article de Thierry Oppikofer publié en 1993

Qu'est-ce exactement qu'un routard? Un écolo, un vagabond, un beatnik attardé ! Allons donc! Pierre Josse, rédacteur en chef du Guide du routard - dont l'éditon "Hôtels et restos de France 1993" est récemment sortie -, confie que la moitié des utilisateurs du guide sont des cadres... et des retraités! Refus du tourisme de masse, ouverture au voyage et aux autres cultures: tout cela, comme chacun sait, est question d'état d'esprit. Et l'aventure, aujourd'hui, peut souvent consister à retrouver l'authenticité des provinces françaises...

Le Guide du routard est né au milieu des années 70*, lorsque la proposition de Philippe Gloaguen, maintes fois refusée, fut enfin agréée par un éditeur. Et pas n'importe lequel: Hachette, auguste producteur de Guides bleus pour gens sérieux. Heureusement, à la tête de la grande maison, un père de famille écouta son fils adolescent qui lui reprochait de ne pas offrir aux jeunes voyageurs - désargentés et avides de bons tuyaux - un ouvrage adapté à leurs besoins et à leurs moyens. C'est le démarrage d'un solide succès d'édition, avec des guides couvrant nations et régions du monde entier.

- Au départ, dit Pierre Josse, la clientèle du Routard était composée à 95 °/o de lycéens et d'étudiants fauchés. Aujourd'hui, presque tous ces gens ont une position bien assise, sont cadres, chefs d'entreprise, fonctionnaires... Mais ils nous sont restés fidèles, avant tout parce qu'ils ont su conserver l'esprit routard, une attitude ouverte sur le monde et les voyages. Et, bien sûr, les nouvelles générations de lycéens et d'étudiants sont venues les reiojndres. Nos lecteurs se recrutent, en gros à parts égales, dans ces deux catégories, avec en prime l'arrivée d'une troisième, relativement inattendue et en pleine croissance: celle des retaités. Les "panthères grises", cible bien connue des agences de voyage, partagent en effet avec les "gamins" qui arpentent le monde, Guide du routard en poche, deux caractéristiques: pas beaucoup d'argent, beaucoup de temps libre. Les bonnes adresses du guide, dont la raison d'être reste le meilleur rapport qualité-prix-découverte, sont donc particulièrement prisées par les papys et mamys plus proches de 77 que de 7 ans. Josse avoue que, parmi les quelque dix mille lettres reçues par an, celles de ces gens d'âge mûr — commençant presque toujours par: "Vous allez rire, mais..." — l'émeuvent particulièrement. Et, surprise pour une équiqe de permanents et de pigistes qui se veulent anticonformistes: "Nous nous reconnaissons parfaitement dans les lettres de ces aînés!" sourit Pierre Josse.

Pas de doute, au cours des vingt dernières années, tandis que le troisième âge devenait plus "branché",les ex-babas, eux, évoluaient vers un art de vivre moins utopique. Passé le temps de la révolte contre le père, est venu celui de la redécouverte de l'authenticité: "Le baba-cool a disparu en tant que figure sociologique", s'amuse Pierre Josse, qui ajoute: "Aujourd'hui, la famille est un refuge contre la crise". Mais les routards n'ont pas abandonné pour autant leurs convictions: "Mon grand plaisir est de recevoir des lettres d'insulte de lepénistes", souligne le rédac-chef du guide, qui a rayé de ses listes des auberges super-sympas, pas chères et offrant de la bonne cuisine parce qu'il avait surpris le patron expliquant à un client un peu trop bronzé qu'il n'y avait "plus de table libre".

Faut-il être écolo pour être routard? La question se pose. Josse y répond positivement, ce qui ravira un instant les verts de tout poil. Mais il précise aussitôt, pour dissiper tout malentendu: "Quand je dis écolo, je n'utilise pas ce terme au sens politique, celui de ces petits arrivistes aux dents longues qui ne cherchent que le pouvoir!". Le respect de l'environnement, pour Josse et ses routards, c'est aussi celui de la culture et des traditions locales. Et le public est bien d'accord, puisque le guide "Hôtels et restos de France" est devenu le best-seller de la collection! Les guides régionaux vont se multiplier,tandis que la collection continuera à couvrir le monde, mais à s'axer particulièrement sur l'Europe. Guerres (du Golfe ou d'ailleurs), insécurité et intégrisme sont passés par là, ainsi qu'une sorcière nommée Récession. Josse verse une larme sur l'Inde. Mais, sans être opportuniste, il faut rester clairvoyant: les guides consacrés au pays de Gandhi, à l'Amérique latine (Pérou, Brésil) et à l'Afrique noire étaient hier les plus vendus. Ils forment aujourd'hui la queue du peloton. Avec deux ans d'avance sur les voyagistes en matière de choix des destinations, grâce à leur connaissance approfondie du terrain, les gens du Routard savent qu'il faut miser sur la Méditerranée, et accessoirement sur la France et son terroir. Dès 1991, le Portugal, l'Islande, l'Irlande, la Scandinavie et l'Angleterre ont marché très fort.

Ce qui fait aussi la force du Guide du routard, c'est ce que Pierre Josse nomme "la complicité quasi familiale avec le lecteur". Les rédacteurs sont subjectifs et ils s'en vantent. La qualité de l'accueil, la sympathie des tenanciers, l'originalité ou le respect des plats traditionnels jouent un grand rôle dans le choix des bonne sadresses. "Etoffé sans être chiant", pour reprendre la formule gaillarde de Pierre Josse, le Routard n'hésite pas à appeler un chat un chat et à avertir le lecteur des réalités du trafic de drogue ou du racket des touristes. En tout cas, le guide "Hôtels et restos de France 1993", révisé et assorti — entre autres - d'un rappel des droits du consommateur, constitue une invitation fort tentante à découvrir "la richesse époustouflante de la province (et de certains coins de Paris)". Et lorsqu'un Pierre Josse, capable de marcher sept jours et sept nuits à travers Prague ou detester des bistrots dans des pays dont vous et moi ignorions quasiment l'existence, vous le dit, vous pouvez lui faire confiance.

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* collection française de guides touristiques fondée en avril 1973 par Michel Duval et Philippe Gloaguen aux éditions Gedalge, puis chez hachette à compter de 1975.