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La Toussaint, tableau d'Emile Friant (1863-1932)

 

 

La mort fait partie du cours naturel de la vie et, tôt ou tard, nous devons tous inévitablement l'affronter. A mon sens, tant que nous sommes en vie, nous pouvons l'envisager de deux manières. Soit nous choisissons de l'ignorer, soit nous faisons face à la perspective de notre propre mort et essayons, par une réflexion lucide, d'atténuer la souffrance qu'elle peut entraîner. Cependant, aucune de ces deux solutions ne nous permet, en fait, de triompher d'elle.

 

C'est dans les termes précités que le dalaï-lama commence son avant-propos du "Livre tibétain de la vie et de la mort", de Sogyal Rinpoché. Cette référence au bouddhisme souligne, si nécessaire, que si les Occidentaux réfléchissent de plus en plus volontiers sur "l'accompagnement à fin de vie", ils regimbent souvent à une réflexion plus structurée sur le rite funéraire. Cacher la mort, la masquer, la privatiser, l'aseptiser a été, et est encore, une des grandes tentations de notre société. La mort, perçue souvent comme un échec de la médecine, est pour beaucoup, un sujet tabou. Le dialogue interculturel, théologique, fait progresser les mœurs et les pratiques. La liberté, pour ne pas dire la sérénité avec laquelle le bouddhisme traite la question, nous aide peut-être, nous aussi, à oser mettre des mots sur un sujet qui reste passionnel, controversé et délicat.

En cette période où les feuilles multicolores rappellent le cycle de la vie, en ce temps de Toussaint où beaucoup se souviennent, il est peut-être utile de se pencher, ne serait-ce qu'un instant, surle rite funéraire. Si la pratique fondamentale des services funèbres n'a guère été modifiée, sauf en ce qui concerne le crématoire, le dialogue a permis de souligner l'importance du rite et le sens symbolique de son déroulement. Elle a été aussi l'occasion de nombreux échanges avec les Eglises, les pompes funèbres et la population.

 

Une confession de foi

 

L'Eglise proclame la primauté de l'amour sur la haine, de la lumière sur les ténèbres, de la vie sur la mort. La résurrection n'est pas un discours sur la mort ou la vie après la vie, elle est une confession de foi, une espérance, un éclairage qui traverse l'ensemble du service funèbre. Le Christ est ressuscité des morts, par sa mort il a vaincu la mort et à ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie. Cette proclamation de la résurrection est la marque du rite chrétien. Elle est la pierre angulaire sur laquelle la célébration se construit, le ciment qui relie les différentes étapes de ce cheminement avec les mourants et avec leurs proches.

Mais si l'Eglise croit en la résurrection, elle n'en reste pas moins qu'elle proclame un Dieu qui s'insère dans la vie terrestre. Dans sa lettre aux Corinthiens, St-Paul dit aux croyants: "Notre lettre, c'est vous, lettre écrite dans nos cœurs, connue et lue par tous les hommes... écrite non avec de l 'encre, mais avec l'Esprit de Dieu..." (2 Cor. 3,3-4)

La vie de la personne qui nous quitte a donc une importance profonde non seulement pour ses proches. En la rappelant au cours du message, l'objectif n'est pas de faire l'éloge de la personne, mais d'indiquer comment Dieu s'inscrit dans le parcours des vivants, comment il vient se tisser dans notre pâte humaine. Il retrace cette présence divine dans le cheminement du quotidien.

 

Un temps suspendu

 

"Il y a un temps pour vivre et un temps pour mourir". ... et par conséquent pour porter en terre. (Eccl-3) Ce temps qui s'écoule entre le moment où la mort intervient, où le souffle s'arrête, où le cœur cesse de battre et le moment où "tout est enfin terminé et la vie peut reprendre ses droits" (selon l'expression si souvent entendue après un service funèbre) s'inscrit comme "en dehors du temps". Cela est si vrai que, dans certaines contrées de Bretagne, on arrête la grande pendule de la maison au moment de la mort et on ne la remet en marche qu'une fois le service funèbre terminé. Ces trois jours obéissent à des rythmes, à des phases, à des périodes d'assimilation où les paroles échangées, les larmes, les repas, le sommeil, le service religieux jouent chacun un rôle essentiel.

Il y a d'abord cette phase de la "négation"; ce temps où même si la mort est l'aboutissement d'une longue attente, la vérité, la cruauté de ce départ définitif et sans appel reste "incroyable". Les proches parlent du défunt au présent. Ils disent "il est..." ou "je l'entends..." et il faudra souvent plus de 24 heures pour que lentement, presque insensiblement, ils s'expriment à l'imparfait. C'est le temps des formalités, des papiers, des fleurs, des téléphones, des paroles consolatrices ou maladroites. Ce temps fonctionne un peu comme un anesthésiant, - les familiers disent "je me sens un peu comme un automate"; mais petit à petit le temps martèle au fil des heures l'incontournable vérité.

Je suis mille fois d'accord avec le professeur de théologie Pierre-Luigi Dubied lorsque, dans une revue sur le sujet des funérailles, il écrit: "Au premier abord la mort est, et reste révoltante, et il est essentiel de ne pas étouffer le cri, le chagrin et la douleur qu'elle suscite". Plusieurs années avant, Paul Tournier écrivait: "On ne parvient à l'acceptation qu'à travers la colère, au-delà de la colère, après l'avoir exprimée."

 

Le temps de la révolte

 

Cette révolte peut prendre toutes sortes de formes; elle peut aller du rire au larmes, du silence au flot de paroles, de l'inertie à l'hyperactivité. Il est donc important pour tous les partenaires de bien mesurer l'état émotionnel très particulier dans lequel se déroulent ces échanges. Mais Dieu se reconnaît, lui aussi, dans nos cris. C'est au travers d'un cri que Jésus crie son abandon sur la croix; et les psaumes de détresse sont bien le miroir de nos larmes en ces instants douloureux. En écrivant ces mots, je revois des visages, j'entends des parents, surpris, comme arrêtés, bloqués dans leur vie, à cause du départ brutal d'un enfant. Et la révolte est d'autant plus grande que la vie n'est pas arrivée à son terme. Ces ruptures demeureront comme autant de mutilations, de cicatrices indélébiles. Et pourtant, en même temps, j 'entends d'autres choses, en d'autres situations; quelques phrases qui s'accompagnent d'un soupir de soulagement: "Il a fini de souffrir...", "Heureusement Dieu a eu pitié de lui", "Que voulez-vous, ça ne pou vait plus durer comme cela; c'est une délivrance!" Que la mort intervienne de façon brutale, injuste, ou qu'elle soit l'abou-tissement d'une vie quis'achève dans la logique deschoses, elle reste une rupture,un déchirement, un cri quidoit être répercuté, entendu,au cours du service funèbre.

 

Se souvenir

 

C'est dans ce mélange des sentiments de colère et de solitude, de détresse et d'espérance qu'il devient important pour les vivants de remonter dans les mémoires, de faire exister comme autant de trésors partagés les temps de fêtes, de vacances, les petites anecdotes de toutes sortes. Ces partages font découvrir que notre mémoire est capable de nous faire revivre le passé; ceux qui nous ont quitté ou qui nous quittent maintenant sont "vivants autrement", non seulement dans un au-delà auquel nous n'avons pas accès, mais dans notre vie terrestre qui devra bien, bon gré, mal gré, se poursuivre. Ce "faire mémoire ensemble" permet de franchir une autre étape. Le pasteur Antoine Nouis l'exprime ainsi: "Regarder la mort d'un proche face à face est un moment douloureux, mais aussi un moment de vérité qui ne peut qu'aider dans la nécessaire démarche de l'adieu."

Pour pouvoir quitter réellement, et pas seulement à l'occasion d'un service funèbre, il faut que trois choses soient dites: la première est "merci." Merci pour l'amour donné, merci pour l'amour reçu, merci pour la vie partagée. Cette reconnaissance est force, présence dans l'avenir, source de consolation. La deuxième est "pardon". Pardon pour toutes les fois où je n'ai pas pu ou pas su dire les choses, pardon pour les attentes déçues, les mots qui blessent. Mais moi aussi, je veux donner ce pardon, libérer ma mémoire de tout ce qui l'alourdit, vivre dans la paix. Cette double démarche de la reconnaissance et de la clarification permet ce que certains appellent aujourd'hui "le lâcher-prise". Elle ouvre à cet au revoir, cet adieu ou cet A Dieu, ce moment où, dans la liturgie, l'assemblée remet dans les mains et dans le cœur de Dieu la vie et la mémoire de la personne qui s'en va.

Le rite funéraire rassemble, en un espace-temps très réduit, le passé, le présent et le futur; les intimes, la famille et les connaissances. A ce moment-là s'expriment des formules de politesse, des sentiments intimes, des souffrances profondes, des espérances. Le cadre dans lequelle rite se déroule peut donc avoir sa signification.

 

 

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Ceux qui s’en sont allés
Et ceux qui sont restés,
Tous les vivants d’hier
Et les morts de demain,
Les trépassés autour desquels,
Fidèle, la pensée veille,
Et les vivants parmi lesquels
Les morts demeurent,
Tous ceux-là qui n’ont plus de regards
Et ceux dont les regards cherchent en vain les absents,
Tous ceux-là qui joignent les mains
Pour la fête qui se prépare
Et ceux dont les cœurs se rejoignent
Par-dessus les frontières
Qui les séparent,
Tous ceux-là, tous ceux-là,
Qui n’ont plus de maison
Ni de sépulture,
S’en sont venus de loin, de loin,
Au rendez-vous de la Toussaint,
Pour unir leurs mains fraternelles
Et pour fêter ensemble
Le souvenir.

 

Journal Tintin (1951)

 

Morts bien aimés, c'est votre fête;
Le cimetière est plein de fleurs.
Près d'un tombeau chacun s'arrête,
Triste et muet, courbant la tête,
Puis lève au ciel ses yeux en pleurs.

Pour deviner nos rêveries
Etes-vous là, vous, les défunts ?
Ames des morts, toujours chéries,
Lorsque vos tombes sont fleuries,
Respirez-vous leurs mauvais parfums ?

Morts, nous venons pour vous entendre
Pour espérer, prier, bénir.
Ah! dites-nous qu'il faut attendre
L'heure sacrée, heureuse et tendre,
L'heure qui doit nous réunir.

Votre pensée en nous pénètre,
Votre lumière emplit nos yeux.
Vous l'avez dit : Mourir, c'est naître;
Et nous saurons vous reconnaître,
Chers trépassés, sous d'autres cieux.

 

 

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CIMETIERE DE VILLAGE

 

En plein village, au bord de la grand’route, autour

De l’église gothique au fin clocher à jour

D’où l’angélus, matin et soir, prend sa volée,

L’humble jardin des morts allonge son allée.

Modeste enclos, fleuri de simples fleurs des champs.

Des oiseaux par endroits l’égayent de leurs chants.

Un christ étend les bras du haut de son calvaire.

Et pas de marbre altier, ni de stèle sévère,

Mais des tertres bâtis dans les gazons épais.

Où toujours ces deux mots d’espérance et de paix

Se retrouvent, inscrits sur chaque tombe close :

"Ici repose... Ici repose... Ici repose...

Et le jardin étant au cœur même du bourg,

Chaque fois que des bœufs partent pour le labour.

Que des femmes s’en vont au lavoir, que s’allume

Une forge, que tinte un marteau sur l’enclume.

Ou que l’école s’ouvre aux petits, marronniers

Et platanes, le long des murs blancs alignés.

Vibrent à chaque écho de la petite ville.

Et les doux morts, bercés dans leur sommeil tranquille

Par ces bruits familiers charriés par les vents.

Ne se sentent pas trop délaissés des vivants.

Mais la nuit, quand tout dort dans le calme village,

De subites lueurs tremblent dans le feuillage.

Le pâle clair de lune apparaissant soudain

Fait du modeste enclos un féerique jardin

Et les sentiers déserts ont des clartés étranges.

Comme si, déployant leurs blancs voiles, des anges,

A l’heure où tout dort bien dans le moindre hameau.

Venaient pour soulever la pierre d’un tombeau.

 

André Dumas.

 

 

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