Les fêtes religieuses de notre calendrier ponctuent les étapes du parcours de Jésus de Nazareth reconnu par les chrétiens comme Parole de Dieu.
(article de Pierre-Luigi Dubied publié en 1992)

Noël célèbre la venue de Dieu dans son fils; les Rameaux, Vendredi-Saint et Pâques constituent les moments principaux de la Semaine Sainte - dont les événements se déroulent une trentaine d'années plus tard -, soit l'entrée à Jérusalem et le début de la Passion, la mort par crucifixion puis la résurrection. Quelle importance attribuer à l'Ascension et à Pentecôte? Plus que les autres fêtes encore, ces deux-ci sont avant tout pour nous le prétexte de pauses dans la vie habituelle, de visites, de voyages. Peut-on se souvenir de leur intention et leur retrouver une signification plus profonde?

Des fêtes plutôt récentes

L'Ascension et Pentecôte n'ont pas été célébrées en tant que telles avant le IVe siècle. C'est au début de l'ère constantinienne - c'est-à-dire de l'officialisation du christianisme comme religion de l'empire - qu'on se met à distinguer les solennités chrétiennes par des fêtes autonomes. Ainsi voit-on apparaître la célébration de Noël. On peut donc dire que les premiers chrétiens ont pu vivre leur foi sans soumettre l'œuvre du salut à des distinctions marquées dans le calendrier. Son centre a toujours été reconnu entre Vendredi-Saint et Pâques; et la mort et la résurrection du Seigneur étaient rappelées et rendues présentes chaque dimanche, au cours du culte. Il est donc juste de comprendre nos fêtes, même celles qui se déroulent en semaine, comme des dimanches particuliers.

Les textes bibliques

Si on examine la Bible au sujet des événements auxquels se réfèrent nos fêtes, on remarque que l'Ascension du Christ auprès du Père coïncide souvent avec la résurrection (Mt 28, Jn 20). Pareillement pour le don de l'Esprit : il n'y a que le livre des Actes des apôtres pour lui réserver une place aussi particulière. On peut en conclure que nous devons à l'œuvre de Luc( son évangile et le livre des Actes) la représentation qui soutient notre calendrier avec ses deux fêtes séparées.

L'œuvre de Luc

Elle n'est pas la plus ancienne du Nouveau Testament. Les premiers écrits sont les lettres de Paul. Ainsi deux générations de chrétiens ont pu vivre avant que les évangiles ne soient fixés par écrit. L'œuvre de Luc se distingue des autres par   qu'à l'origine elle était d'un seul tenant. Les textes de l'évangile et des Actes se suivaient sans interruption. Le redoublement du récit de l'Ascension témoigne du fait que l'œuvre a été coupée au moment de son insertion dans le Nouveau Testament. Luc 24, 44-53 a alors été ajouté pour donner une fin à l'évangile.

Actes 1, 6-11, récit original de l'Ascension selon Luc, ouvre la narration des Actes des apôtres en donnant le programme de ce livreau v. 8. Cette déclaration du Christ annonce ce qui se produira à partirde la Pentecôte dans le récit deLuc : on verra l'Evangile se répan-dre de Jérusalem à travers la Ju-dée et la Samarie vers les extrémi-tés de la terre. L'autre message del'Ascension apparaît au v. 11. "Pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel?" disent aux apôtres les deux hommes en vêtements blancs. A cause de ces mots nous ne pouvons pas comprendre le mouvement de l'Ascension comme celui de notre élévation vers le ciel. C'est l'inverse: "le ciel" lui-même nous fait signe vers la terre, pour que nous y marchions avec confiance. Le Christ a échappé à ses plus proches comme à la volonté de main mise des hommes: il n'est pas en leur possession. Il reste au-delà d'eux, comme leur garant. Et eux ont à témoigner de lui, de ce Jésus qui a inscrit son parcours sur la terre, dans le monde.

L'Ascension se fixe, selon Luc, 40jours après la passion (Actes 1, 3). Le nombre est évidemment symbolique. Il fait allusion aux 40 années passées par le peuple d'Israël au désert. La Pentecôte se place 10 jours plus tard (Pentecôte = le jour de la Cinquantaine [après la Pâque juive] ). Elle commémore l'alliance du Sinaï entre Dieu et Israël, occasion pour les Juifs dispersés dans l'empire romain de faire pèlerinage à la ville sainte. C'est dans ce cadre qu'intervient l'événement de la Pentecôte, c'est-à-dire le récit de l'effusion de l'Esprit de Dieu sur ses témoins, qui conduit à une sorte d'explosion de langage à l'adresse des hommes du monde entier. Dans le prolongement de l'exhortation à la confiance de l'Ascension, Pentecôte manifeste le courage de la foi par rapport au monde, à la terre. Le message veut dire qu'il n'y a pas dans la vie que des jours monotones qui se succèdent et se répètent sans pitié, ce que nous rappellent les fêtes religieuses inscrites à notre calendrier; que la vie n'est pas que ce qu'elle paraît être dans l'ordinaire parfois accablant. Le parcours de Jésus, simple homme, et simultanément Parole ultime de Dieu, révèle le sens possible de la vie humaine, son Esprit atteste la présence de Dieu là où, à première vue, il paraît absent.

L'Ascension et Pentecôte peuvent être considérées comme des ponts dans un double sens. Elles nous permettent de prendre plusieurs jours de congé et de nous éloigner un peu de nos lieux et de nos activités ordinaires. Mais elles peuvent, peut-être en même temps, nous offrir l'occasion de prendre distance par rapport à cet ordinaire de nos jours dans lequel nous avons tendance à nous noyer pour que nous y discernions éventuellement les traces de ce qui le dépasse et lui donne son sens, son sel et sa lumière. Le passage des ponts invite alors à retrouver la vie quotidienne sous un jour renouvelé.