LE DESSINATEUR ARNAL A TROUVÉ PIF LE CHIEN DANS UNE TASSE DE CAFE

article publié en 1948

Rue de l'Orillon, à Belleville. Dans les cours des maisons bourdonnent les tours de petites entreprises industrielles. Des gosses fusent de couloirs sombres et se perdent dans d’autres couloirs aussi sombres. Un escalier en vis... Nous sommes cirez Arnal, le père de Becdor, de Placid et Muzo, de Pif, le chien.

Arnal est né en Espagne. Il entra en France en 1939 lors du repli des armées républicaines. Son père voulait en faire un menuisier. Mais le jeune homme aimait passionnément le dessin et, en 1930, abandonnant scies et rabots, il collabore aux journaux d’enfants de Barcelone. Le gouvernement français de 1939 interne les Espagnols — les républicains, bien sûr — et en 1940 Arnal est mobilisé dans une compagnie de travailleurs chargés de fortifier la Moselle.

Prisonnier, il séjourne au stalag 11 B à Belfort ; en juin 1941, c’est la déportation au camp de Mauthausen. Il y connaît la sinistre carrière des cent quatre-vingts marches puis est versé dans un commando d’usine d’aviation où il demeure jusqu’au moment de sa libération par les Russes. Après quelques mois de convalescence, le voilà prêt à retrouver uu public d’enfants...

Le 16 mai 1946, viennent au monde le gros Placid et l’espiègle Muzo. Ils conquièrent immédiatement la faveur enthousiaste des lecteurs de Vaillant. Ce journal tire à 200.000 exemplaires ; on peut compter que 400.000 enfants suivent chaque semaine les aventures de leurs héros. A l’exposition des journaux d’enfants, organisée par le ministre de l’Education nationale, ces deux personnages furent cités comme étant une création modèle pour publication enfantine.

Fin 46, c’est la naissance de Becdor qui fait depuis lors les beaux jeudis des enfants dont les parents lisent l'Humanité. Le dernier né (mars 48) et non le moindre, c’est Pif le chien, que les lecteurs de l’Humanité — décidément comblés — retrouvent chaque matin avec un plaisir bien motivé.

Chaque jour, après déjeuner, Pierre Olivier, rédacteur à Vaillant, retrouve Arnal à sa table de travail. Les dessins sont prêts et le scénario de la série déjà déterminé. Pierre Olivier collabore à la création en tant que parolier, car il a vécu toute son enfance à Belleville. Arnal n’est pas un expansif. Souriant dans la fumée de sa cigarette : "C’est en dedans que je rigole..." aime-t-il à dire. Mme Arnal est pleine d’indulgence : Il a tant de travail avec sa petite ménagerie que lorsqu’il y a un clou à planter, c’est moi qui m’en charge..."

Le cinéma est une de ses distractions préférées : "Surtout les dessins animés et spécialement les dessins français, de Paul Grimault." Enfin il adore le café que Mme Arnal sait magnifiquement préparer.

Zazou, le chat, a sauté sur le dos de son maître penché depuis un moment sur le monde féerique, ce monde qui l’entraîne si loin. Esquivons-nous et laissons le dessinateur préparer pour notre plus grande joie de nouvelles histoires.