La banalité est le pire écueil qui guette le cinéma industrialisé d'aujourd'hui. Mais il reste pourtant des enthousiastes et des obstinés qui refusent de marcher dans les sentiers battus. Parmi eux, Jean Tourane occupe une place de choix.

Déjà, plusieurs courts métrages charmants avaient attiré l'attention sur ce réalisateur qui est venu au cinéma... parce qu'il aimait les animaux! Il publia d'abord des albums pour enfants. Enfin, il utilisa la caméra pour leur donner la vie.

 

Certes, avant lui beaucoup de cinéastes ont filmé des bêtes, mais personne, même Disney, n'a jamais tenté sérieusement d'en faire des acteurs de véritables contes. C'est ce que fit Jean Tourane en tournant Le Lac des Fées et Saturnin poète, et c'est la formule qu'il applique à son premier long métrage Une Fée pas comme les autres.

Le scénario est un conte de fées très classique. Une fée protège un village heureux. Mais, en son absence, un certain Génie Noir parvient à découvrir le secret de sa baguette magique, ce qui met à la fois la fée et le village à sa discrétion. Deux villageois courageux, conseillés par un sage, affrontent les épreuves qui leur permettent d'arriver jusqu'au Génie Noir, de déjouer son pouvoir et de délivrer la fée. Ils y arrivent après avoir vécu de nombreuses aventures...

 

Mais ce qui n'est pas classique du tout, c'est le choix des personnages. Le Génie Noir est un singe et Chassidou, qui récupère finalement la baguette, un chaton persan blanc. Saturnin le poète, son cousin, est personnifié par un jeune caneton et les autres acteurs sont des lapins, des chiens, des cochonnets, une famille de renards, des poneys, des chouettes, un blaireau, des grenouilles, lézards, araignées: bref, à peu près tous les animaux que l'on peut trouver en France.

 

Mais il y a plus. Jean Tourane n'utilise nullement des "chiens savants" et autres bêtes plus ou moins dressées. C'est à force de patience, en filmant les animaux sur le vif, dans leur comportement naturel, qu'il parvient à en faire les héros de son histoire. Il a construit pour ses acteurs un village et des décors à leur échelle, et l'ingéniosité, jointe à une inimaginable persévérance, fait le reste.

 

 

Femmes d'Aujourd'hui
Photos Del Duca Films - Jean Tourane

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SATURNIN - VERSION U.S.

 

Le Saturnin version années 90, qui a abandonné la voix nasillarde si typique de Ricet Barrier pour celle, plus neutre, de Luq Hamet, chante le rap dans le générique, arbore une casquette et joue les James Bond façon "looser". Mais c'est toujours Saturnin: il est toujours aussi jaune, ses plumes ont toujours l'air aussi douces, il se secoue de façon toujours aussi rigolote, court dans les décors avec la même démarche pataude et hoquetante, et cancane des réparties toujours aussi humoristiques.

A qui devons-nous, "néo-vieux"que nous sommes, ce rassurant "come back" ? A l'Américain Nathan Sassover. Il s'est servi de l'univers créé par le Français Jean Tourane et l'a adapté au monde d'aujourd'hui, avec la technologie d'aujourd'hui. JeanTourane avait consacré près de vingt ans à construire le monde de Saturnin, à entraîner les animaux et à les filmer dans les décors des jardins et des villages construits à leur écheller éduite. Il a laissé, à sa mort, en 1986 un gigantesque stock de prises de vue, comprenant plus de 200 plans de Saturnin et de ses complices.

Nathan Sassover s'est donc servi de cette banque d'images et, grâce à un procédé de numérisation des images existantes, à une accélération du rythme, aux variations d'éclairage, à de nouveaux décors, il a pu créer 150 nouveaux épisodes. C'est dans les vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes, c'est bien connu. Cela étant, si Nathan Sassover avait voulu faire du neuf à 100 pour cent, sûr que les ligues de protection des animaux l'en auraient empêché. Le métier d'acteur, quand on sort tout juste du poulailler, ou du terrier, est des plus stressants: le cœur cède après vingt minutes!

 

extrait d'un article de presse de 1994