ACCUEIL | TELEVISION | LE PREMIER JOURNAL TELEVISE (1949)

 

 

 

 

 

Le vent souffle en rafales sur l’Esplanade des Invalides. Les ballons libres qui attendent de prendre l’envol pour la coupe Gordon Bennett, une épreuve de longue distance, ce 26 juin 1949, se balancent sur les amarres tendues comme si un géant leur assénait  de terribles coups de poing. Deux hommes maigres montent dans la nacelle d’un ballon Dolfuss.  Pierre Sabbagh, un radio-reporter muté à la Télévision et décidé à casser les vitres et Michel Makhévitch ancien correspondant de guerre et flegmatique baroudeur. Le premier porte un émetteur, l’autre une caméra 35mm, du matériel abandonné par les Allemands à la Libération de Paris. C’est le départ. La tempête empêche l’aérostat de prendre normalement de l’altitude. Quand il arrive à la hauteur des toits de Paris, les spectateurs poussent un cri : plaqué par une rafale, le ballon ne va-t-il pas heurter un immeuble ? La nacelle l’effleure mais passe et prend la direction d’Orly. 

Rabattus par le vent, nous avons manqué de prendre un bain forcé dans la Seine, raconte Pierre Sabbagh. J’ai délesté le ballon en jetant quelques sacs de sable. Cette fois, le ballon frôlait la cime eds arbres. Ballotés, transis, nous sommes arrivés à découvert au-dessus d’un champ. Il n’y avait qu’un seul arbre mais nous filions droit dessus comme si nous avions une tête chercheuse. J’ai crié : Michel ! L’arbre ! Wakhévitch a froidement braqué son objectif sur l’obstacle qui se rapprochait, se rapprochait… Quel superbe travelling ! Nous avons évité l’arbre mais nous n’avons pas raté une ligne à haute tension.

Une gerbe d’étincelles et 900 m3 de gaz brûlent au-dessus de votre tête, ça fait un drôle d’effet. Wakhévitch sublime continuait à filmer. Le ballon a flambé. Le panier d’osier s’est détaché et nous avons atterri brutalement. Il ne restait de l’aérostat qu’un morceau de l’enveloppe de la taille de mon mouchoir ! Nous étions indemnes, à la stupéfaction des gendarmes accourus sur les lieux de l’accident.

Nos casse-cou sont revenus à Cognacq-Jay dans la voiture de la gendarmerie. Le lendemain, cette aventure était la séquence-choc du premier Journal Télévisé. La collision avec le pylône avait provoqué une panne monstre, stoppé un express en pleine campagne et privé Orly d’électricité. Mais les actualités télévisées avaient gagné la partie.

 

Sabbagh, sur cette lancée constitue une équipe à toute épreuve. Il fait appel à des hommes de radio ou de cinéma qui rongent leur frein et veulent être des chasseurs d’images et des reporters d’avant-garde : Jacques Sallebert, de retour de Corée, Pierre Dumayet, Pierre Tchernia, Georges de Caunes. Une bande de durs prêts à se jeter dans le feu, dit Sabbagh évoquant ces années héroïques. Walkhévitch, pour filmer de grands travaux en chantier dans la capitale, n’hésite pas à se faire hisse dans la benne d’une grue. Nous n’avions  pas encore d’hélicoptère ! Le ministre nous appelait les cow-boys mais le choc était créé et la vente des récepteurs partait en flèche. Le Journal télévisé passa à 14 émissions par semaine. Nous travaillions dans des conditions de bricolage incroyable. Le système D dans la bonne humeur. Nous n’avions pas de table de montage. Anjubault, ancien monteur de chez Pathé, opérait à la main en déroulant les films devant la fenêtre. On développait dans des bassines, on faisait sécher la pellicule dans des boites de petits pois. Nous avons pu enfin nous acheter quelques machines à tambour mais elle ne pouvaient développer que 30 mètres de pellicule.

 

En 1950, à la veille du Tour de France, Pierre Sabbagh se rend auprès des organisateurs et leur annonce : Je veux montrer aux téléspectateurs la course comme ils ne l’ont jamais vue ! Notre caméra se déplacera au cœur du peloton. -  Laissez ce travail aux photographes de presse, commence-t-on par lui répondre. Sabbagh plaide sa cause : Henri persin, est un opérateur formidable, dit-il, il se placera sur le tansad d’une moto BMW à double suspension télescopique. Il filmera les échappées, les poursuites, les visages crispés des coureurs…
L’autorisation est arrachée. Henri Persin va se livrer à des acrobaties. Il se cale les pieds sous les cuisses de son motard et se reverse en arrière au ras de la route pour cadrer par en-dessous de la tête des coureurs. Puis il se met sur la machine pour prendre les vues plongeantes. A la fin de chaque étape, Anjubault passe la nuit à monter un film de 600 mètres et Sabbagh à faire la sonorisation et le commentaire.

 

- Nous n’étions pas encore rassasiés, dit Sabbagh. Ce n’était encore que de l’actualité en conserve, du télécinéma. Nous voulions du direct. Les Six Jours Cyclistes au Vel’d’Hiv vont être pour son équipe une grande première. Le directeur du vélodrome les a d’abord mis à la porte. Avec vos projecteurs, vous allez éblouir mes coureurs ! Heureusement Sabbagh se procure le premier tube orthicon importé des Etats-Unis en Europe, et qui permet d’opérer en lumière ambiante, sans projecteurs. Il bricole en trois jours une caméra spéciale. L’objectif tient avec du chatterton, l’opérateur ne cesse pas de prendre du courant dans les doigts. Mais le direct est une nouvelle victoire du Journal Télévisé.

 

Dans le studio  comme en extérieur, l’improvisation est joyeuse et les pionniers qui font tout de leurs mains et à leurs risques et périls, s’accordent la liberté de s’amuser ferme. Tchernia et de Caunes inventent un personnage mythique, M. Schwarzenberg. Le jeu, entre les deux compères, consiste à le citer dans leurs commentaires des séquences du journal, quel qu’en soit le sujet. C’est ainsi que mis à toutes les sauces, M. Schwarzenberg a été successivement champion cycliste, député, gagnant de concours de pêche…

 

 

JOURNAL TELEVISE 1949

 

Pierre Sabbagh dans la nacelle d’un ballon qui prendra feu, mais le reporter et son caméraman rescapés reviendront avec un film sensationnel pour le Journal Télévisé.

Pierre Sabbagh portant un vieil émetteur de récupération : un franc-tireur de la télévision.

Michel Wakhévitch fut le premier opétateur du Journal Télévisé. A défaut d’hélicoptère, il se fait hisser dans une benne de grue au-dessus des toits de Paris. Un vrai casse-cou.

Pierre Sabbagh avec Pierre Tchernia.

 

 

 

Le premier matériel du Journal Télévisé : une caméra 35mm, puis une Paillard 16mm (en photo).
Pour la 1ère Eurovision, ce bus a promené les pionniers de la TV à travers Paris.
Georges de Caunes a assuré le premier reportage en direct au Vélodrome d’Hiver en 1950 : les Six Jours Cyclistes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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