cette voie du dépouillement donnant à chaque trait sa pleine valeur que Walt Disney a triomphé, et l’apparition de Mickey sur les écrans nous ramène à ce temps fabuleux où les bêtes parlaient. Depuis, des auteurs nouveaux se sont efforcés de sortir de ce style standardisé et de mettre plus de fantaisie et de couleur dans leurs personnages, plus de relief dans les fonds de décor.

C’est là que le jeune dessin animé français apporte sa note originale. Il est en plein effort de création, et nous avons déjà un artiste qui sera bientôt universellement connu comme un maître, Grimault. Avec cette simplicité de moyens qui, seule, est capable de frapper le spectateur dans un film à court métrage, en quelques lignes fuyantes vers un horizon mystérieux, par des contrastes d’ombres et de lumières, par l’harmonie radieuse de ses couleurs, Grimault crée des décors étonnamment évocateurs, paysages heureux comme un Fra Angelico, fuites de toits inquiétantes comme un tableau surréaliste, sur le fond duquel s’animent des personnages typiques qui seront bientôt promus au rang de vedettes.

Le public ne sait pas assez que le dessin animé est du vrai cinéma et qu’il peut atteindre à l’art véritable. Les peintres eux-mêmes ne voient pas assez quel parti ils pourraient tirer de ce dessin doué de mouvement.

Bientôt, spectateurs et artistes pourront admirer en Europe la célèbre bande musicale de Walt Disney : Fantasia ; ils reconnaîtront alors que le dessin animé n’est plus un divertissement mineur, mais qu’il offre à l’art des possibilités originales d’expression.