ACCUEIL | TELEVISION | ASTERIX S'ANIME GRACE A L'ANIMOGRAPHE (1963) |
Cornegibus ! de Lutétia à Lugdunum, cela bouge chez les Gaulois, et même terriblement. Astérix s’est échappé du cirque où Goscinny et Uderzo l’avaient laissé et il marche un bond de 2.000 ans en avant et le voilà au troisième étage de la rue Cognacq-Jay, à la Régie de la télévision.
Astérix vient d’entrer dans la cabine des téléspeakerines. Il cherche Obélix. Il grimpe sur le bras d’Anne-Marie Peysson, se perche sur sa tête, comme sur une tour de guet. Ce gag incroyable, vous le verrez peut-être bientôt sur votre écran de télévision et Pilote peut vous affirmer que c’est techniquement possible. L’émission peut être réalisée en direct : imaginez Uderzo assis à sa table à dessin, chez lui, et au fur et à mesure qu’il dessine son personnage image par image, celui-ci s’anime sur votre récepteur. Vous ne rêvez pas. Foi de Jules César, Astérix est promis à devenir une vedette du petit écran, téléguidée par ses créateurs, grâce à une machine révolutionnaire, l’Animographe qui permet en effet de fabriquer à vue des dessins animés en série et un seul homme aux commandes peut donner vie instantanément à vos héros de bandes dessinées qui jusque-là restaient fixes.
Le père de l’animographe a perdu le sommeil. Les possibilités de sa machine sont vertigineuses. Sa découverte marque une date dans l’histoire du cinéma et a sa place dans le roman des grandes inventions. Jean Dejoux, dessinateur humoristique, avait une jolie situation mais il n’était pas satisfait. Il rêvait de pouvoir animer ses personnages. Il voulut apprendre le métier du dessin animé : Une école bien ingrate nous dit-il. J’avais l’impression de n’être qu’un maillon d’une chaîne interminable. Je ne voyais pas la fin de mes peines. Vous vous rendez compte de ce que c’est que 24 images par seconde !
L’animation classique est tributaire de cette règle draconienne. Pour dix minutes d’animation, il faut passer par de longues étapes de fabrication : dessins de base, dessins intermédiaires, reports sur cellulose, gouachage,… Jean Dejoux se demande alors si de la conception à la vision, on ne pourrait pas réduire la chaîne de fabrication. Ce qui depuis des années fait de l’animation un travail de Chinois, c’est la règle des 24 im/sec, sur laquelle est basée tout le cinéma moderne. Est-ce un nombre nécessaire qui répond à une loi optique ? Pour s’en assurer, Jean Dejoux qui a une âme de pionnier fait machine arrière et revient aux temps héroïques des premiers appareils de reproduction photographique du mouvement.
Avec un fusil spécial, un savant français, Jules Marey, en 1890, photographie le vol des oiseaux en pouvant prendre jusqu’à 16 clichés par seconde. Deux ans plus tard, , avec le praxinoscope dans lequel on regarde par une fente, on fait défiler devant l’œil les photos qui décomposent le vol des oiseaux et on s’aperçoit que 6 images par secondes suffisent à donner l’illusion du mouvement. Thomas Edison imagine le premier film à perforation pour son appareil le kinétoscope. Mais jusque-là un seul observateur peut voir l’image. C’est alors que les frères Lumière inventent le cinématographe qui projette el spectacle sur un écran. L’appareil par le jeu de l’obturateur, projette des images alternativement noires et lumineuses et on obtient un film continu à 16 im/sec. C’est à cause de ces images noires que vous avez une impression de papillotement quand on vous projette les pellicules de l’époque du muet. Le cinéma parlant fait augmenter encore le nombre d’images par seconde. Il s’agit en effet de pouvoir imprimer sur le bord du film la piste sonore en points magnétiques. Avec 16 im/sec, la longueur du film est insuffisante. On adopte la technique du 24 im/sec comme un principe sacro-saint.
Le praxinoscope a prouvé qu’on peut animer un objet en passant 5 ou 6 im/sec. C’est le film naturel de l’animation fondé sur une vérité optique : la persistance des impressions lumineuses sur notre rétine. Jean Dejoux n’a pas froid aux yeux. Le secret des inventeurs, c’est souvent d’avoir l’audace de recommencer à zéro.
Le problème est de réduire autant que possible le nombre d’images. Il part du minimum : deux images qui montrent un petit bonhomme bras repliés et bras tendus. Il découvre qu’en regardant à travers un verre polaroïd, la première image réfractée sur la seconde, on a l’impression que le personnage lève les bras : c’est le principe de la graphovision. Il confectionne son premier animographe avec une boite en carton, une pile électrique de lampe de poche, deux dessins et un système optique.
Seconde étape : supprimer l’image noire. La solution est d’utiliser une lumière constante. 3ème étape de son invention : permettre à de bons dessinateurs de dessiner directement sur la pellicule. Avec la boite en carton pour tout bagage, Jean Dejoux franchit le seuil du Service des Recherches de la R.T.F. Et il rencontre son directeur Pierre Shaeffer qui devient un puissant allié. La partie est gagnée. Un an plus tard le prototype de l’animographe sort d’usine. L’appareil se compose de deux parties : une table à dessin et une visionneuse reliées ensemble. L’opérateur-dessinateur s’assied dans l’angle droit que forment ces deux éléments. Devant lui deux bandes parallèles d’une pellicule spéciale en kodatrans de 70mm de large passent sur deux plaques lumineuses qui délimitent le champ de chaque image.
Avec un crayon lumographe (qui marque un trait fort net et sèche instantanément) on trace le premier personnage sur la bande n° 1. Un renvoi optique reporte ce dessin sur la bande n°2 : on y ajoute un élément. Les deux bandes avancent automatiquement et ainsi l’animateur, passant d’une pellicule à l’autre peut réaliser la modification progressive de son ou ses personnages. Les deux bandes dessinées synchrones sont envoyées directement vers la visionneuse. L’une donne l’image réfractée, l’autre, l’autre, l’image réelle dans une lumière constante. A travers un verre polaroïd, l’auteur peut voir s’animer le dessin qu’il a exécuté quelques instants plus tôt. Sur un tableau de bord hérissé de boutons il peut accélérer ou ralentir le mouvement. S’il n’en est pas content, il renvoie la bande en arrière, efface et recommence.
L’animographe donne vie à Astérix – Une caméra TV peut enregistrer et passer en direct sur votre récepteur les images de cette machine révolutionnaire. - Dessins effectués à la main. - Jean Dejoux et son premier animographe qui tient dans une boite en carton. – Un an après, le prototype industriel de l’animographe.
adapté d'un article publié dans le journal Pilote (1963)
P.S. cette page est extraite du dossier Astérix dans la rubrique Presse / Journaux / Bandes dessinées
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