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Cet arbre géant, l'auteur (Emile Verhaeren) l'a rencontré dans son pays natal, la Flandre belge.
Pour illustrer cette page, j'ai retrouvé une ancienne photographie d'un vieil arbre de mon village. Depuis il a été abattu pour laisser place à un lotissement.
Tout seul,
Que le berce l’été, que l’agite l’hiver,
Que son tronc soit givré ou son branchage vert,
Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine,
Il impose sa vie énorme et souveraine
Aux plaines.
Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans
Et les mêmes labours et les mêmes semailles ;
Les yeux aujourd’hui morts, les yeux
Des aïeules et des aïeux
Ont regardé, maille après maille,
Se nouer son écorce et ses rudes rameaux.
Il présidait tranquille et fort à leurs travaux...
Il pousse au ciel vaincu son front toujours plus haut ;
Il projette si loin ses poreuses racines
Qu’il épuise la mare et les terres voisines
Et que parfois il s’arrête, comme étonné
De son travail muet, profond et acharné.
Mais pour s’épanouir et régner dans sa force,
Ô les luttes qu’il lui fallut subir, l’hiver !
Glaives du vent à travers son écorce.
Chocs d’ouragan, rages de l’air,
Givres pareils à quelque âpre limaille,
Toute la haine et toute la bataille,
Et les grêles de l’Est et les neiges du Nord,
Et le gel morne et blanc dont la dent mord,
Jusqu’à l’aubier, l’ample écheveau des fibres,
Tout lui fut mal qui tord, douleur qui vibre,
Sans que jamais pourtant
Un seul instant
Se ralentît son énergie
A fermement vouloir que sa vie élargie
Fût plus belle, à chaque printemps.
En octobre, quand l’or triomphe en son feuillage,
Mes pas larges encore, quoique lourds et lassés,
Souvent ont dirigé leur long pèlerinage
Vers cet arbre d’automne et de vent traversé.
Comme un géant brasier de feuilles et de flammes,
Il se dressait, superbement, sous le ciel bleu,
Il semblait habité par un million d’âmes
Qui doucement chantaient en son branchage creux.
J’allais vers lui les yeux emplis par la lumière,
Je le touchais, avec mes doigts, avec mes mains,
Je le sentais bouger jusqu’au fond de la terre
D’après un mouvement énorme et surhumain ;
Et J’appuyais sur lui ma poitrine brutale,
Avec un tel amour, une telle ferveur,
Que son rythme profond et sa force totale
Passaient en moi et pénétraient jusqu’à mon coeur.
Alors, j’étais mêlé à sa belle vie ample ;
Je m'attachais à lui comme un de ses rameaux ;
Il se plantait, dans la splendeur, comme un exemple ;
J’aimais plus ardemment le sol, les bois, les eaux,
La plaine immense et nue où les nuages passent ;
J’étais armé de fermeté contre le sort,
Mes bras auraient voulu tenir en eux l’espace ;
Mes muscles et mes nerfs rendaient léger mon corps.
Emile Verhaeren - La multiple splendeur
Emile Verhaeren, poète belge (1855 - 1916)
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