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Vers la Belgique, la petite rivière de Marcq est comme le fossé de la grande place de guerre. Bien petit ruisseau, au cours lent, mais dont le rôle militaire fut considérable jadis. Il naît à Mons-en-Pévèle, passe au pied du monument commémoratif de Fontenoy à Cysoing, coule sous le pont de Bouvines et finit dans la Deûle, entre Lille et Tourcoing, c'est-à-dire près de deux sites célèbres par les victoires de nos armées. Du haut de la butte de Mons-en-Pévèle, on domine les plaines glorieuses de Denain et de Lens.
J'ai refait l'autre jour le pèlerinage à ces lieux fameux en allant visiter la gare d'Ascq, tête de ligne projetée du chemin de ceinture des forts de Lille. Ascq est à la jonction du chemin de fer de Douai à Orchies et de la ligne de Lille à Bruxelles, au sein de plaines ondulées dont les dépressions humides recèlent d'abondantes sources. Une route se dirige de là sur Bouvines, par le village de Sainghin, en traversant un plateau nu où les troupes de la Révolution avaient un camp en 1793. Le nom de Camp français est resté aux abords d'un tumulus appelé mont des Tombes.
Sainghin possède un des forts du camp retranché, établi à 1,200 mètres à peine du pont de Bouvines, sur la Marcq. La rivière est un étroit fossé, mais ses bords marécageux seraient aujourd'hui encore un obstacle. Le pont actuel a succédé aux passages en charpente sur lesquels tant d'armées sont passées. Aussitôt commence l'humble bourg, formé d'une rue unique bordée de maisons en brique peinte, très basses, couvertes de tuiles roussies. Aucune de ces demeures n'est contemporaine de la grande journée du 27 juillet 1214. La rue est en pente assez rapide; au sommet de la côte s'élève une église gothique postérieure à la bataille fameuse. Tout auprès, à côté du poids public, se dresse une pyramide tronquée en pierre d'Ecaussine, portant la date de la victoire de Philippe-Auguste.
Des abords de la pyramide, on découvre tout le terrain sur lequel eut lieu la terrible mêlée, depuis Gruson où les bandes de Salisbury s'appuyaient à la Marcq, jusqu'à Bourghelles où le comte Ferrand de Flandre commandait l'aile gauche. Entre Gruson et Bourghelles la plaine se relève peu à peu, se mamelonne; sur une de ces ondulations nues se dresse une croix isolée; près de là se tenait l'empereur Othon.
L'ennemi avait donc les hauteurs pour lui; Philippe-Auguste, au contraire, était dans une situation dangereuse, car il avait la Marcq à dos, rivière moins régulièrement encaissée que de nos jours. Ses troupes étaient moins nombreuses le succès n'en fut pas moins éclatant, grâce aux milices françaises.
Tout fut épique dans cette journée de gloire on connaît l'allocution du roi offrant de marcher sous les ordres d'un autre chef s'il en était un plus digne. Si la chevalerie fit merveille en chargeant aux ailes, les milices de Picardie et d'Artois, guidées avec une science réelle, enfoncèrent au centre les troupes impériales. C'était la patrie française qui s'affirmait pour la première fois, consciente de sa force et de son droit.
On rêverait d'un autre monument que la simple pyramide de Bouvines. Après avoir employé tant de marbre et de bronze à ériger des souvenirs de nos défaites, ne pourrions-nous rappeler plus dignement cette pure et glorieuse victoire?
A quelques centaines de mètres de Bouvines, dans la petite ville de Cysoing, est une autre pyramide, dont l'art raffiné et manière donnerait la date, si l'on ne savait qu'elle a été érigée en souvenir de la victoire de Fontenoy. Elle n'est point sur le terrain même de la lutte, Fontenoy est à cinq lieues de là, sur le territoire belge, mais un an avant la bataille, l'armée royale était venue à Cysoing, Louis XV y avait établi son camp. Après le combat le roi était retourné à l'abbaye de Cysoing; les moines pour célébrer son triomphe, élevèrent dans leur jardin un monument commémoratif.
L'abbaye a été supprimée, les jardins ont été vendus, le monument est aujourd'hui au milieu des champs, loin de tout chemin; j'ai dû passer dans un estaminet pour m'y rendre. C'est une pyramide supportée par un piédestal triangulaire, aux flancs arrondis par des lignes souples, où des ornements délicats sont sculptés. Des dauphins flanquent les angles, la pyramide semble s'élancer d'un vase écussonné aux trois fleurs de lis au sommet s'épanouit une fleur de lis en cuivre ciselé et doré. A mi-hauteur troiscartouchesportcntcomme inscription « Au roi A la paix Au bonheur Rien ne le glorieux maréchal de Saxe ni les ofliciers qui prononcèrent le fameux "Après vous, messieurs les Anglais!" Par contre, les noms de l'architecte qui, de nos jours, restaura le monument, du préfet qui administrait alors le département du Nord et de l'entrepreneur de la maçonnerie, ont été scrupuleusement gravés.
Des abords de ce gracieux échantillon du style Pompadour on a, par les belles journées, assez rares en cette contrée, une vue fort étendue jusqu'au château d'Antoing, bâti au cœur du champ de bataille de Fontenoy. Du côté de la France, au milieu des plaines, surgit une butte isolée, le Mons-en-Puelle des vieilles chroniques francaises, le Mons-en-Pévèle des Flamands. Ce monticule serait partout ailleurs une taupinière; ici, dans ce plat pays du Pévèle, il prend l'aspect d'une colline. Pour l'atteindre, la route est longue, il faut traverser pendant deux heures des champs nus, séparés par des chemins bordés de maisons basses où bat sans cesse le métier des tisserands. Peu à peu la campagne est plus sauvage, des prés, des ruisseaux, des haies, des petits bois couvrent le pays jusqu'aux abords du mont. Sur un premier ressaut est le bourg de Mons-en-Pévèle; en arrière, s'arrondit la croupe cotée 107 mètres sur les cartes; c'est à-dire le point culminant de la région.
C'est un observatoire incomparable. Sauf une ligne de quinze ormeaux sur l'un de ses flancs, la colline est entièrement nue, les talus du "mont" sont en pente raide, une telle positon militaire semble inexpugnable. Lorsque Philippe le Bel, en 1304, vint attaquer les Flamands, il les trouva fortement installés près de Pont-à-Marcq; ne voulant pas les attaquer dans cette position, il vint étudier le pays, monta sur le mont pour le reconnaître et se retira; les Flamands vinrent alors s'installer au sommet, s'y retranchèrent et attendirent l'attaque; celle-ci ne s'étant point produite, les Flamands, menacés d'ailleurs par les mouvements enveloppants de l'armée française, tentèrent une attaque d'abord victorieuse, puis furent complètement battus après une des plus ardentes mêlées de cette époque guerrière.
Aucun monument n'a été érigé sur la colline fameuse; pour les habitants elle commémorerait une défaite de leurs aïeux, mais un souvenir de la bataille est resté. Sous le village même, la colline se creuse en un grand cirque planté d'ormes admirables. C'est évidemment l'oeuvre de l'homme; ce ravin circulaire est trop régulier. On l'appelle le Parolan parce que, dit une légende, il aurait été creusé par un pas du cheval de Roland. D'autres veulent que ce nom vienne des paroles échangées entre Philippe le Bel et les chefs flamands pour la préparation de la paix. La, en effet, eut lieu la solennelle entrevue. Aujourd'hui le Parolan sert d'arène pour les carrousels, si populaires dans cette contrée, et Mons-en-Pévèle n'a gardé de sa belliqueuse histoire que la passion pour les sanglants jeux de coqs.
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extrait d'un texte de A. Dumazet publié en 1896
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Bataille de Mons en Pévèle
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