ACCUEIL | LES FETES ET LES TRADITIONS | NOËL EN ALSACE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici un texte de Jean Botrot publié en décembre 1933

 

Si l'Alsace, comme toutes les autres régions de France, a sacrifié durant ces dernières années la plupart de ses vieilles coutumes à l'esprit moderne, du moins est-elle restée fidèle à la plus populaire de toutes : elle continue de célébrer les fêtes de Noël comme il y a un siècle et plus.

Où donc est l'originalité ? dira-t-on. Noël ne demeure-t-il pas, aux yeux de nous tous, la plus belle fête de l'année? Tous les petits enfants de France ne mettent-ils pas leurs souliers devant la cheminée? Les Parisiens les plus blasés ou les plus casaniers ne s'offrent-ils pas euxmêmes, dans la nuit du 24 au 25 décembre, le plaisir de réveillonner dans quelque établissement choisi entre mille ? Ne chante-t-on pas un peu partout, cette nuit-là, en Provence, au pays basque, en Auvergne, dans le Berry, en Picardie, en Bourgogne de vieux Noëls de terroir où les âmes les plus diverses ont mis leurs plus beaux accents ?

Tout cela est fort exact, et c'est tant mieux. Mais il n'est pas moins exact que le Noël d'Alsace est quelque chose de très spécial. Sans cela, tous les originaires du Haut et du Bas-Rhin fixés dans une autre province ne reviendraient certainement pas, en cette circonstance, aussi nombreux au pays natal. En réalité, ceux-là ne sauraient se contenter de notre Noël à nous, lequel, tout joyeux qu'il puisse être, doit leur sembler un peu improvisé, un peu dénué d'atmosphère, d'ordonnance et de signification. A ces traditionnelles réjouissances Ils donnent,, eux, un sens très élevé : ils en font tout à la fois une fête de la famille, une fête de l'amitié, une fête de la nature, une fête de la vieille Alsace.

Un tel événement nécessite une longue et minutieuse préparation. Aussi, les bûcherons vont-ils couper dans la montagne, dès le début de décembre, ces sapins de Noël qui seront le symbole même de la fête. Le sapin de Noël, que l'on dresse aujourd'hui un peu partout, est d'ailleurs d'origine alsacienne. Des folkloristes l'ont prouvé, ayant trouvé dans les registres de Sélestat la trace d'un arbre de Noël qui fut élevé en cette ville en 1546. Sans doute les réjouissances qui se déroulaient à l'origine autour du Tannenbaum devaient-elles être assez profanes, puisque le farouche prédicateur Conrad Dannhauer disait à ses compatriotes "qu'au lieu de dresser des arbres de Noël, ils agiraient beaucoup plus sagement en vouant leurs enfants au cèdre spirituel du Christ". Mais la coutume, bien loin de disparaître, devait pénétrer en Allemagne, en France. puis après 1871 jusqu'en Algérie où de nombreux Alsaciens s'étaient volontairement exilés.

Voici donc, dès les premiers jours de décembre, les forêts mises en coupe réglée pour fournir des sapins de Noël à tous les Alsaciens. Je dis bien à tous sans exception. Les familles aisées dresseront un arbre de deux mètres, les familles modestes un arbre plus petit; les pauvres se contenteront d'une simple branche. En tout cas, chacun aura son arbre. Il faut voir à Strasbourg, durant les trois semaines qui précèdent Noël, le grand marché aux sapins de la place Broglie. Les citadins ne cessent d'y affluer pour y découvrir l'arbre dont ils rêvent. L'affaire paraît toute simple, mais nos gens sont connaisseurs et difficiles ! Le sapin n'est pas assez droit, cet autre pas assez touffu. Il en est qui ne se décident qu'à la dernière minute. Et c'est ainsi que les 22 et 23 décembre on rencontre à tous les coins de rue un monsieur très affairé portant un petit sapin sous son bras.. Une fois acheté. le sapin est installé dans le Wohnzimmer, dans la plus belle pièce de la maison. Défense aux enfants, désormais, de pénétrer dans cette chambre où règne cependant une activité fébrile.

 

 

 

La place Broglie

 

 

Il faut, en effet, parer l'arbre de Noël, accrocher à ses branches cent friandises et cent petites choses étincelantes que l'on remplace à la campagne par des coquilles de noix dorées ou argentées. Il ne faut oublier ni les guirlandes scintillantes imitant à s'y méprendre l'éclat de la neige, ni surtout les minuscules bougies de couleur dont la fine et douce odeur, à mesure qu'elles se consument, compose avec celle du sapin le parfum même du Noël d'Alsace.

Selon la vieille tradition alsacienne, ce n'est pas notre père Noël qui apporte l'arbre dans la maison, c'est le Christkind, le bel ange blanc de Noël. C'est encore le Christkind qui accumule sous les branches du sapin les joujoux et les cadeaux de toute sorte, car l'enfant — nouvelle différence avec la tradition des autres provinces — ne met pas ses souliers dans la cheminée. Il va chercher ses jouets sous les branches de l'arbre.

Enfin, arrive le grand soir. J'entends celui du 24 décembre. Les rues et les cafés, si animés les soirs précédents, deviennent brusquement déserts. Chacun vient de s'attabler pour un festin où paraîtront, après le foie gras, soit la dinde, soit l'oie rôtie, puis les petits gâteaux à l'anis. Dans les familles les plus simples on ne peut évidemment s'offrir tout cela. Alors, on dîne à peu près comme de coutume, mais on termine le repas, pour bien marquer que c'est jour de liesse, par une bonne tasse de chocolat. Cela n'est-il pas charmant ?

Autour de la table qui voyons nous ? D'abord, les enfants, rois de la fête. Puis les parents et les grands-parents et d'autres membres de la famille qui, eux, n'ont pas d'enfant, enfin quelques bons amis qui sont dans le même cas. On ne conçoit pas en Alsace que des célibataires ou des gens sans enfants puissent passer le Noël tout seuls. Alors, les familles les invitent. Cela aussi n'est-il pas charmant ?

Le dîner, bien long au gré des petits, encore que fort savoureux, est enfin terminé. Alors, c'est la minute solennelle. Devant les marmots trépignants d'impatience s'ouvre la porte condamnée et l'arbre apparaît. Les petits n'en croient pas leurs yeux. Comme il brille ! Comme il est grand ! Avec quelles mains tremblantes de joie chacun s'empare de ce qui lui est destiné !

Mais voici le plus beau. Le Christkind est aussi venu pour les grands. En cachette, le mari a acheté un cadeau pour sa femme, la femme un cadeau pour son mari. Il y a un flacon de parfum pour la jeune fille, une pile de livres pour le fils aîné, une caisse de vin vieux pour le grand-père. Le Christkind n'a pas non plus oublié la bonne. Sur la table, au milieu des branches de sapin, de gui et de houx, il a laissé à son intention des vêtements neufs et une enveloppe contenant quelque argent. Ce Christkind a même parfois de fameuses idées. C'est ainsi que, samedi soir, j'ai entendu un Strasbourgeois dire à sa servante :

— Marie, montez donc dans votre mansarde, le Christkind vient d'y faire poser l'électricité !

Dans la même maison, le Christkind qui, décidément, pense à tout et à tous, avait même apporté un magnifique collier pour le chien !

Quand on s'est embrassé à en perdre le souffle sous les branches du petit sapin, tout le monde, parents, enfants, amis, domestiques, s'assied en rond autour de lui. S'il y a un enfant malade, on transporte son petit lit auprès de l'arbre. Une minute s'écoule dans le silence. On se recueille pour chanter les vieilles chansons de Noël : d'abord le Stille Nacht, qui célèbre avec une douceur infinie la pureté de la nuit où va naître le fils de Dieu, puis le fameux Tannenbaum, auquel les voix mâles donnent la majesté d'un cantique joué aux grandes orgues, et encore le 0 du Froehliche, le chant de vibrante allégresse. Notre siècle a beau être ce qu'il est, il n'y a pas, à cette minute, dans cette province, une seule voix qui n'entonne ces simples ehants appris dès le berceau. Toute l'Alsace chante. Et chacun des chanteurs à ce moment se sent l'àme pure et joyeuse d'un pâtre de Bethléem.

A plusieurs reprises cependant, les cloches ont sonné. On court à la messe de minuit. Après cela, il n'est pas question de réveillonner comme on le fait à Paris. Chacun a déjà fait son plein de bonnes choses, d'émotions et de plaisirs. D'ailleurs, les fêtes ne sont point terminées.

Le lendemain, jour de Noël, doit être celui des visites. Le surlendemain, jour de la Saint-Etienne, on dansera dans toute l'Alsace. La vie accoutumée ne reprendra guère avant qu'on ait rallumé, le soir de la Saint "Sylvestre, les bougies du petit sapin.

Si, dans les villes le Noël alsacien prend ce caractère dé féerie, peut-être est-il encore plus pittoresque et plus joyeux dans les villages. Dans beaucoup d'entre eux le Christkind — en l'occurrence une jeune fille vêtue de blanc et voilée — apparaît bel et bien aux enfants et distribue lui-même les jouets. Parfois même le terrible Hans Trapp l'accompagne.

Jadis vivait dans le Palatinat un personnage redoutable, moitié seigneur moitié brigand, qui s'appelait Hans von Trott. Après sa mort, vivement impressionnée par ses méfaits, l'imagination populaire créa le Hans Trapp. Il arrive que le soir de Noël il vienne s'informer dans les maisons de la sagesse des enfants. Il est vêtu d'une longue pèlerine à capuchon et chaussé de lourdes bottes. Son visage, qu'orne une barbe de neige, est, paraît-il, terrifiant. Il porte un collier de grelots et traîne quelquefois des chaînes derrière lui, ce qui fait que les petits enfants l'entendent arriver de très loin. Sa main brandit un paquet de verges. Grand dieu, va-t-il s'en servir ? Un tout petit peu quelquefois, mais pas bien vigoureusement, comme pour plaisanter. Quelquefois aussi, les verges se séparent et l'on voit pleuvoir sur le sol des bonbons de chocolat. Le méchant Hans Trapp n'a plus qu'à disparaître. On respire. Mais, tout de même, mieux vaudra être sage l'an prochain.

Pour que dans les villages la fête fût complète, il n'a manqué, cette année, que la neige. Au grand désespoir des gens elle est tombée trop tôt, puis a fondu. En sorte qu'on n'a pas pu aller en traîneau à la messe de minuit et qu'on n'a pu contempler le délicieux tableau d'un grand pèlerinage nocturne, animant la campagne toute blanche de son acheminement silencieux et de la blonde clarté des lanternes.

J'aurai garde enfin d'oublier qu'en dehors des fêtes familiales, il en est d'autres qui se déroulent en public et qui ne sont pas moins réussies. C'est ainsi que dans tous les cantons du Bas-Rhin, les meilleurs enfants des écoles ont eu leur arbre de Noël grâce à la générosité du directeur d'un grand magasin de la capitale, originaire de ce département qu'il inonde chaque année de joujoux.

J'ai assisté à une semblable distribution. C'était à Soulz-sous-Forêt, entre Haguenau et Wissembourg. Ce fut pour moi une occasion supplémentaire d'entendre les Noëls alsaciens chantés par les enfants du canton et, qui mieux est, chantés en français.

— Il y a quatre ans, me dit M. Lagarosse, le sous-préfet de Wissembourg, qui présidait, ils les chantaient encore en allemand.

Et c'est ainsi qu'un peu partout j'ai pu voir le Noël d'Alsace se doubler d'un significatif, d'un émouvant Noël de France.

 

 

 

La veille de Noël en Alsace - Christkindel et Hans Trapp venant demander si les enfants ont été sages.

 

 

_____________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  ACCUEIL | LES FETES ET LES TRADITIONS | NOËL EN ALSACE

 

 

 

bachybouzouk.free.fr