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Un texte de ce poète des Ardennes tué pendant la première guerre mondiale.

 

 

 

On les voyait toujours ensemble, allant de la cuisine à l'étable, de l'étable aux champs, se jetant dans les jambes des domestiques qui juraient, ou des grands frères qui leur flanquaient des taloches. Personne ne s'occupait d'eux, ils rentraient à la maison à l'heure des repas, et le reste du temps, jusqu'à la nuit tombée, faisaient avec les petits voisins de bruyantes parties de cache-cache, allumaient des feux au pied des talus, pour cuire des pommes de terre, dénichaient au haut des peupliers des corbeaux ou des agasses (1), se roulaient dans l'herbe avec les chiens, poursuivaient les oies, n'ayant peur de rien ni de personne, sauf du garde-champêtre et du chef cantonnier.


La matinée du samedi, les trois mioches restaient à la maison : la mère cuisait le pain. Ils se coulaient dans le fournil, se blottissaient entre les sacs de farine, croisant les bras ou suçant leur pouce. Il faisait chaud et clair; cela sentait bon la farine et le bois sec; les cri-cri chantaient. La mère battait la pâte dans la grande maie qui servait de couvercle à une huche; elle y ajoutait des pommes de terres écrasées qui rendent le pain frais et nourrissant. Attention ! Elle enfourne ! Les narines s'ouvrent, larges et reniflent. En attendant que le pain cuise, la mère est allée surveiller la soupe. Les enfants n'ont pas bougé; ils savent que ce n'est pas fini. Elle casse quelques œufs dans la maie, y verse une jatte de lait. On se pousse du coude, on se tire la langue, on rit:
- Qu'est ce que je fais ?
- De la galette à la flamme (2), m'man.
- Et encore quoi ?
- Une tarte au fromage, m'man.
- Qui est-ce qui est sage ?
- Tout le monde, m'man.
Elle enfourne les pains craquants et parfumés, étend dans les tourtières la pâte plus jaune des galettes, larges et épaisses, dont les bords se relevaient comme ceux d'une cuvette. Avec précaution, la fermière en remplissait quelques-unes de crème; un tour devant un fagot allumé au milieu du four, et les galettes à la flamme sortait, dorées. La cuisson des tartes au fromage demandait plus de temps, mais quand la mère saisissait la pelle de bois pour les retirer du four, quelle joie ! N'y  tenant plus, les enfants sautaient par terre, blancs de farine, se serraient coude à coude autour des tartes qui fumaient sur la volette, et quand ils en avaient un gros morceau, ils sortaient, en l'enfonçant à deux mains dans leur bouche, tant qu'ils pouvaient.

 


Jules Leroux (1880-1915) - Une fille de rien


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1 - agasse ou agace : la pie

2 - recette ardennaise


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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