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publié en 1919 :

 

LES BOCHES AU PAYS NOIR

 

Sous ce titre, le bon poète mineur, Mousseron, vient de faire paraître un volume de vers patoisants, illustré de dessins par Lucien Jonas, le talentueux peintre de chez nous.

 

"Mes héros accoutumés, dit-il dans sa préface, n’ont plus eu l’occasion de rire. Tout travail productif et noble était supprimé, et, au milieu de cette barbarie inconcevable, j’ai été amené à ne plus célébrer le Passé... J’étais trop sollicité par le Présent.

"Les gens qui sont restés ici pendant la guerre ne sauraient oublier les stupides méchancetés que les Barbares nous ont fait endurer. Il ne paraissait donc pas indispensable d’en relater le souvenir dans un livre. Mais je crois qu’il était cependant utile de publier la relation de nos souffrances. Car, peut-être, nos arrière-petit-fils retrouveront de temps en temps, abandonné dans un grenier, un vieil exemplaire camoussé des "Boches au Pays noir". Et la lecture de ces histoires vécues pourra aider nos descendants à bien connaître les angoisses d’une invasion allemande, à mieux goûter le bonheur de vivre dans la paix... et à maudire la guerre."

 

Voici une pièce que les évacués de nos régions ne liront pas sans quelque émotion :

 

 

 

 

 

24 AOUT 1914

 

Salissant l’ ciel dé s’ noir’ véture,

Un taube est v’nu suvorler D’nain;

Et c’t’ osiau d’ si mauvais augure

Nous a rindu l’esprit chagrin.

 

A l’approch’ du soir, le jour même,

Les gins d’ Belgiqu’ passot’nt ichi,

Les vieillards, les tiots mioch’s, les femmes

Ins larm’ fuyott’nt leu pauv’ pays.

 

Oh! les innochints lamintabes

Qui v’nott’nt d’êtr’ si dur’mint châtiés.

L’être au monte el moins charitabe

D’vant cheull' scène arot eu pitié.

 

Des mèr’s marchant, l’infant à l’ tette,

Des deux bras protèg’nt cor leur p’tiot.

In les suppli’ pour qu’all’s s’arrêtent :

Sans s’artourner all’s vont tout drot.

 

Leus ch’veux déloyés en crinière,

Mouillés pa les larm’s et l' sueur,

Incadr’nt leur visach, plein d’ misère

Comme Notre-Dam’ des Sept Douleurs.

 

Des vieux borains à l’ rud’ figure,

A pieds-décaux pass’nt in téquant.

Malgré leu n’âge, ils forch’nt l’allure

Pou suivr’ les jonn’s qui sont pa d’vant.

 

Un jonn’ borain, un vrai colosse,

A chaud’ larm’ i’brait les yeux hors.

Nous l’approchons : i’tint un gosse

Dins ses bras, rétindu raid’ mort...

 

D’ timps-in-timps i passe eun’ carette.

Traîné’ lentement par un vieux qu’vau.

L’ voitur’ débord’ d’épaul’s et d’tiêtes

D’ gins qui s’ démèn’nt cari-mancheau.

 

Eun’ femme’, — cha ch’est triste et comique.

Pousse d’vant elle, l’air égaré,

Un énorme instrumint d’ musique

Juché sur l’ voitur’ dé’ s’ bébé !

 

Tout c’monde est parti vite et vite,

S’ sauvant de l’terrible invasion.

I marche, i court, i s’ précipite :

I sint les Boch’s à ses talons.

 

Jules Mousseron.

 

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Les ruines de la Fosse N" 13 bis (Félix Bollaert), aux Mines de Lens

Les installations du jour ont été pulvérisées par les explosions de la dynamite boche

 

 

 

De quelle façon les Allemands ont-ils anéanti Lens, ensevelissant sous les ruines le magnifique labeur de tout un peuple ? C’est ce que conte avec émotion M. Emile Basly, député-maire de la vaillante cité noire. (publié en 1919)

 

L’ASSASSINAT DE LA MINE

 

Tuer la mine ! Etait-ce possible ? Je m’attendais à toutes les cruautés, à toutes les tortures ; mais celle-là dépassait celles que j’avais imaginées. Déjà, par leur conduite dans la ville, je pouvais juger de la mentalité de ces goinfres, ivrognes et brutaux, qui, dans chaque maison de bourgeois ou de pauvre mineur, raflaient tout, en commençant par la cave, rudoyant les femmes, les vieux et les infirmes, criant, sacrant, défonçant les portes à coups de crosse. Et les officiers laissaient faire, engourdis par les vins fins et la fumée des cigares.

C’étaient là les misères de la guerre, imposées, prévues. Mais tuer la mine ! Tarir la richesse du pays, le frapper dans ses entrailles, le condamner à mort sans appel, pareil supplice était-il concevable ?

Je courus chez M, Reumàux, l’agent général de la Compagnie de Lens, universellement estimé, respecté de tous les mineurs et qui, malgré ses soixante-dix-huit ans, a conservé l’entrain, la puissance de travail d’un jeune homme.

— On vous a dit la vérité, fit-il simplement, après m’avoir écouté.

Il avait déjà protesté, je me joignis à lui; mais le bureau militaire allemand accueillit nos doléances par des injures, m’interdisant de sortir de la ville. Et nous dûmes assister, impuissants, à l’inévitable.

Jusqu’à l’arrivée des Allemands, les carreaux de mines n’avaient pas cessé complètement leur exploitation. Les meilleurs ouvriers, rappelés à leurs dépôts par la déclaration de guerre, étaient partis, mais il restait les hommes non mobilisables, les enfants, les femmes qu’on utilisait tant bien que mal, au mieux de leurs aptitudes. Mais l’invasion des barbares avait brutalement interrompu ce labeur déjà ralenti, diminué ; dès qu’ils surgirent, un terrible silence, avant-coureur de la mort, pesa sur les fosses. Les magasins édifiés par les compagnies constituaient pour leurs troupes des casernes toutes prêtes ; elles s’installèrent à Sallaumines, Hénin-Liétard, Liévin, etc..., refusant aussitôt aux ouvriers, aux employés qui se présentèrent l’accès des puits.

— Personne ne doit plus pénétrer ici, dirent les officiers aux ravaleurs ; nous voulons empêcher tout espionnage avec les Français.

Mais chaque fosse abritait au moins 60 chevaux, vivant à 250, 300, 500 mètres de profondeur ; c’était un troupeau de 300 bêtes, murées dans le pays de l’ombre, qu’on ne pouvait abandonner.

— Laissez-nous les remonter, supplièrent les ouvriers.

— C’est impossible, répondirent les Allemands.

— Où ils sont, ils ne serviront plus à rien ; ils vont mourir.

— Eloignez-vous, ou sans ça...

Sur un signe des chefs, une sentinelle approchait le fusil chargé ; devant pareilles menaces, les mineurs durent se retirer. Et 300 chevaux périrent de faim dans les ténèbres. Se représente-t-on les souffrances de ces malheureuses bêtes, d’abord hennissantes, piaffant sur place d’impatience ; puis torturées par la faim, courant dans un galop fou à travers les galeries, se heurtant à d’autres compagnons d’infortune, se battant entr’elles désespérément dans la nuit, agonisant enfin au fond de ce caveau infernal !

Les Allemands avaient empuanti la mine par les odeurs de pourriture s’exhalant des trois cents chevaux morts ; mais bien que souillée, asphyxiée, elle pouvait renaître, vivre, produire encore ; il s’agissait de la tuer, de l’étouffer en bouchant les puits par lesquels elle aspirait l’air des hommes. Le plan satanique fut exécuté par des professionnels du meurtre. Les armes ne manquaient pas: dans les magasins, s’alignaient les bennes, wagonnets servant au transport du charbon ; les soldats s’en emparèrent, les précipitèrent dans les vastes orifices, béants comme des bouches avides. La mine cria, gémit avec de grandes plaintes métalliques, mais elle vivait toujours ; les puissances du feu continuaient à circuler dans ses veines noires.

Alors, les assassins revinrent à la charge, s’acharnèrent sur leur victime. La mine gisait sous leurs lourdes bottes, étranglée, aveuglée ; cette fois, ils la noyèrent. A coups de grenades lancées dans les cuvelages, ils inondèrent les galeries, les puits d’une même fosse, et lentement l’eau monta, monta. Toute résistance était devenue impossilbe, la mine envahie, submergée, finit par se rendre, par mourir.

En quelques heures, le labeur de plusieurs générations avait été anéanti. Mais que mes frères de la mine ne désespèrent point ; ils retrouveront un jour leurs lampes aux mêmes endroits où ils les ont laissées. Je leur en donne ici solennellement l’assurance.

 

Emile Basly, député-maire de Lens

 

 

La Fosse n°5 des Mines de Lens en 1914

 

 

La même Fosse n°5 après cinq ans de guerre

 

La Fosse N° 9 de Courrières au lendemain de la délivrance.

Le chevalement et le triage gisent dans un entonnoir de 34 mètres de diamètre et de 15 mètres de profondeur.

 

 

Les bâtiments industriels des Mines d’Anzin n’étaient plus, au lendemain de l’armistice, qu’un amas de ruines.

 

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lu dans une revue de 1920 :

 

Dans les ruines de Lens...

 

Deux vieux se rencontrent dans les ruines de Lens :

— Te rappelles-tu le temps où les dragons chargeaient les mineurs dans les rues ?

— Si je ma rappelle! On les détestait bien, ces cavaliers français. Quand on les voyait arriver avec leurs longues lances qui ressemblaient à des cannes à pêche, on criait : "Ches péqueux ! Ches péqueux !"* Et on leur lançait des briques.

— Ah ! fait l'autre vieux. Comme on les aurait embrassés ces braves "péqueux" si l’on s était douté que tant d’entre eux devaient mourir peu de temps après en combattant les Allemands !

 

* Ces pêcheurs

 

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