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Quand j’ai entendu un de mes anciens me dire : Le métier de scénariste ? C’est à la portée du premier venu, j’ai compris ma voie. Pour être scénariste, il suffit d’avoir quelques idées de ci, de là, énormément de chance, un monstrueux culot, et de faire équipe avec un bon dessinateur. Je travaille avec d’excellents dessinateurs, mais mon coéquipier, depuis des années et des années, c’est mon vieil ami Uderzo ;  c’est un copain, et il est capable de dessiner clairement et avec talent n’importe quoi, jusqu’à et y compris, un combat de pieuvres dans de la gelée de groseilles. J’ajoute , et ce n’est pas une de ses moindres qualités, que son nez remue quand il est content. Moi, quand je suis content, je bégaie.

 

Uderzo vous explique dans la planche de dessin ci-dessous comment se passe  la recherche de l’idée pour un nouvel épisode de nos scénarii (on dit un scénario, des Uderzii). Nous nous réunissons et nous terrorisons les gens qui nous entourent par nos onomatopées et nos mimiques violentes. Si cela se passe chez Uderzo, Ada, sa ravissante femme, et Sylvie, sa charmante petite fille, secouées de sanglots, se réfugient dans un placard, jusqu’à ce qu’un long hurlement de joie leur signale que nous avons trouvé et que le danger immédiat est écarté. Le nez d’Uderzo remue, et moi je dis : Alors, on… on… on… on y va ?

 

Il ne reste plus qu’à y aller. Tandis qu’Uderzo  réunit une documentation graphique volumineuse, moi je lis avec soin des livres forts doctes (je citerai pour mémoire les ouvrages de Jérôme Carcopino, de l’Académie Française, qui n’ont rien à gagner à être cités par moi, mais qui m’ont bien aidé pour écrire Astérix. Merci) Après cela, je fais un long résumé de l’épisode, ou plutôt, un synopsis. Ce synopsis est assez copieux et divisé en paragraphes, chaque paragraphe représentant à peu près la valeur d’une page dessinée – une planche – de l’histoire. Nous relisons une dernière fois ensemble le synopsis, et quand nous sommes bien d’accord, Ada sort du placard  et nous offre une bière pour fêter ça. Après le découpage, comme pour un film, il faut décrire chaque scène – chaque image ou case, dans notre cas – et en écrire le dialogue.

 

Comme cela pour toutes les planches et toutes les cases de l’épisode. Bien entendu, il faut éviter de demander au dessinateur de faire des dessins impossibles. Une fois, j’ai suggéré à Uderzo de traiter dans le détail un combat qui mettrait aux prises deux tribus de Peaux-Rouges, sous les yeux stupéfaits de toute l’armée française qui, distraite, ne s’aperçoit pas qu’elle est elle-même talonnée par le gros d’une force ennemie, supérieure en nombre. Le nez d’Uderzo s’est figé dans une attitude improbable, tandis qu’Ada et Sylvie plongeaient dans le placard pour n’en ressortir que plusieurs jours plus tard, une fois le dessin réalisé.

 

Le scénario est fait, le dessin exécuté, la planche imprimée et publiée dans Pilote, il nous faut maintenant attendre le jugement suprême : le vôtre. Et quand nous recevons une de ces lettres délirantes d’enthousiasme, du genre : J’ai lu votre machin dans le journal. Ouais, pour cette fois-ci, ça va encore, j’ai même souri une fois…

 

Alors le nez d’Uderzo se met à remuer victorieusement, fendant l’air à grands cercles majestueux, la porte du placard s’ouvre avec fracas, laissant le passage à Ada et à Sylvie, pleurant de joie et de soulagement, pendant que je crie : Allons prendre un v… v… v… une bière !

 

René Giscinny.

 

 

 

 

 

 

extrait du journal Pilote (1962)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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