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Dans un ouvrage probablement unique en son genre, consacré à 250 ans de vie d'un même almanach, l'excellent journaliste suisse Jean-Claude Mayor écrit : "L'almanach était en quelque sorte le journal à sensation de l'époque. Sa parution annuelle correspondait bien au rythme de la vie et il devait être attendu avec impatience dans les fermes et les foyers modestes des villes. Il apportait des nouvelles de partout, choisies parmi les plus extraordinaires, les plus dignes d'impressionner les esprits."
S'il existe encore des almanachs (et de forts bons) c’est qu'ils ont renoncé, pour durer, à leur vocation initiale de "périodique d'information à édition annuelle". L'accélération de l'Histoire et du rythme de notre vie les a obligés à se renouveler et ils n'ont plus rien de commun avec les "tabelles astronomiques" des Chinois et des Egyptiens ni avec les premiers almanachs manuscrits que les Maures amenèrent en Europe lors de leur conquête de l'Espagne. Dans les années qui suivirent l'invention de l'imprimerie, des almanachs dénommés "Praktik" sortent des presses à bras de Munich et de Mayence. En 1464, s'imprime à Troyes, en Champagne, le premier almanach français, "L'Armenac des Barbiers" qui contenait évidemment des recettes sur la manière la plus correcte de tirer le sang, puisque les Barbiers du Moyen Âge étaient de droit chirurgiens.
C'est au début du XVIIIe siècle que naissent les "Messagers Boiteux", notamment en Suisse. On sait par ailleurs la fortune du Messager Boiteux de Strasbourg qui, en Lorraine par exemple, n'avait pour concurrent sérieux dans le monde rural que le "Mathieu de la Drôme", à cause de la confiance que l'on accordait à ses prévisions météorologiques - mais mieux vaudrait parler de prédictions - qui portaient sur l'ensemble de l'année.
La Franche-Comté a bien servi la cause de l'almanach, puisque l'un des plus prestigieux d'entre eux, l'Almanach Vermot fut fondé par un enfant du Bizot, M. Vermot.
Un manuel de sagesse pratique
L'almanach était à l'origine une mine de faits divers à sensation, où le réel et le merveilleux s'enchevêtraient par la grâce d'une plume naïve, à aucun degré artésienne. La description "véridique" d'une sirène découverte par un Anglais voisinait avec le récit d'une exécution capitale. On vous forçait à croire à la bête du Gévaudan - ancêtre du monstre du Loch Ness - et à vous associer, en pleine période romantique, à une campagne d'opposition à la formule des inhumations précipitées, afin d'éloigner de vous le danger d'être enterré vif, par méprise.
Pendant des lustres, l'almanach populaire a été la seule lecture (paroissien romain mis à part pour les pays catholiques et Bible pour les pays protestants) des paysans qui savaient lire, leur manuel de sagesse pratique, l'unique lucarne à travers laquelle ils débouchaient sur le reste de la planète habitée par les girafes, les nègres et les négriers, les colons et les oncles d'Amérique.
Peu après 1840 naquirent, surtout à Paris, des almanachs d'inspiration moins naïve où l'humour et le sens critique eurent leur place. Tel est le cas de L'Almanach Comique, illustré par Cham et Grévin et auquel collaborèrent, sous le Second Empire, Henry Monnier et le fameux Jules Moineaux, père de Courteline et pionnier du tribunal comique. Moineaux se contentait de faire la revue des tribunaux. Et d'autres se lançaient dans les prédictions. En 1865, un prophète d'almanach décrivait ainsi le triomphe futur de la vapeur : "Nous ne savons vraiment pas pourquoi on cherche à améliorer la race chevaline, car avant peu on ne se servira plus de chevaux... Les arbres se plaindront peut-être un peu de la fumée... Mais la vapeur changerait un peu la monotonie des faits divers et les personnes qui aiment à faire des embarras se demandent déjà, nous en sommes certains, comment elles feront pour écraser les autres gens... de leur luxe".
Ce n'était pas un si mauvais prophète. Et les humoristes de service le valaient :"Un accident épouvantable est arrivé dans un café chantant de la Capitale. Un oiseau qui dormait tranquillement sur une branche, effrayé par les notes aiguës que poussait une cantatrice, se précipita dans la bouche de la susdite qui l'avala. La pauvre bête (nous parlons de l'oiseau) rencontra à l'entrée du gosier de la dame un chat qui la dévora. Les médecins prétendent que cela seul a sauvé la chanteuse, sans quoi elle serait morte étouffée.
publié dans un quotidien suisse (janvier 1965)
en 1939
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