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Vous me direz "Saint-Etienne ce n'est pas dans le Nord ni en Belgique", mais cet article d'Étienne Falck, publié en 1950, nous parle des mines à cette époque, alors pourquoi sans priver...

 

MINES DE CHARBON DE SAINT-ÉTIENNE

 

Des appels électriques — "Descente", "Personnel", "Hai" — se répondent dans le fouillis des charpentes métalliques et des signaux lumineux percent la grisaille de leurs éclairs rouges et verts. "Hai", c’est le "Larguez tout !" des mineurs, et notre cage tombe dans un puits d’ombre. Le bleu, les bottes, le casque de cuir bouilli et la ceinture qui retient le petit accumulateur de la lampe frontale, tel est tout l’équipement du mineur. Quatorzième couche, plus de 800 mètres de profondeur, 15 secondes de chute pendant lesquelles l’estomac remonte dans la gorge et les oreilles bourdonnent. Au bout de sa course, l’ascenseur nous dépose à l’orée d’une recette principale ; sur deux voies, les berlines chargées de charbon attendent d’être remontées vers la surface.

Grande galerie éclairée, cerclée de fer et badigeonnée de chaux, la voûte que nous suivons est parcourue d’un courant d’air frais et vif. Après environ un kilomètre de marche, le plafond commence à se bosseler et à s’abaisser par endroits, la paroi s’incurve, des blocs de pierre ont de-ci de-là crevé la voûte, et les arcs de fer se tordent et se brisent sous la puissante pesée d’un terrain meuble et friable. Des flaques d’eau luisent entre les rails. Un train de charbon nous croise dans un clignotement de feux, une vingtaine de wagons, 30 tonnes de produit brut lancées dans le cycle des manipulations et d’où quelques-unes seulement seront restituées à la consommation. Les puits les plus modernes peuvent ainsi remonter 6.000 tonnes par jour.

De part et d’autre de la galerie principale taillée dans le roc, d’anciennes galeries d’exploitation désaffectées ouvrent des niches comblées d’éboulis et d’éclats de boisage. Autrefois les matériaux de déchet servaient au remblayage des veines épuisées. Aujourd’hui, et pour diminuer les frais d’exploitation, on préfère pratiquer le "foudroyage", en dirigeant l’éboulement et le tassement naturel de ces galeries ; cela vaut à Saint-Etienne l’éclosion récente, à quelques centaines de mètres du centre de la ville, de deux "crassiers" d’une taille monumentale, devant qui s’ouvre d’ailleurs le titre européen pour la hauteur et la prestance. Mais nous venons d’arriver à une bifurcation. Il ne s’agit plus à vrai dire d’une galerie, mais d’un étroit couloir qui semble avoir basculé vers le fond de la terre, à 30 ou 40 degrés de pente. Nous nous laissons glisser et rouler au milieu d’un éboulis de matériaux hétéroclites. Une grosse conduite de pompage occupe une bonne partie de l’espace libre, et les défaillances d’un câble d’acier qui, de temps à autre, se laisse pendre de la voûte offrent de loin en loin le secours d’une main courante. Pas d’autre lumière que le faisceau merveilleusement efficace de notre lampe cyclope. L’ingénieur dont j’accompagne la ronde de surveillance a décidément le pied montagnard et se meut dans ces ténèbres croulantes avec désinvolture. Nouveau pilier, enfin ! Si nous marchons à présent sur les mains, par contre, c'est sur un plan à peu près horizontal, le "plancher des vaches", en quelque sorte ! Il nous a fallu franchir une porte étanche ; l’aération des galeries de mine, qui, surtout à cette profondeur, est le premier problème à résoudre avant d’entreprendre n’importe quel travail d’exploitation, se pratique en créant un puissant courant d’air entre deux puits, à travers tout le réseau souterrain. D’un côté, une soufflerie envoie vers le fond un volume convenable d’air extérieur, alors que les manches d’aération aspirent, de l’autre, l’air vicié des couches profondes et assurent l’évacuation des émanations toxiques. Les embranchements intermédiaires reliant entre eux les deux systèmes de ventilation aux divers étages sont munis de portes étanches sévèrement surveillées.

Pliés en deux comme des Indiens sur le sentier de la guerre, notre progression se fait maintenant en pleine veine de charbon, le long d’un couloir d’abatage qui peut avoir un mètre de hauteur. Les parois de jais accrochent les reflets de lumière et se gonflent comme des médaillons entre les cadres du boisage de pin. L’ingénieur vient littéralement de disparaître dans un trou de poussier à peine plus grand que la bouche d’un égout. Tout autour, les poteaux sont enfoncés, pliés, brisés comme des allumettes. "Par ici, venez, attention !" Une vague lueur et un ronflement heurté sortent du trou. On dit que les hérissons peuvent se faufiler là où ils ont réussi à passer le museau ; les hommes /peuvent certainement en cela leur rendre des points. Nous nous étirons comme des couleuvres et nous nous laissons tomber en contre-bas dans une fosse étroite où les lampes des mineurs font luire des torses nus dans un nuage de poussière, un vacarme assourdissant de compresseur et de marteau pneumatique. On est en train d’ouvrir là l’exploitation d’une nouvelle veine. Deux yeux brillants sur une rangée de dents blanches, c’est le chef de chantier. "Un coup de charge, explique-t-il. La fente écrasée au travers de laquelle nous venons de nous glisser est ce qui reste de la galerie ouverte hier sur le nouveau chantier. 1 m. 50 hier soir lorsque le boisage était achevé ; tassée presque jusqu’à disparaître au cours de la nuit." A partir d’ici, on est en train de forer le premier couloir qui permettra d’attaquer la nouvelle couche. Il y a 4 mètres d’épaisseur de charbon sous nos pieds, une bonne veine ; l’épaisseur moyenne en France est d’un mètre à peine. Pour le moment des élançons métalliques maintiennent la voûte d’un étroit boyau dont la largeur va aller s’accroissant progressivement d’un mètre environ par jour. Actuellement la place manque pour y installer même une bande transporteuse, et' un couloir oscillant, en tôle, fait glisser le long de la pente le charbon abattu jusqu’au pied de la taille. L’abatage se fait au marteau piqueur, en attendant que l’on puisse installer une baveuse.

Pour circuler nous ne pouvons plus maintenant qu’emprunter le couloir oscillant et suivre, pêle- mêle, la descente du charbon. Nous croisons une équipe qui remonte ; embouteillage et remous de jambes, de bras, de "gueules noires" rapidement tassés par le hoquet du couloir qui trépigne avec vigueur. Mètre par mètre, nous continuons à descendre avec la rivière de charbon. Ces hommes noirs et luisants, taillés comme des athlètes, avec leur large sourire blanc et leur regard loyal, ressemblent à des statues de bronze. Beaucoup d’entre eux dans le bassin de la Loire sont des Nord-Africains, mais cet uniforme-là ne fait pas de différences entre les couleurs de peau et d’opinion, entre mineurs de fond, ingénieurs ou... journalistes ! Le seul mal qui les menace ne vient pas de la mine, pas directement du moins, c’est la soif, le "litre". Lorsqu’on connaît la chaleur et la poussière de l’abatage de fond on ne s’étonne guère que les 10 litres quotidiens soient coutumiers.

 

 

 

 

 

 

 

 

Après trois heures de cheminement souterrain, nous avons atteint le terme de notre exploration, le pied même de la nouvelle taille, d’où un large convoyeur à bande remonte le charbon abattu vers la galerie la plus proche, là où les trains de berlines le transportent à leur tour jusqu’à la "recette" ; de ces gares souterraines les wagonnets sont remontés, quatre par quatre, dans la cage d’extraction, vers la surface, sur le "carreau" de la mine. Après tout, pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, emprunter le lit de ce fleuve noir qui semble couler et remonter vers sa source ? Merveilleuse occasion de connaître le point de vue du morceau de charbon ! La proposition paraît inhabituelle et soulève des objections : " Eh bien, vous ne manquez pas d’idées, vous autres, dans la presse !

— Pourquoi donc, est-ce impossible ?

— Non.

— Eh bien, vous sauterez en même temps que moi.

— Entendu, allons-y."

A peine allongés sur la bande du convoyeur, hommes noirs enfouis parmi l’élément noir, nous voici emportés par le tapis magique le long de l’interminable couloir.

 

Avoir foré dans l’ensemble de nos bassins houillers 200 puits de mine ; étayé et boisé un dédale de 4.700 kilomètres de galeries ; avoir récemment mis en service haveuses et chargeuses électriques et porté à 1.700 un pare de locotracteurs dont certains circulent à plus de 500 mètres sous terre ; loger les 300.000 membres du personnel de nos mines et mener à bien, avant 1955, un programme de construction de 45.000 logements ; remonter enfin le tonnage de notre extraction à 60 millions de tonnes avant 1952, afin de couvrir 80 % de nos besoins, telle n’est pourtant qu’une partie de la tâche qui incombe à nos charbonnages. Avant même de se préoccuper de la question des débouchés, qui tendra d’année en année à se poser de façon plus pressante, celle des diverses opérations de triage occupe dès maintenant un tiers des effectifs miniers. La concurrence de l’électricité, du gaz et des huiles lourdes rend en effet de plus en plus sévères les exigences du public à l’égard du charbon utilisé comme combustible. Les moyens modernes d’extraction, pour leur part, accroissent la teneur en cendre et en produits stériles du charbon abattu, en facilitant notamment l’exploitation de veines moins riches ; cela en particulier est le cas pour le bassin de la Loire, dont la longévité est estimée à vingt ou quarante ans selon les puits. Nous sommes loin, évidemment, de bassins jeunes et immensément riches, tels que celui de Pittsburg, dont la superficie totale s’étend sur un domaine vaste comme la France, parfois profond de plusieurs dizaines de mètres, et en terrain solide. De très gros efforts viennent cependant d’être réalisés ici pour concentrer l’équipement sur les puits les plus productifs et pour moderniser les méthodes de production. Ces dépenses sont justifiées, puisque de gros investissements miniers s’amortissent tous les trente-trois ans et ont été rendus possibles par la coopération du Fonds national de modernisation et d’équipement.

 

Lorsque la berline automatiquement débloquée de la cage est prise dans le culbuteur, vidée et nettoyée de sa poussière en quelques secondes, le produit brut subit aussitôt sur un tamis un premier calibrage qui le partage en blocs de plus ou de moins de 60 centimètres de diamètre. Etalés sur un convoyeur à bande, les premiers sont séparés de la forte proportion de pierres et de schistes auxquels ils sont mêlés. C’est le travail des "clappeuses". Les blocs les plus gros sont alors passés par le broyeur avant de rejoindre le circuit de lavage.

La batterie des rhéolaveurs reçoit les différentes catégories de charbon brut selon la grosseur de leur calibrage respectif : de 10 à 17 centimètres de diamètre, 17/35 et 35/60. Entraîné dans un courant de liquide dense, le charbon a tendance à flotter à la surface, alors que les schistes, plus lourds, tombent et sont évacués vers le fond. Les grains passent alors sur des transporteurs à maille, puis sont reclassés et dirigés vers les trémies de chargement des wagons. Les eaux de l’appareil de lavage, à leur tour, contiennent une forte proportion de poussière de charbon en suspension. Après s’être décantée dans une série de bassins, celle-ci est recueillie, encore chargée d’humidité et d’impuretés ; ce sont les "schlamms". Leur traitement est alors parachevé au "lavoir à fines", où leur épuration donne lieu aux diverses opérations de la "flottation", de la "filtration", de la "floculation" et de la "décantation", pour aboutir enfin au séchage et à la fabrication du coke. Nous sommes loin de la conception classique et si souvent partagée de la livraison directe du carreau de la mine - au consommateur...

Plus loin encore lorsqu’on envisage les difficultés créées par le rétrécissement progressif des marchés classiques de la houille. Je me souviens de m’être arrêté devant cet avis affiché à l’entrée des bureaux du puits Couriot : "Le personnel de la mine est informé que, en raison des circonstances économiques, la journée du lundi 8 sera chômée." Les "circonstances économiques", en l’occurrence, étaient le remplissage des barrages. On en arrive à ce résultat paradoxal que, lorsque nous multiplions les efforts pour élever notre production au niveau de notre consommation, de telles circonstances agissent en sens inverse. C’est pour faire face à de telles éventualités que la plupart des bassins cherchent à utiliser et à transformer eux-mêmes leur propre production. De tout temps, c’est l’utilisation des sous-produits qui a "payé" bien souvent le déficit. Demain, c’est l'utilisation du charbon comme moyen de chauffage qui risque d’être considérée comme un gaspillage tant est longue la liste de ses usages.

C’est pour tirer un parti plus immédiat de ces ressources que de très gros travaux vont prochainement donner leurs fruits à proximité immédiate de Saint-Etienne : la cokerie de La Silardière, dont les soixante fours, qui auront coûté près de 3 milliards, entreront en service au début de l’année prochaine ; et la centrale thermique du Bec, dont les deux premiers groupes viennent d’entrer en service en apportant 50 millions de kilowatts au bassin de la Loire et à laquelle vient d’être affecté un nouveau déblocage de crédits destinés à en doubler la puissance.

 

 

 

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