Le texte ci-dessous a été publié en décembre 1938

 

 

NOËL ! NOËL ! chantait le peuple, jadis, quand un bonheur fondait sur lui, battant de l'aile comme un bel oiseau blanc. Noël! quand les cloches sonnaient pour la paix revenue. Noël! quand un prince était né à Paris ou que le roi dans son bel équipage approchait des portes de la ville.- Noël! Noël! criait le peuple en liesse quand s'écartaient, vaincus, la guerre, la famine ou la peste et qu'il voyait son humble vie refleurir. Cri d'allégresse : Noël! et la fête elle-même se pensait et chantait tant de semaines à l'avance que l'on disait : "On chante tant Noël, qu'il vient ", symbole que tout arrive, "même les choses que l'on désire". Et qui désire la venue de Noël aussi ardemment que les petits enfants ? Vous qui avez des petits garçons, de chères petites filles, faites en sorte qu'ils n'oublient jamais les beaux Noëls de leur enfance!

 

NOËL A LA VILLE ET AUX CHAMPS

 

Il est bien des façons de fêter Noël. Tels qui n'y ont rien compris n'y verront jamais qu'un prétexte comme un autre à une réunion bruyante autour d'un bon dîner. Avec, en plus, l'échange de menus cadeaux, corvée plutôt que plaisir, quoi qu'en dise le proverbe.

Il y a aussi le Noël des célibataires et des sans-amis. Pour ceux-là, il ne s'agit jamais que de la fête des autres. Ou plutôt d'oublier, dans un local aussi anonyme que possible, dans une animation plus ou moins factice, que l'on pourrait avoir un Noël à soi.

Il y a la fête de Noël des jeunes gens que des parents sans égoïsme envoient cueillir de la santé aux sports d'hiver. Ceux-là vont à la messe de minuit par des chemins couverts de neige, éclairés d'une torche, dans une petite église de montagne au décor fruste et ils apportent avec eux, offrande au petit enfant de Beethléem, leur jeunesse toute chaude encore d'enfance.

Il y a la fête de Noël que l'on passe en famille, celle des parents, celle des enfants. C'est la plus belle.

 

L'ARBRE

 

Donnez à vos enfants. de beaux souvenirs. Disposez, autour d'une crèche en miniature portant le minuscule enfant Jésus couché sur de la paille, autour de la Vierge et du bon Joseph, les rois mages couverts de dorures, porteurs de présents, le bœuf, et l'âne dont Supervielle a conté de façon si touchante les préoccupations, l'étonnement, l'amour rempli de prévenances... Disposez toute la scène sur la table portant l'arbre, et laissez-lui le premier plan. Car il ne faut pas que les petits enfants ne voient dans la fête de Noël qu'une occasion de recevoir des cadeaux et de débiter le plus vite possible un court compliment : laissez fleurir en eux la belle histoire.

La garniture de l'arbre diffère selon les goûts.

On peut garnir un arbre, comme on le fait dans certaines campagnes d'Alsace: de pommes, d'oranges, de noix, de gâteaux faits à la maison et représentant des étoiles, des poissons, des bonshommes. On met un coton spécial sur les branches, imitant la neige, et les bougies sont blanches. On peut aussi orner l'arbre d'une foule bigarrée de petits jouets allant de la locomotive à la poupée en miniature, en passant par la voiture de pompiers, les quilles, le sac de billes, et tout ce que les magasins offrent à cette époque de l'année pour tenter les petits enfants.

Mais l'arbre de Noël le plus beau que j'àie 'vu était simplement garni de bougies rouges et de "cheveux d'anges", lesquels sont d'argent ou d'or. Au sommet de l'arbre était une grande étoile, bijou de diamants qui scintillait au feu des bougies. Ainsi garni, le sapin était posé sur une table peu grande, couverte de papier d'argent sur lequel de place en place brillaient les petites boules du houx et du gui.

L'arbre est généralement posé dans un coin du salon et toujours garni à l'abri des regards indiscrets. Les enfants, d'ailleurs, ont fort à faire ce jour-là, car presque toujours ils s'y prennent trop tard pour fabriquer leurs menus cadeaux. Heureuses les petites filles auxquelles pendant la nuit précédant la fête une bonne grand-mère donne un coup de main tandis qu'elles dorment et qui, se réveillant le lendemain, trouvent presque terminés le petit tapis, le mouchoir brodé, le napperon de dentelle qu'elles destinent à leur maman. Il faut les comprendre: laquelle d'entre pous, dans l'attente d'une si grande joie, avait le cœur à travailler aussi consciencieusement que d'habitude, et ne perdait pas de temps, le nez en l'air, à supputer les détails de la fête, à essayer d'en surprendre quelque préparatif mystérieux? Mais il cet bon que les enfants, eux aussi, prennent plaisir à préparer des surprises pour les grands. Il est bon qu'ils se demandent longtemps à l'avance : "Que vais-je bien pouvoir lui donner..." Entrez dans leur jeu! Trouvez en décembre un prétexte pour leur donner un peu plus d'argent de poche. Laissez échapper de menues phrases qui les mettront sur la voie d'un cadeau possible: "Je n'ai plus un seul joli mouchoir. — J'ai vu de bien belles cravates chez X..." Soyez sûrs que l'enfant les entendra, mais donnez ces indications tout à fait en passant, sans le regarder, il saisirait votre intention et vous en voudrait de lui croire si peu d'imagination.

 

CADEAUX DE NOËL

 

A votre tour, sachez ce qu'un enfant peut désirer et découvrez le cadeau qui lui fera un plaisir durable. Méfiez-vous de certains jouets que l'on paie très cher et qui amusent un moment, mais ne sont pas susceptibles de porter l'imagination enfantine très loin.

Un jeu de constructions mécaniques, par contre, et il en existe de très perfectionnés, donne des joies toujours nouvelles, car il se prête à mille combinaisons. Un garçon qui peut tirer d'une grande boîte la possibilité de construire une auto ou une trottinette capables de le porter ne se sent-il pas l'égal de Ford ?

Les petites filles ont presque toutes un instinct maternel très développé. Si la vôtre a de belles poupées, offrez-lui un bébé avec ses couches, ses chemises et ses bavettes. Ajoutez un biberon, une cuvette et elle aura là son dernier-né qui lui donnera mille joies et soucis. Et ne vous fâchez pas par la suite si elle prend de la farine dans le garde-manger pour préparer de solides petites bouillies : les bébés des petites filles grandissent comme les autres.

Si vos moyens ne vous permettent pas de faire à vos enfants des cadeaux coûteux, ne vous désolez pas : allez chercher dans vos tiroirs ces coupons qui attendent leur çmploi, prenez cette pelote de laine et vos aiguilles et faites aux vieilles poupées un trousseau neuf. Surtout que les robes et manteaux puissent s'ouvrir et se fermer, que les pantalons soient pareils à ceux de vos fillettes, que les chaussures se lacent: l'enfant a besoin d'un fond de réalité et une poupée dont les vêtements sont cousus au corps et qui "n'a pas de linge" n'est jamais chérie comme celle que l'on déshabille tous les soirs. Et n'oubliez pas la confortable chemise de nuit, longue et chaudes et la jaquette de laine, et le tablier. C'est dans sa tenue de tous les jours qu'une fillette préfère "sa fille".

Vous qui connaissez les goûts de vos enfants ne devez pas être très embarrassés pour leur faire plaisir. Au garçon qui a du goût pour le dessin, donnez une boîte d'aquarelle. Mais choisissez peu de couleurs et qu'elles soient bonnes. Quelques tubes de couleurs fondamentales valent mieux qu'une palette complète de petits rectangles durs dont il ne fera jamais rien de bien. Et vous pouvez aussi lui donner de la pâte à modeler : vous vous réserverez des surprises, car un enfant doué pour cela est capable d'imaginer des formes charmantes.

Et puis, il y a toujours les livres. Rares sont les enfants qui ne seraient déçus de ne pas trouver de livres parmi leurs cadeaux. Récits de voyages, dans le genre de ceux de Jules Verne mais adaptés à la science actuelle, romans entre les pages desquels un petit garçon verra vivre et agir l'idéal qu'il s'est formé d'un enfant intelligent et courageux, voilà de quoi faire passer de belles journées de vacances. Et glissez une histoire de France séduisante pour l'imagination enfantine et un livre de celle excellente collection traitant des merveilles de la nature et vous aurez le plaisir d'avoir à répondre dans les semaines qui viennent à des quantités de questions embarrassantes...