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La rentrée de Beby sur une piste parisienne est un événement dans le monde du cirque. L’actuelle rareté des bons couples de clowns donne une valeur exceptionnelle à ceux qui, comme l’ancien partenaire de feu Antonet, furent des augustes de qualité, et à leur "faire valoir", dont le public ne comprend pas toujours le rôle important, j’imagine pourtant que, s’il y a des amateurs de clowns qui ont été ces dernières semaines au Cirque d’Hiver et à Medrano, ils ont pu se rendre compte de la différence qui s’établit naturellement, entre les trois couples de clowns qui sont actuellement à Paris : Pipo et Rhum, Alex et Zavatta, Maïs et Beby.

 

Des trois "faire valoir", il paraît incontestable que c’est Maïs qui correspond le plus exactement au personnage dont Antonet — avec François Fratellini — reste comme le type exemplaire, depuis ces vingt dernières années. Si Alex a autant d’autorité que lui, il n’a pas son élégance, la parfaite netteté de sa diction ni l’éclat de son talent de musicien. Maïs réunit des mérites exceptionnels. Pipo ne peut encore prétendre — je le crois plus jeune — à s’égaler à ce dernier ni même à Alex qui a un métier très sûr.

 

Quant aux augustes, si Rhum a beaucoup de gentillesse, il manque encore de caractère. C’est dire que son personnage n’est pas encore dessiné avec assez de fermeté. Celui de Zavatta l’est davantage, mais les traits en sont un peu lourds. Ils ont, en plus épais, ceux de Rhum. Mais voyez l’auguste que compose Beby : l’artiste est à peine grimé. De son aspect physique, massif et court, il accentue la disgrâce. Il fait une sorte de niais dont on ne devine la malice que dans les petits yeux. Le contraste avec Maïs est entretenu avec soin, aussi bien dans la silhouette que dans la façon de parler. II n’y a pas un geste de Beby qui ne jaillisse, si l’on peut dire, de son personnage. Dans le finale en musique, il a une guitare dont on ne saurait dire s’il sort un son. Peut-être n’est-il pas musicien ? C’est parfait encore, car il reste jusqu’au bout l’auguste naïf, innocent mais farceur. L’entrée des jongleurs maladroits qu’accompagne entre deux tours une petite danse que Beby exécute consciencieusement jusque dans la pire détresse, est un petit chef-d'œuvre de composition cocasse.

 

Il faut aller voir ces trois couples de clowns si, dans ces temps qui portent peu à la gaieté, on veut une occasion de rire sans amertume. Et rendons un reconnaissant hommage à ces six artistes qui nous dispensent un peu de bonne humeur, et ont un peu de lumière familière et gaie dans notre ciel de nuages gris.

 

René BIZET.

 

publié en décembre 1945

 

MAIS - BEBY - PIPO

 

 

RHUM - ALEX - ZAVATTA

 

 

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Pipo et Rhum

 

 

PIPO & RHUM

 

Au Cirque d'Hiver, Rhum, un des meilleurs augustes de notre temps, disait l'autre soir à sont partenaire Pipo, le clown blanc :

- Tu parles anglais, toi ?

- Oui, je parle anglais.

- Alors; tu es Anglais ?

- Non, je ne suis pas Anglais, mais mes parents étaient Anglais.

- Alors, tu es Français ?

- Non, je suis Belge. - Ah ! powquoi ?

- Parce que je suis né en Belgique.

- Alors, tu es Belge parce que tu es né en Belgique, mais tes parents étaient Anglais, et tu travailles en France, qu'est-ce que ça veut dire tout ça ?.

En vérité, ce dialogue de clowns expose en raccourci une situation commune à tous les gens de cirque : artistes, musiciens, monteurs, palefreniers et animaux. Le cirque est un art d'expression et d'organisation initemationales.

Un court séjour dans ïes coulisses de toile d'un chapiteau, où toutes les langues s'entrecroisent, où les types ethniques, truqués par le costume et le maquillage, sont moins authentiques que les déformations physiques et morales inhérentes à chacune des innombrables spécialités de la banque, suffit à en convaincre, le plus profane. C'est pourquoi l'on parle moins souvent de la profession d'artiste de cirque que de "la grande famille du cirque", dont on désigne les membres sous le nom évocateur de "gens du voyage".

Pourtant quelques spécialités ont traditionnellement des origines nationales. Il est, en effet, moins de clowns français qu'il n'en est de portugais, d'italiens, d'anglais - l'Angleterre ayant créé le mot et le genre, hérités des bouffons du théâtre de Shakespeare. Les Français ont, eux, l'exclusivité du trapèze. Les barristes sont Roumains. L'homme de cheval est Allemand, le contorsionnisie Chinois. A telle enseigne qu'il est difficle de rompre avec les traditions ethniques d'une catégorie sans en adopter le costume et la présentation.

Je visitais, il y a quelques jours, le campement du cirque Knie à Zurich. Mon ami Fernand Grip, dont le numéro de danseurs acrobatiques en porté-lancé, avait la veille remporté un triomphe, doublé d'une manifestation d'amitié franco-suisse, lors de ses débuts sur cette piste, me fit faire la connaissançe du directeur. Ce directeur, un grand jeune homme blond, que j'allais voir, deux haures plus tard, effectuer un remarquable travail de haute école, me guida dans la visite de son cirque voyageur. Quatre-vingts voitures, un chapiteau de trois mille cinq cents places, une écurie magnifiquement garnie de chevaux blancs, noirs, bruns, bais et pies et de leurs harnachements multicolores, une ménagerie où les animaux, des plus précieux aux plus redoutables, évoquaient les cinq parties du monde, ses pics, ses déserts, ses jungles et ses océars, et, grouillant dans cet eden discipliné, une foule joyeuse et curieuse dont se détachaient quelque vingt peintres et dessinateurs, plantant leurs chevalet pour s'efforcer de capter la féerie de l'heure et du lieu.

M. Knie me raconta qu'en 1815, un de ses ancêtres était docteur de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, que le fils de celui-ci quitta les fastes de la cour pour suivre une écuyère qui l'abandonna ensuite. Que c'est pour se consoler qu'il fonda un cirque. Rameuté avec une femme de la banque, le directeur, par désespoir d'amour, eut successivement toutes les nationalités des pays qu'il traversa. Cependant, mobilisé dans l'armée autrichienne pour combattre celle de Napoléon, il perdit ses chevaux dans les réquisitions militaires et dut, à la fin de la guerre, refaire fortune sur le fil de fer des funambules, audessus des toits des grandes villes.

Tandis que ce roman se retraçait devant mes yeux, je pensais à ces familles internationales des Loyal, des Fratellini et des Iles, dont les membres, dispersés de Bornéo à Stockholm, conservent leur unité par l'amour qu'elles portent à leur métier, dur mais passionnant.

 

article publié en novembre 1945

 

 

dessin de 1945

 

 

dessin de 1946

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