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Maximilien de Bettignies et la dernière fabrique de porcelaine tendre de Saint-Amand-les-Eaux

 

Le nom de Bettignies provient d’un fief à la suite d’un mariage, vers 1580, de Jean d’Havré dit de la Motte (branche collatérale des ducs d’Enghien) avec Jeanne de Rumigny de Peissant, dame de Bettignies.

Jean-Maximilien-Joseph de Bettignies, qui était avocat, épousa le 27 janvier 1783 Amélie-Ernestine-Joseph Peterynck, la fille du célèbre fondateur de la fabrique de porcelaine tendre de Tournay, François-Joseph Peterynck 1719-1799 dont les produits rivalisèrent avec ceux de Sèvres.

Par un acte de cession du 16 janvier 1798 Jean-Maximilien reprit l'affaire de son beau-père ; ses enfants se partagèrent sa succession. Jules-Henri de Bettignies et sa soeur Olympe qui avait épousé Jean-Marie Ragon continuèrent la porcelainerie de Tournay tandis qu’un autre de ses fils, Maximilien-Joseph de Bettignies, né en 1795, devait créer la fabrique de St-Amand.

Tant que Peterynck développa son affaire sous l’égide de l’Empire Français, une partie de sa clientèle se trouvait dans les limites de la France actuelle. Les traités de 1815 enlevant Tournay à la France devaient donc, à cause des droits de douane, faire perdre à Peterynck une partie de ses acheteurs. Comme Fauquet, un siècle auparavant, de Bettignies résolut la question en fondant une affaire à St-Amand. Dès le 21 novembre 1817, il demandait l’autorisation de s’installer rue du Wacq et le Préfet donnait suite favorable à la date du 22 novembre 1817. Peu de temps après, le 4 février 1818, Bastenaire devait également installer une porcelainerie rue de Marillon.

 

La fabrique de la rue du Wacq

 

De Bettignies amena avec lui quelques ouvriers de la fabrique paternelle, entre autres, le modeleur Alker Feltz qui devait, en 1823, partir pour l'Amérique afin d’y créer une porcelainerie.

Il eut comme premiers ouvriers amandinois les Brickman, les Coudoux. Son choix de la rue du Wacq était sans doute guidé par l’espoir d’utiliser comme force motrice le courant de la Mérette qui faisait déjà tourner le tordoir de Barbieux-losson.

Son espoir fut déçu car il dut employer un manège pour actionner ses broyeurs à terre (annonce dans "l’Echo de la frontière" du 2 mai 1840). Il avait cependant l’intention de rester à cet endroit : il loue par bail emphytecotique de 99 ans, le 21 juin 1820, un terrain communal pour y accumuler ses réserves de bois. L’usine était construite dans l’angle de la rue du Wacq. On voit encore actuellement la trace très nette de ces bâtiments. Il acheta le matériel de Fauquet et la tradition rapporte que Fauquet revint de Tournay pour briser les moules établis par ses ancêtres.

L'affaire prospéra dès le début : en 1819 il y avait 42 ouvriers, il y en aura 70 en 1836, dont une demi-douzaine de Tournaisiens qui avaient contribué à la fondation. De Bettignies avait acheté comme demeure particulière le n° 23 de la rue de Valenciennes qui devint par la suite l’école des Frères.

Une ordonnance de Louis Philippe du 15 janvier 1831 lui accorda la nationalité française et dès le 2 juillet 1832 il fut élu conseiller municipal.

En 1836 il rachète la fabrique de son concurrent, Dorchies, le seul qui avec lui fabriquait encore de la porcelaine tendre en France.

 

La manufacture du Moulin des Loups

 

Vers 1836, de Bettignies se décida à transporter son usine en un endroit qui le rapprochait de la forêt où il tirait les bois nécessaire à ses cuissons et où il pouvait aisément installer des moulins à vent destinés à remplacer les manèges à chevaux. Le premier moulin comportait deux étages de meules ; il devait disparaître en 1853, à la suite de l’achat d’une machine à vapeur de 12 C.V.

Le terrain acheté par de Bettignies présentait une surface de 3 hectares ; c’était en partie une butte de sable que l’on égalisa en utilisant le sable pour le pavage des rues. Outre sa maison d’habitation, de Bettigrnies fit construire quatre bâtiments à étages de 100 mètres de long ; le premier, le long de la route d’Hasnon, contenait le décor sur émail avec le moufle ; le second était réservé au magasin à biscuit et aux fours à émail ; le troisième comportait le moulin de façonnage et les fours à biscuit ; enfin le quatrième était réservé à la force motrice, au laboratoire, aux produits réfractaires.

Le long de la route Nationale on avait édifié d’un côté le magasin, de l’autre des maisons ouvrières et même une auberge pour recevoir les voyageurs. Les écuries comportaient une quarantaine de chevaux employés à conduire la marchandise dans toutes les directions.

L’annuaire du Nord de 1846 dit qu’à cette époque il y avait une centaine d’ouvriers ; le chiffre d’affaires approchait de 150.000 francs.

L’apogée de l’affaire semble coïncider avec l’année 1878; il y avait alors 140 personnes employées (87 hommes, 28 femmes, 25 enfants), une force motrice de 100 C.V. et une production journalière de 5.000 kgs. Cependant les difficultés de fabrication de la porcelaine tendre ne pouvaient être compensées par les résultats donnés par la faïence stannifère ou la faïence fine. Maximilien mourut le 5 octobre 1865, à une époque où son industrie déclinait déjà.

Il laissait l’affaire à ses deux fils : Maximilien, né à St-Amand le 28 janvier 1845, qui avait été chimiste à Sèvres, élève de Jalve tat, et qui avait travaillé pendant quatre ans dans des fabriques anglaises, et Henri qui s’occupait de la partie commerciale.

Ceux-ci mirent ia céramique en société en nom collectif "de Bettignies frères" puis la transformèrent en Sté Anonyme sous le nom de "Sté Céramique du Nord" au capital de 1.050.000 frs. Maximilien resta seul à la tête de l’affaire. Rien ne put arrêter la chute ; il fallut vendre le 30 juin 1880 et l’œuvre de Bettignies fut adjugée pour 105.000 frs à Gustave Dubois et Léandre Bloquiau, entrepreneurs.

Sous l’impulsion de Casimir Bouchart, des actionnaires amandinois fondèrent la Société Anonyme de la Manufacture de faïence et porcelaine qui acheta l’immeuble et l’exploita.

 

Maximilien de Bettignies, un rude homme...

 

Il faut rendre hommage à ce remarquable caractère. Doué d’une grande énergie, il n’hésita pas, disposant seulement d’une trentaine de mille francs, à créer l’usine de la rue du Wacq. Nous avons vu qu’il avait réussi à fonder la fabrique du moulin des Loups qui fut estimée à plus d’un million, et ce, après avoir racheté l’affaire de son concurrent Dorchies. Ses capacités techniques lui avaient permis de mettre au point une pâte plus plastique qu’à Tournay, ce qui lui permit d’exécuter des vases et des statuettes beaucoup plus grandes que dans cette ville. C’était un véritable tour de force dans la fabrication difficile de la pâte tendre.

Il préparait lui-même ses mélanges dans un laboratoire fermé par une porte de fer ; seul il en avait la clef. C’était toujours le même homme qui portait ses compositions au broyeur ; on prétend même que ses fils ne les connaissaient pas. L'esprit toujours alerté vers le progrès, il avait fait un sondage imoortant dans sa propriété du clos dans l’espoir d’y trouver du charbon. Au lieu de houille on découvrit une nappe d’eau qui surgit au-dessus du sol et que l’on appela le "torrent". Cette source fut utilisée pour mouvoir une roue à aubes dont la force motrice fut aménagée pour broyer les couleurs céramiques. Enfin l’un de ses petits-fils nous a narré quelques anecdotes qui peignent bien son caractère.

Passant un jour près d’un four au grand feu, il s’aperçoit que le tirage est trop fort, il veut saisir la chaîne qui commande le registre de la cheminée, mais la chaîne est brûlante. Cela ne l’empêche pas de faire la manoeuvre : il s’entame la main gauche à un tel point qu’il ne s’en remit jamais.

Il avait donné un âne à un de ses fils âgé de 7 ans environ pour aller deux fois par jour au collège assez éloigné de l’usine. L’enfant apprenant un jour qu’il y avait une course d’ânes à Valenciennes s’y rendit, gagna le second prix et reçut en récompense une montre d’argent, chose rare pour l’époque. Maximilien en l’apprenant renvoya la montre à Valenciennes, disant que son fils ne l’avait pas méritée puisqu’il s’était rendu à cette course sans l’autorisation paternelle.

 

 

 

 

Porcelaine tendre

 

C'était en réalité une sorte de verre opaque présentant un aspect laiteux un peu jaunâtre dont l’acier rayait la couverte plombifère. Elle constituait la principale production d# la manufacture qui comportait à la fois des objets artistiques et des pièces d’usage courant. Ces dernières faisaient le bonheur des restaurateurs car si elles coûtaient presque le double de la porcelaine dure, elles résistaient infiniment mieux aux chocs.

La décoration semble avoir été limitée à des bordures et au décor aux cinq bouquets inspirés de Tournay. Toutefois on peut la distinguer de cette dernière usine par les remarques suivantes :

La porcelaine amandinoîse est plus épaisse ; les assiettes ne présentant jamais comme à Tournay une légère saillie sur le pourtour.

Les décors de St-Amand sont traités en bleu relativement clair tandis que ceux de Tournay sent exécutés en bleu foncé presque noir.

La production artistique fut intense. De Bettignies participa aux expositions de Valenciennes en 1833, de Paris en 1855 où il obtint une médaille de platine. Il ne craignit pas de lutter avec les Anglais dont les faïences fines envahissaient la France. Il exposa à Londres en 1851 puis en 1862. La Reine Victoria acheta plusieurs des objets qui avaient attiré son attention.

De Bettignies créa pour l’exposition de 1866-1867 une pièce qui fut placée dans le salon personnel de l’impératrice Eugénie. Avec un encadrement en bronze de Barbedienne, c’était une plaque décorée représentant au fond les Tuileries ; au premier plan on distinguait des amours sculptant le buste de l’Impératrice, tandis que d’autres supportaient un médaillon en grisaille représentant son profil. Ce décor était signé Abel Schilt 1865.

Outre de très nombreuses formes de vase, le céramiste amandinois fabriqua des statuettes inspirées parfois, dit-on, de Clodion. "L’Echo de la Frontière" du 12 octobre 1865 cite son legs à la Société d'agriculture de Valenciennes comportant des médaillons en biscuit de Froissart d’après Auvray, de Simon Leboucq, d’Adrien Desfontaine, le père des pauvres mort victime de sa charité, du père d’Abel de Pujol.

La porcelaine amàndinoise avait le même aspect que la porcelaine de Sèvres dite "vieux Sèvres". Une grosse partie de la fabrication s’en allait vers Paris où des artistes de la région la décoraient "façon Sèvres", en particulier Rival. Des peintres peu scrupuleux n’hésitaient pas à garnir ces objets de la marque de Sèvres, mais il est vrai que celle-ci, forcément cuite au feu de moufle, ne pouvait tromper les connaisseurs.

Souvent les vases de Bettignies décorés à Paris et ornés de bronze ciselé (des lampes par exemple) étaient vendus à cette époque plusieurs milliers de francs.

 

Faïence stannifère

 

De Bettignies se cantonna dans des imitations des faïenceries de l’Est, Nidervilliers, etc., en couleurs de moufle : bouquets de grosses fleurs souvent réunies par un ruban, corbeille de fleurs, coq, barrière fleurie, aérostat et quelques personnages sur terrasse. Ces pièces sont souvent vendues aujourd’hui par les antiquaires comme des "Strasbourg". Remarquons toutefois que les rouges des fabriques de l’Est tournent plus au volet qu’à St-Amand.

I! fabriqua aussi des gros plats épais dont le revers est couvert de brun de manganèse, des soupières, des pots, etc. Le dessin des plats consiste en une corbeille fleurie entourée d’un galon, le tout en camaïeu bleu parfois rehaussé de noir.

On cessa la fabrication de ces pièces à la mort d’un vieux cuiseur qui seul savait bien arrêter le four à temps Dans les derniers mois de sa vie on le portait sur une chaise devant le four pour lui permettre de bien juger l’aspect du feu avant de cesser la cuisson.

 

Faïences fines

 

Ce fut seulement en 1855 que de Bettignies se décida à aborder ce genre de fabrication inspiré du "cailloutage" anglais qui faisait alors la fortune des manufactures de Creil et Montereau. Il semble bien qu’il se contenta d'y consacrer une petite partie de son usine. Il décorait souvent les objets par le procédé dit de l'impression. Les assiettes présentaient un dessin central exécuté en noir avec une guirlande d'autres couleurs sur le marli.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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