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AVERTISSEMENT : Le texte ci-dessous a été publié en 1932. Les propos du journaliste sont donc à replacer dans le contexte de l' époque.

 

 

Sallaumines, cité particulièrement ouverte, située à côté de Lens, à environ cinq kilomètres de traversée. Son territoire se trouve encastré dans celui de différentes localités, Lens, Avion, Noyelles-sous-Lens, Fouquières, Méricourt et Billy-Montigny.

Sa population est en majeure partie étrangère. Le voyageur qui traverse cette ville est frappé par les enseignes les plus diverses des maisons de commerce, qui sont écrites, soit en polonais, italien, espagnol, hongrois, etc… Celles qui rappellent que l’on est en France sont les plus rares. D’autre part, on entend plus parler les langues étrangères que le français. C’est une belle cacophonie les jours de marchés, qui sont très animés.

 

C’est à la suite de la Guerre 1914-1918 que sont venus se fixer à Sallaumines, tous ces étrangers, nantis d’un contrat de travail dans les mines. Pour se faire une idée de la mentalité de ce monde international il suffit de faire une promenade dans les courons des mines de Courrières. Partout c’est l’élément polonais qui domine. La plupart des ouvriers de cette nationalité sont en France depuis plusieurs années. Beaucoup ont fait venir leur femme et leurs enfants et ils n’ont nullement l’intention de rentrer un jour en Pologne.

Tout en gardant certaines coutumes de leur pays, ces étrangers, en général, s’accoutument très facilement à la vie de la région. Cela est surtout remarquable chez les femmes polonaises. Débarquées avec l’accoutrement de leur pays, l’immense châle coloré leur couvrant les épaules, les Polonaises ont tôt fait d’abandonner cette tenue pour s’habiller à la française, certaines même ne tardent pas à devenir de véritables élégantes.

L’étranger marié, tout comme le mineur français, obtient de la Compagnie qui l’emploie une maison dans un coron. Il n’en est pas de même pour les célibataires qui doivent chercher à se loger : bien souvent ils prennent pension dans des cantines. Certains ménages s’avisent quelque fois à prendre chez eux un ou plusieurs pensionnaires. Mais ce genre d’opération amène parfois des complications dans la vie conjugale…

Il y a des Polonais qui ne sont pas des modèles de tempérance : on les voit, par exemple, les jours de paie prendre plaisir à s’enivrer en ingurgitant de la bière dans laquelle ils ont auparavant mélangé une appréciable quantité d’alcool, parfois même de l’alcool brut à 90° acheté chez l’épicier. Ils s’adonnent également aux jeux d’argent.

 

On trouve chez les étrangers et particulièrement chez les Polonais, des familles nombreuses dont la majorité des enfants sont nés en France. Toute cette jeunesse semble française et parle notre langue avec une facilité surprenante. N’ayant pas d’écoles spéciales, ces enfants fréquentent les établissements scolaires communaux. Il n’est pas rare de voir dans une classe les premières places occupées par des petits Polonais, car ceux-ci sont très intelligents.

Les instituteurs et institutrices ne font aucune distinction entre leurs élèves, et aux récréations, gosses polonais, tchèques, italiens et français jouent ensemble donnant le plus bel exemple de fraternité entre les peuples. Chaque année plusieurs petits étrangers sont présentés avec leurs camarades français, aux examens du certificat d’études.

On remarque chez certains étrangers une insouciance pour leur progéniture, et il arrive fréquemment que des enfants perdus sont hébergés plusieurs jours soit chez le commissaire ou les agents, avant que les parents songent à les réclamer.

 

Assez bien d’étrangers venus pour travailler à la mine ne goûtèrent pas longtemps ce genre de vie. C’est ainsi qu’étant parvenus à réaliser des économies, ils se rendirent bientôt acquéreurs  d’un baraquement dans lequel ils installèrent un commerce d’épicerie, un débit de boissons, une boucherie-charcuterie, un atelier tailleur, etc… Les affaires prospérant, on ne tardait pas à voir ces commerçants faire construire ou louer une maison et entreprendre leur commerce sur une plus grande échelle.
Et aujourd’hui, il ne faut pas s’étonner de trouver, en pleine route Nationale, à Sallaumines, sur dix maisons de commerce sept exploitées par des étrangers.

 

Outre les étrangers mariés qui vivent la vie familiale dans les corons, il y a une catégorie de gens que l’on pourrait qualifier d’indésirables. Elle est constituée par ceux qui se trouvent dans une situation irrégulière, soit qu’ils vivent maritalement ou qu’ils tirent leurs ressources d’une façon plus ou moins avouable…
Ceux-ci habitent principalement dans le quartier appelé Le bas de Lens, dans d’infects baraquements divisés en plusieurs logements. Chaque logement comprend une seule et unique pièce servant de cuisine, de salle à manger, de chambre à coucher et de buanderie. Cinq à six personnes vivent parfois dans ces espèces de taudis, dans la plus complète promiscuité. Dans ces cités on rencontre, vivant côte à côte, des habitants appartenant à différentes nationalités et faisant très bon ménage.

 

En quittant ce milieu, nous arrivons dans le quartier arabe. Là aussi, ce sont des baraquements occupés par des Algériens et des Tunisiens. Les uns travaillent à la mine, les autres exercent la profession de camelots et fréquentent les marchés de la région minière. Leur abord n’est pas désagréable, ils ne sont guère expansifs et évitent de répondre aux questions qu’on leur pose.  

 

Les étrangers trouvent pour la plupart la vie bonne à Sallaumines et ne semblent pas disposés à quitter le territoire où ils ont déjà passé plusieurs années. La crise économique a jeté chez eux une certaine panique et de peur d’être refoulés, ils adressent des demandes de naturalisation. A Sallaumines, on en enregistre pas moins d’une douzaine par semaine. Les formalités sont longues : le nombre de pièces à fournir est tellement important que certains candidats renoncent à poursuivre les démarches. D’autre part les droits de "sceau" qui s’élèvent à 1.275 francs ne sont pas  accessibles à toutes les bourses.

 

Les mariages entre français et étrangers sont rares : on ne connait dans la localité que quatre polonais qui ont épousé des françaises et un français et un français qui s’est marié avec une polonaise.


Si il y a quelques temps, Sallaumines fournissait sa part dans les affaires criminelles, le calme semble aujourd’hui revenu dans la cité internationale où l’ordre n’est cependant assuré que par un commissaire de police et cinq gardes.

 

 

SALLAUMINES EN 1932

 

 

D'après un article paru dans un quotidien régional de mai 1932. (photos du journal : un coron international et un coin du quartier arabe.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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