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illustration de Gustave Doré (1852)

 

 

Le Juif errant est un personnage légendaire dont les origines remontent à l'Europe médiévale et qui ne peut pas perdre la vie, car il a perdu la mort : il erre donc dans le monde entier et apparaît de temps en temps.

 

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LE JUIF ERRANT

 

Est-il rien sur la terre

Qui soit plus surprenant

Que la grande misère

Du pauvre Juif errant ?

Que son sort malheureux

Parait triste et fâcheux !

 

Des bourgeois de la ville

De Bruxelle en Brabant,

D’une façon civile

L’accostèrent en passant.

Jamais ils n’avaient vu

Un homme si barbu.

 

Son habit tout difforme

Et très mal arrangé

Leur fit croire que cet homme

Était fort étranger,

Portant comme ouvrier

Un simple tablier.

 

Ils lui dirent : "Bonjour, maître,

De grâce accordez-nous

La satisfaction d’être

Un moment avec vous :

Ne nous refusez pas,

Retardez donc vos pas.

 

— Messieurs, je vous proteste

Que j’ai bien du malheur ;

Jamais je ne m’arrête

Ni ici, ni ailleurs :

Par beau ou mauvais temps,

Je marche incessamment.

 

— Entrez dans cette auberge,

Vénérable vieillard,

D’un pot de bière fraîche

Vous prendrez votre part :

Nous vous régalerons

Du mieux que nous pourrons.

 

— J’accepterais de boire

Plus d’un coup avec vous,

Mais je ne puis m’asseoire,

Je dois rester debout :

Je suis en vérité

Confus de vos bontés.

 

— De connaître votre âge

Nous sommes curieux,

A voir votre visage,

Vous paraissez fort vieux :

Vous avez bien cent ans,

Vous montrez bien autant.

 

— La vieillesse me gêne,

J’ai bien dix-huit cents ans,

Chose sûre et certaine,

Je passe encore trente ans :

J’avais douze ans passés,

Quand Jésus-Christ est né.

 

— N’êtes-vous pas cet homme

De qui l’on parle tant,

Que l’Écriture nomme

Isaac le Juif errant ?

De grâce, dites-nous

Si c’est sûrement vous ?

 

— Isaac Laquedem

Pour nom me fut donné,

Né dans Jérusalem,

Ville bien renommée :

Oui, c’est moi, mes enfants,

Qui suis le Juif errant.

 

Juste ciel ! que ma ronde

Est pénible pour moi !

Je fais le tour du monde

Pour la cinquième fois :

Chacun meurt à son tour,

Et moi je vis toujours.

 

 

Je traverse les mers,

Les rivières, les ruisseaux,

Les forêts, les déserts,

Les montagnes, les coteaux,

Les plaines et les vallons,

Tous chemins me sont bons.

 

J’ai vu dedans l’Europe,

Ainsi que dans l’Asie,

Des batailles et des chocs

Qui coûtaient bien des vies :

Je les ai traversés

Sans y être blessé.

 

J’ai vu dans l’Amérique,

C’est une vérité,

Ainsi que dans l’Afrique,

Grande mortalité :

La mort ne me peut rien,

Je m’en aperçois bien.

 

Je n’ai point de ressource,

Je n’ai maison ni bien,

J’ai cinq sous dans ma bourse,

Voilà tout mon moyen :

En tous lieux, en tous temps,

J’en ai toujours autant.

 

— Nous pensions comme un songe

Le récit de vos maux,

Nous traitions de mensonge

Tous vos plus grands travaux :

Aujourd’hui nous voyons

Que nous nous méprenions.

 

Vous êtes donc coupable

De quelque grand péché,

Pour que Dieu tout aimable

Vous ait tant affligé :

Dites-nous l’occasion

De cette punition.

 

— C’est ma cruelle audace

Qui cause mon malheur ;

Si mon crime s’efface

J’aurai bien du bonheur :

J’ai traité mon Sauveur

Avec trop de rigueur.

 

Allant sur le Calvaire,

Jésus, avec sa croix,

Me dit en débonnaire,

Passant devant chez moi :

Veux-tu bien, mon ami,

Que je repose ici ?

 

Moi, cruel et rebelle,

Je lui dis sans raison :

Pars, âme criminelle.

De devant ma maison :

Avance et marche donc,

Car tu me fais affront.

 

Jésus, la bonté même,

Me dit en soupirant :

Tu marcheras toi-même

Pendant plus de mille ans :

Le dernier jugement

Finira ton tourment.

 

De chez moi, à l’heure même,

Je sortis bien chagrin,

Avec douleur extrême

Je me mis en chemin :

Dès ce jour-là je suis

En marche jour et nuit.

 

Messieurs, le temps me presse,

Adieu la compagnie,

Et pour vos politesses,

Je vous en remercie :

Je suis trop tourmenté

Quand je suis arrêté.

 

 

 

 

 

 

 

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