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La pluie
Les pigeons et les poules se jetèrent les ailes sur la tête, pour permettre aux petits trous chauds de leurs aisselles de s'humecter.
Petrus, la cigogne, et sa femelle, chacun sur une patte, se tenaient immobiles dans leur nid et les canards, les ailes ouvertes, se pelotonnaient ensemble sur la digue.
Deux jours avant, Pallieter s'était fait couper les cheveux ras et maintenant la pluie lui tapait et luisait sur le crâne comme sur un caillou.
Il pleuvait, pleuvait ! Et cependant qu'ici l'eau coulait, un faisceau de soleil se vrilla à travers les nuages; il y eut une vive tache de pays vert tendre, là-bas au loin, dans les champs. La lumière filtrait à travers la pluie tombante, et maintenant c'était de l'or qui tombait, des fèves d'or. Pallieter se crevait les yeux à regarder...
"C'est de la manne", dit-il, et il jeta sa tête en arrière, ouvrit la bouche, et y laissa couler les gouttes d'or.
Et un premier rayon perça, et puis encore un, et ce fut comme si le premier, le jeune, le frais printemps était bien vite revenu.
Là-bas, au dessus du ventre des champs, montait le dernier lambeau mouillé de l'averse et la moitié du pays ruisselait encore de pluie.
Les oiseaux secouèrent l'eau de leurs ailes, volèrent vers une autre branche, là, une tourterelle se mit à jaser, un pinson gazouilla et, tout à coup, ce fut un débordement, tout ce qui avait un bec manifesta sa joie, d'une belle voix lavée. Le coq chanta et une alouette monta dans l'air...
- Ca, c'est amusant, hein, critiqua Charlotte, de se faire mouiller ainsi !
- Oh ! Tais-toi, fillette, j'ai poussé d'un pied, dit Pallieter , qui alla passer une chemise propre et un autre pantalon.
La nature semblait rajeunie de quarante jours : tous les parfums imaginables montaient de la terre mouillée et les arbres chantaient.
Le ciel était redevenu pur et bleu comme une fleur de myosotis, et le soleil faisait briller tout ce qui était encore mouillé de pluie...
Pailleter, inondé de paix intérieure, se promenait dans son jardin.
Oh ! Ce petit quart d'heure de pluie avait apporté la pleine opulence de l'été. L'humidité faisait monter tous les parfums des fleurs, roses, sureau, réséda, le tout pêle-mêle. Il avait fait s'ouvrir les bourgeons prêts à éclater, et maintenant il y avait bien le double de fleurs. Les arbres dégouttaient encore et dans toutes les fleurs brillait l'argent des gouttes de pluie.
Un bienheureux sentiment s'empara de Pallieter. Il prit sa cornemuse, s'assit sur le banc devant l'entrée et se mit à jouer tous les vieux airs qu'il connaissait...
Les sons rudes ronflaient dans l'or du soleil couchant.
Félix Timmermans - Pallieter
La pluie
Longue comme des fils sans fin, la longue pluie
Interminablement, à travers le jours gris,
Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,
Infiniment, la pluie
La longue pluie,
La pluie.
Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,
Des haillons mous qui pendent,
Du ciel maussade et noir.
Elle s'étire, patiente et lente,
Sur les chemins, depuis hier soir,
Sur les chemins et les venelles,
Continuelle.
Au long des lieues,
Qui vont des champs, vers les banlieues,
Par les routes interminablement courbées,
Passent, peinant, suant, fumant,
En un profil d'enterrement,
Les attelages, bâches bombées;
Dans les ornières régulières
Parallèles si longuement
Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,
L'eau dégoutte, pendant des heures;
Et les arbres pleurent et les demeures,
Mouillés qu'ils sont de longue pluie,
Tenacement qu'ils sont de longue pluie,
Tenacement, indéfinie.
Les rivières, à travers leurs digues pourries,
Se dégonflent sur les prairies,
Où flotte au loin du foin noyé;
Le vent gifle aulnes et noyers;
Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,
De grands bœufs noirs beuglent vers les cieux tors;
Le soir approche, avec ses ombres,
Dont les plaines et les taillis s'encombrent,
Et c'est toujours la pluie
La longue pluie
Fine et dense, comme la suie.
La longue pluie,
La pluie - et se fils identiques
Et les ongles systématiques
Tissent le vêtement,
Maille à maille, le dénûment,
Pour les maisons et les enclos
Des villages gris et vieillots:
Linges et chapelets de loques
Qui s'effiloquent,
Au long de bâtons droits;
Bleus colombiers collés au toit;
Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,
Un emplâtre de papier bistre;
Logis dont les gouttières régulières
Forment des croix sur des pignons de pierre;
Moulins plantés, uniformes et mornes,
Sur leur butte, comme des cornes;
Clochers et chapelles voisines,
La pluie,
La longue pluie, avec ses longs fils gris,
Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,
La longue pluie,
Des vieux pays,
Eternelle et torpide !
Emile Verhaeren - Les Villages Illusoires
Pluie d'automne
De fines draperies de pluie pendirent dans la campagne. La terre doucement pourrissait autour des meules. Après le marchand de petits cochons, l'homme aux oies avait aussi passé. On savait ce que cela voulait dire, la neige toujours suivait de près le cacardement de ces lourds volatiles. En attendant, c'était la pluie, une pluie à grosses rayures comme de la toile de chanvre, une vraie pluie de Flandre qui mouille sous la peau. Elle arrivait de plus loin que Nazareth, de si loin qu'après il n'y avait plus que la grande mer grise avec ses bateaux. Elle couvrait d'étoupe les vieux toits. Elle faisait de la charpie autour des vieux arbres malades. Les petits moulins l'avaient vue venir avant les autres.
Ca et là sous les saules, au bord des fossés, pâturaient encore quelques vaches, des vaches de pauvres gens, avec une couverture sur l'échine. Le petit vacher, un sac de serpillière aux épaules, sifflait ou chantait une lente et triste complainte, ou nasillait l'office des morts à tue-tête. Très vite passait le cri trembloté d'une béguinette ou le vol aigre d'une mouette comme me hiement d'une poulie. Du côté des petites fermes toujours quelqu'un battait en grange. Chacun était résigné, disant :
-Voila bientôt l'hiver. Il vient en son temps.
Dries Abeels à présent repartait écouter la pluie sur les routes. Elle clapotait si plaintivement dans les mares; elle gloussait comme une poule malade aux gouttières, pleuvait le long des murs au fond des vergers noirs. Les fermes, sous leur toit bas, avec leurs vitres étamées de la buée des marmites, avec leurs volets verts déteints par la coulure de l'eau, avaient un air frileux de petits arches de Noé regardant à travers leurs hublots s'enfoncer les villages dans la brouée de novembre.
Camille Lemonnier - Le vent dans les moulins.
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