Le texte ci-dessous a été publié en 1969 en Suisse... ce qui explique le "language". Il est reproduit tel quel; les lecteurs familiarisés avec les patois régionaux devraient s'en sortir. Je précise quand même que l'apostrophe au début d'un mot remplace la lettre "v" (ex: 'oyez pour voyez).

Pâques, ça s'rait rien, si y avait pas tout ce ch'ni d'œufs et pis tout c'ommerce ! Ça s'rait pas ça, eh ben, tous les dimanches, moi j'dirais ! Le pain t'Pâques, ben oualà ! Ça s'mange on sait pas comment. Une tranche, deux tranches, enl'vé-c'est-p'sé, vlan, a-y-est, c'est d'jà redduit ! Rectal, Mzelle Hurlut. J'vous jure, quand i'yent, l'gamin, ou ben la belle-fille (ch'parle pas d'I'Ugène, pasqu'alors, çui-là, j 'le connais, vous pouvez penser !) du pain t'Pâques, ch'pourrais en am'ner des kilos, jamais y en aurait assez. Mais j'm'en fais pas : z'en voulez encore ? j'leur dis, ben y en a plus, et pis c'est prêt !

Y en a, ils le mettent au grille-pain. Alors là, trop c'est trop ! Pasqu'on sent même plus l'poids t'sus l'estomaque, et pis alors, comment vous savez vous en avez assez ? On y va, on y va, total, qui c'est qu est gonfle ? C'est Marne Gigognard, Mzelle Hurlut, prssqu'à r'gueutser, m'escuserez comme j'vous dis ! Mais ça c'estencoreurien, et pis si vous croyez qu'c'est prêt, vous vous mettez rud'ment le doigt dans l'œil, Mzelle Hurlut, sauf vot'respect, comme on dit. Y a l'gamin. Faut cacher les œufs pour Meû-sieu. L'est pas méchant, 'oyez, mais faut faire comme i'veut. Enfin ouais... comme sa moutre elle croit qu'i' veut : "Alors, qu'est-ce il a fait, le p'tit lapin ? Un beau neuneuf ?" (Quand j'l'entends, j'y ficherais bien, tell'ment elle m'énerve !) L'gamin, 'oyez, l'est pas plus niaf qu'un autre. Croyez qu'il y croit ? Pensez-vous !... Lors bon, on t'y cache tous ces œufs qu'on avait teints (et pis d'la teinture, y en avait par toute leur cuisine, fallait 'oir !) Enfin, quoi, c'est la tradixcion, et pis la tradixcion ça fait l'eppine dorsale (m'escuserez comme j'vous parle) qui fait la colonne vertébrale du pays, a'ec nos mots eddependants, l'soleil d'la liberté, le yass et pis la fondue, c'est pas vrai ça, Mzelle Hurlut ? Bon. Lors, on r'fait la tradixcion en mettant des œufs sous les coussins du canapé, t'sous les fauteuils, derrière les cadres, enfin, 'oyez... L'gamin on y dit "chaud, froid, tiède", enfin vous connaissez, Lui, i's'embête, mais i's'dit : faut leur faire plaisir, après y aura d'latourte et pis p'têt' un lapin en choc. Alors i'cherche, quoi! Mais y a jamais l'ompte, faut qu'on cherche aussi. A la fin, c'est fini, 'oyez, mais c'est pas trop tôt, a'ec mes reins, mes g'noux et pis tout ce ch'ni.

On soupe (toujours ces charrettes d'œufs !) et pis on va à la chambre à d'meurer 'oir la tellet, et pis la belle-fille ell'se fiche t'sus l'canapê (comme i'font à présent, les jeûnes). Ouf ! qu'elle dit, v'là une sacrée journée d'écrasée ! (C'est pas des choses à dire, à Pâques, mais elle a toujours été malhonnête). Tout d'un coup, qu'est-j'ois ? Ch'fais semblant de rien, mais j'y dis, la bouche en cœur comme si ch'rais en train d'pondre un œuf en chocolat : Ouais, j'y fais, z'êtes sûre au moins qu'y a qu'la journée d'écrasée ? j'y fais. - De quoi ? elle me dit, grinche comme ça. - Soul'vez 'oire c'te coussin, j'y dis, on veut d'jà 'oir ! - Oir quoi ? (grogne, fallait 'oir) et pis elle lève c'coussin (c'te gueule, Mzelle Hurlut quelle empedgée !) : Mince alors, qu'elle dit, chavais bien y d'vait en a'oir un pas cuit !

OLIVE