Le dimanche 3 avril 1927, pour la première fois, une voix se faisait entendre sur les ondes, annonçant "Ici, Radio P.T.T. Nord à Lille"
Cette voix était celle de Léon Plouviet, un agent des P.T.T. qui, ayant écrit et fait jouer 3 mois plus tôt une Revue, parut à ses chefs être l'homme désigné pour gérer une station de Radio. Ce dimanche 3 avril 1927, le Président de la République, Gaston Doumergue, commençait une tournée dans le Nord et inaugurait la 3eme Foire Commerciale de Lille. A l'inverse de ce qui se passerait de nos jours, la visite présidentielle, loin de donner du relief à la station, qui pourtant allait compter dans les annales des ondes françaises, contribua à la faire passer à peu près inaperçue : une dizaine de lignes dans la presse locale en pages intérieures. Le lundi 3 avril 1972, une journée durant, la Station de Lille commémorait cette naissance discrète qui ne devait pas moins être le départ d'une activité d'importance non seulement locale ou régionale mais même nationale car le Centre de Radio, puis de Radio Télévision du Nord, pendant ces 45 années, n'a cessé d'être pionnier et chef de file, s'appuyant sur un public exceptionnellement nombreux et actif, quand il n'était pas stimulé par lui.

 

UNE RADIO FAITE PAR LES AUDITEURS

 

Fin 1924, plus de deux ans après l'installation du Poste de l'Ecole Supérieure des P.T.T. de Paris, le gouvernement Herriot a décidé de créer des Stations régionales, à réunir ensuite en réseau national, mais sans que soient dégagés les crédits appropriés.

Par extension du décret-loi de 1851 affirmant le monopole de l'Etat en matière de communications, cette charge a été dévolue au Ministère des P.T.T. Mais les maigres ressources prélevées sur son budget sont sans rapport avec les besoins. Alors, comme la taxe n'existe pas encore (elle ne sera instituée qu'en 1933), il est convenu que l'organisation des émissions sera confiée aux Associations d'auditeurs qui se constitueront auprès des Stations, à l'exemple de ce qui s'est passé à Paris. Ainsi naît, le 23 mai 1927, à partir d'un petit noyau de techniciens bricoleurs l'Association de Radiophonie du Nord.

Les premières installations de "Radio P.T.T. Nord à Lille" n'ont de studio et d'émetteur que le nom : l'espèce de grenier situé dans le dôme de l'hôtel des P.T.T. et une antenne - puissance 500 W. Le budget artistique pour 1927 est de 1500 francs.

Par l'action immédiate de l'Association, renforçant le dynamisme de Léon Plouviet, la situation va vite évoluer. Dès le mois de juillet, la municipalité autorise "Radio P.T.T. Nord" à transférer ces installations dans les locaux de la Porte de Paris, bâtiment Louis XIV alors désaffecté. En octobre, création d'un "grand" orchestre (cinq musiciens !) attaché à la station. Puis pour arrondir la contribution des auditeurs, introduction de la publicité dans les programmes, notamment avec le concours des cinq journaux régionaux, dont chacun à tour de rôle offre l'un des concerts de l'orchestre. Régime qui subsistera jusqu'à l'institution de la taxe.

Enfin, plus tard, implantation de l'émetteur dans la banlieue sud de Lille, à Camphin, les pylônes de l'antenne étant payés par l'association.

Cela seul pourrait expliquer à quel point est développé chez les auditeurs le sentiment que cette Station est la leur. "Notre cher Radio P.T.T. Nord", aiment-ils à dire. Nous sommes à la veille de la grande crise économique. L'immense population ouvrière du Nord (mines, textile) n'a aucun accès à la culture et ne connaît guère d'autres distractions que celles du bistrot, apéritif et parties de cartes. Or voici que s'installe au foyer la T.S.F. Dans le Nord peut-être plus nettement qu'ailleurs c'est un phénomène social sans précédent qui se renouvellera plus tard avec l'essor de la télévision.

On fait la queue au marché de Wazemmes (quartier de Lille) ou chez les électriciens pour acheter un poste à galène, en pièces détachées ou tout fait (prix: 18 francs). On rentre chez soi pour écouter les émissions (6 à 7 heures par jour). Le Syndicat des débitants de boissons tente de faire pression sur la Mairie de Lille pour qu'elle retire à la Radio de Lille l'aide de son hébergement Porte de Paris.

 

LA MAISON DE LA RADIO

 

Présente dans les foyers par ses émissions, la Radio devient elle-même un foyer où les auditeurs aiment à être présents, surtout après l'acquisition "pour une bouchée de pain" d'un somptueux hôtel particulier au 36, boulevard de la Liberté. La première Maison de la Radio française est inaugurée le 29 juillet 1933 par le ministre des P.T.T, Laurent Eynac. Le parc attenant est aménagé en thêatre de verdure, où la Comédie Française vient donner des soirées romantiques, parmi les troènes et les roses. C'est là que se produit l'orchestre et quand il joue, on arrête les tramways, pour éviter les parasites.

1936 - Réorganisation du réseau d'Etat. Création de Conseils de gérance, de composition tripartite, l'un des tiers étant formé de rerprésentants élus par les auditeurs. Une nouvelle forme de coopération s'instaure, qui durera jusqu'à la guerre.

A la Libération de Lille, en septembre 1944, Léon Plouviet et son ami de la première heure André Diverchy subtilisent un émetteur de secours - en panne ! - le réparent et, tandis que la fusillade fait rage dans les faubourgs, s'élève la même voix que le 3 avril 1927, qui prononce les mots longtemps attendus : "Ici, Radio P.T.T. Nord à Lille". Les Emissions reprennent ...

Simultanément, s'imposent des équipes nouvelles ou déjà connues avant la guerre: Simons et LIse Dariel, Edouard Rombeau et Thérèse Leduc ... Un jour, dans une émission d'Edouard Rombeau, La demi-heure de rythme de Michel Warlop, sous le nom de Jaqueline Ray se fait entendre une demoiselle d'Armentières: Line Renaud.

 

LILLE A L'AVANT-GARDE POUR LA TELEVISION

 

Depuis 1932, la Télévision Française, Radio-Vision P.T.T., n'arrête pas de faire ses débuts à Paris. Cependant, elle reste confidentielle. Personne n'y croit, pas même un officier venu y faire un tour par hasard et qui, plus tard ... : le lieutenant-colonel Charles de Gaulle.

Certes les démonstrations de l'exposition de 1937 ont éveillé quelque curiosité, mais ce n'est pas le grand mouvement qu'attendent les spécialistes. Finalement, c'est à Lille en 1939 que se produit l'événement le plus spectaculaire : la mise en place d'une station complète à l'Exposition du Progrès Social. Et le 14 Juillet, pour la première fois en France, est télévisée en direct une Revue de la Fête Nationale. Cette Télévision très fêtée par eux à la veille de la guerre, les gens du Nord devront attendre plus de dix ans pour la retrouver.

10 avril 1950, entrée en service ; 25 avril , inauguration officielle de Télé-Lille, qui fonctionne provisoirement de façon autonome, dans le beffroi de l'Hôtel de Ville, à raison de 2 heures par jour, le soir, avec du film et du direct local.

14 février 1952 : pour la première fois, les téléspectateurs du Nord reçoivent une émission parisienne, émise en direct d'un studio de la rue Cognac Jay : "Le paradis des animaux" de Marianne Oswald. C'est le début de la liaison hertzienne Paris-Lille, qui constitue l'amorce d'un réseau national. Le relais fonctionne d'abord en un seul sens, puis en aller et retour. Le convertisseur de définitions est inventé, qui rend possibles les voisins partagés entre quatre standards (405, 441, 625 et 819 lignes). Les événements se précipitent, au centre desquels la Station de Lille se trouve conduite à jouer un rôle primordial.
Juillet 1952 - Semaine franco-britannique.
2 juin 1953 - Couronnement de d'Elizabeth II.
6 juin au 4 juillet 1954 - Mois Européen de la Télévision avec diffusion en directe des matches de la Coupe du Monde de Football dans huit pays.
Quoique encore perchée dans son trop petit beffroi, mais ne s'en trouvant pas moins en un point stratégique entre Paris, Bruxelles et Londres, la Station de Lille est devenue la plaque tournante de l'Eurovision.

En 1970, dans la banlieue de Lille, à Lambersart, sera mis en service un Centre nodal des relais hertziens dont l'équipement moderne permet d'assurer au mieux la répartition des programmes tant régionaux et nationaux qu'internationaux.

Entre-temps, en 1957, boulevard de la Liberté, dans le prolongement du Centre radiophonique (à la place des troènes, des roses et du miroir d'eau...) on été construits des bâtiments appropriés aux besoins de la Télévision, puis des locaux ont été mis à sa disposition par la Foire Internationale de Lille au Grand Palais.