Sur les Champs Elysées, deux comédiens aussi différents l’un de l’autre que Laurel et Hardy courent après un monsieur très digne, chapeauté et ganté. Vous me reconnaissez, je viens de vous demander un renseignement, lui demande l’un des compères. Non, c’est à monsieur que j’ai eu affaire, réplique le passant en désignant l’autre comédien, petit et maigre. Vous ne vous êtes pas aperçu de la substitution ?... Nous venons de tourner avec vous un sketch de la Caméra Invisible. Une nouvelle victime de la Caméra Invisible. Quelques instants plus tôt, le petit maigre demandait au piéton la rue Boissière. L’homme commence à lui indiquer la direction. Deux faux ouvriers portant un long panneau en contreplaqué passent entre les interlocuteurs et les séparent par cette cloison, le temps pour le second comédien, gros et trapu, de se substituer au premier. Le passant  reprend ses explications ; il semble bien dévisager le comédien et pourtant il ne se rend pas compte du changement de silhouette ! Invité, le lendemain, à une séance de projection, la victime a été prise de fou-rire en se voyant donner… dans le panneau. Et ce n’était pas n’importe qui : un PDG de société.

Après ce test, les animateurs de l’émission ont décidé de corser le gag en effectuant plusieurs substitutions. Les faux ouvriers passeront et repasseront, le petit maigre et le gros permuteront deux, trois, quatre fois… La victime sera-t-elle aussi distraite ? Jacques Rouland, l’un des producteurs, y compte bien. Pour les prochaines missions, il a fait appel à un compère en culottes courtes, un tout jeune comédien. Son rôle : faire de vains efforts pour rattraper une sonnette trop haut placée pour lui à la grille d’un pavillon de banlieue et demander d’un air suppliant à un passant  de sonner pour lui. M’sieur, j’suis à la porte. Aidez-moi ! Quand l’occupant de la maison apparaitra sur le seuil, le garçon détalera à toutes jambes, laissant les deux hommes s’expliquer. Vous verrez aussi les réactions de promeneurs interviewés par un lapin magique. L’animal sera juché sur un socle dans un jardin public. Dissimulé dans sa cage, un haut-parleur relié au micro du camion de la Caméra Invisible. On aura l’illusion d’être interpelé par le lapin. Sur la côte de Chaville, l’infatigable Jacques Legras demandera à un piéton de l’aider à grimper… avec un tandem. Au milieu de la pente, il cessera de pédaler et laissera s’escrimer sa victime. Un autre jeu exigera la complicité d’un marchand de journaux. Celui-ci demandera à un passant de lui garder son étalage, le temps de courir après un client parti sans payer. Des compères se bousculeront pour acheter les quotidiens, et le passant se retrouvera transformé malgré lui en vendeur de journaux.
Un danger : les fausses bonnes idées qui se soldent par un fiasco. Un jour, devant la Caméra Invisible, Jean Poiret, affublé d’une longue barbe vendait des chemises au rayon lingerie d’un grand magasin. Il enlevait peu à peu ses postiches pour apparaitre finalement à visage découvert devant un acheteur. Celui-ci ne s’est aperçu de rien pour la bonne raison que les clients ne regardent jamais le vendeur mais seulement la marchandise.

article de Max Denis publié dans le journal Pilote (1964)