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Dans la plaine immense et plate qui réunit la Flandre maritime au bassin de l'Escaut, la Pévèle et le Mélantois, avec leurs terres marécageuses et fertiles coupées d'innombrables boqueteaux séparés tes uns des autres par une humble et boueuse rivière, la Marque, quelques rares sabotiers à main entretiennent encore les conditions de fabrication et de vente créées par leurs pères et grand-pères.

Si, partout en France, l'Industrie du sabot s'est concentrée dans de vastes usines, elle est dans le Nord, dans l'Avesnois, le Mélantois et la Pévèle, restée fidèle à ses traditions et ses coutumes ancestrales. Le nombre des fabricants a pourtant diminué chez nous et dès que la génération actuelle sera éteinte, dès que les vieux artisans qui restent encore seront disparus, il en sera des sabotiers à main comme des tisseurs à main ; le métier de sabotier sera mort dans le Nord.

 

LA VIE DANS LES BOIS
Quelques années avant la guerre, des sabotiers étaient encore Installés dans les bois du pays. A Annappes, à Bouvines, à Louvil. Des troupes de 40 à 50 ouvriers, venant de l'Avesnois, y avaient, dans de vastes huttes rustiques, couvertes de chaume et de paille, amené l'attirail de campement et les outils de travail. Ils se trouvaient à l'aise dans leur nouvel oasis, à deux pas de la "coupe" où se dressaient peupliers et saules, achetés sur pied et marqués du marteau de l'adjudicataire. Durant douze ou quatorze heures par jour, toute la troupe était en mouvement : les uns abattant les arbres au ras de terre avec la cognée, les autres les sciant en tronçons, afin de former des "billes". Un premier ouvrier ébauchait alors le sabot à la hache en ayant soin de donner une courbure différente aux deux pieds, puis il passait ces ébauches à un second compagnon qui était, lui, chargé d'évider l'intérieur à l'aide d'une "vrille", d'une "gouge", d'une "cuiller" et d'un "boutoir".

Ce temps, où le travail du sabotier se faisait ainsi avec la forêt pour atelier, est passé, dans le Mélantois et la Pévèle, du moins, l'Avesnois conservant encore quelques installations de ce genre dans ses clairières, mais autour des bois Dehau , Roger et Truffaut, Brésou, Brocart, des bois d'Annappes, de Genech, de Gruson, de Sainghin, etc. Quelques artisans sont restés fidèlement attachés à la profession de leurs père et de leur grand-père.

 

LES DERNIERS ARTISANS
Chez eux, dans la cour de la petite maison sans étage, dans un atelier sombre et étroit, où quelquefois un chat sauvage où un lièvre apeuré vient se blottir sous les blancs copeaux (le cas s'est vu récemment chez le père Blomme, dit Bénet, à Sainghin), chez eux nos sabotiers à main se sont installés et, durant quatorze heures par Jour, seuls ou en équipes, bavardant et chantant, les muscles continuellement en action, ils fouillent le bois du peuplier ou du saule qu'un triqueballe vient de leur amener et pour le transport duquel ils ont payé autant que la valeur du bois !
Le bon père Blomme, à Saingbin-en-Mélantois, qui, depuis 56 ans il a dé buté à 10 ans dans cette carrière) fait des sabots, M. Jean Denis, avec ses trois fidèles ouvriers et M. Juste Delattre, au pont de Bouvines, le père Raymond Delattre, de Louvil, qui, il y a quelques années encore, s'en allait avec sa petite voiture et son âne sur les routes des arrondissements de Lille et de Douai, offrir sa marchandise aux ménagères, Emile Coignet, de Louvil également, et Crombet, de Tempteuve, restent donc les derniers sabotiers du Mélantois et de la Pévèle.

Ils ont plaisir, lorsqu'on les interroge, à évoquer le temps où dans les bois touffus ils aimaient, entre temps, chasser le lièvre ou le chat sauvage, qu'ils mangeaient en gibelotte et dont les peaux tannées cousues l'une à l'autre, servaient de tablier !
Les temps sont bien changés, hélas et c'est pour eux, les sabotiers à main, comme pour d'autres corporations, le métier ne nourrit plus son homme. Un ouvrier habile, expérimenté, doit en effet, façonner 16 à 18 paires de sabots par journée de 12 à 14 heures de travail, pour gagner 24 à 27 francs. C'est peu, réellement !
Mais nos vieux sabotiers de Sainghin, de Bouvines, de Louvil, ne se plaignent pas. Ils restent fidèles au métier de leurs aînés et Ils accomplissent leur tâche avec conscience, sans jamais perdre un instant, ne prenant même pas le temps de relever la tête pour ré pondre à vos questions, ils fouillent le bois tendre, d'où sortent les copeaux blancs, fins et lustrés, et l'ouvrage, qu'il s'agisse de sabots de ménage, de sabots de noce ou de sabots de bal, se fait au milieu des rues et d'un refrain ancien :

C'est moi qui suis le sabotier,
Et le village tout entier,
- Hommes, femmes, enfants – pêle-mêle,
Chez moi vient doubler ta semelle
De bols, de hêtre ou de noyer.
C'est moi qui suis le sabotier
.


Article de presse régionale (1931) par R. LUSSIEZ.

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En 1937, R. LUSSIEZ publiait un nouvel article sur "ces derniers sabotiers". Quelques idées avaient déjà été écrites en 1931.

 

Tout cela est maintenant disparu. Les sabotiers, les derniers artisans du Mélantois et de la Pévèle, ont abandonné leurs rustiques et fragiles châteaux de paille et ils sont descendus dans les villages ou près de l'habitation familiale faite en dur, souvent coquette et toujours étincelante de propreté, est annexé le très étroit petit atelier à la porte duquel sont amassées les pièces de hêtre qu'un trinqueballe vient d'amener.

Du lever du Jour au coucher du soleil le brave homme est là, fouillant de sa cuiller, le bois tendre qui vole en copeaux fins et lustrés. Sur l'établi rustique, auprès des sabots qu'il vient d'ébaucher en leur donnant la courbure finie, traînent les outils : le maillet, la vrille, la gouge et le boutoir.

 

LES TEMPS SONT DURS


Le vieux sabotier répond à nos questions et évoque ces temps heureux où le sabot se mettait couramment...
On le délaisse de plus en plus nous disait l'un d'eux ; on devient trop coquet et puis, on préfère aussi user les chaussures et les souliers plutôt que d'acheter des sabots neufs ! Et puis, il y a aussi et surtout la concurrence, la concurrence des usines qui "font" des prix extrêmement bas comparativement à ceux que les sabotiers à main peuvent pratiquer.

C'est  dans  l'industrie  du  sabot  comme dans  celle  du  lin  ou  de  la  laine.  La  mécanique   a   tué   le  modeste  artisan   et   le   métier   du   sabotier   à   main   disparaîtra   avec  ces  quelques  braves  gens  qui, dans  le  Pévèle  et   le  Mélantois   maintiennent   encore   envers  et   contre   tous   les  traditions  que  leurs  parents  leur  ont  léguées. 

 

 

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publicité de 1932

 

 

 

 

 

 

 

 

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