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Attention à ne pas laisser passer la moindre pierre.
Les "trieuses" ont 8 heures par jour les yeux fixés sur le tapis roulant... mais nous aurons davantage de charbon.
ELLES TRAVAILLENT POUR QUE NOUS AYONS MOINS FROID
article publié en 1946
Non! Décembre n’arrive pas à blanchir le paysage noir et gris. La neige est impuissante à prendre possession des maisons, des rues et des hommes... L’hiver n’étend pas ici son doux manteau immaculé, car au pays de la "terre noire" c’est le charbon qui règne, tout est sa proie et nul ne lui conteste son empire !
Inlassablement les ascenseurs montent et descendent leur chargement de berlines pleines et de berlines vides, inlassablement les mineurs s’attaquent à la paroi de houille grasse, et janvier passe sur la mine sans troubler le rythme du travail, sans assourdir le fracas de tonnerre, sans purifier cet air qui est poussière, sans réussir à ôter aux hommes, aux femmes, au monde de la mine le masque noir plaqué sur les êtres et sur les choses...
Regardez ces silhouettes, là-bas, debout, la tête penchée sur les tapis roulants qui passent devant elles dans un bruit assourdissant; regardez bien: hommes ou femmes? Avec leurs vêtements sans couleur et leur peau noircie, c’est difficile à dire... Oui, ce sont des femmes, ce sont les trieuses de charbon... Approchez encore: n’êtes- vous pas frappée par la jeunesse de leurs visages? Car elles n’ont souvent pas plus de 18 ans ces jeunes filles qui suivent attentivement le défilé des blocs de houille, qui font ce travail avec une dextérité étonnante, sans jamais laisser échapper une pierre!
Mais voici le moment du casse-croûte: Jeanne essuie son visage en riant, Emilienne essaie de secouer les milliers de minuscules cristaux de houille qui sont collés à elle, et trente jeunes filles, debout depuis ce matin six heures, peuvent enfin s’asseoir et restaurer un peu leurs estomacs de 20 ans... à deux pas de leur travail.
— Depuis combien de temps êtes-vous trieuse? ai-je demandé à Paulette, grande et robuste blonde qui mord avec appétit dans son sandwich.
— Je suis entrée à la mine l’année dernière, comme beaucoup de mes camarades, car il y a eu dans le Nord un vaste mouvement en faveur du travail des femmes. Nous avons décidé de remplacer les hommes à tous les postes de surface, pour qu’ils puissent descendre plus nombreux au fond...
— Et vous avez réussi! Il paraît, en effet, que l’apport massif de l’embauche féminine a permis une très nette augmentation de la production.
— Nous en sommes fières, conclut Emilienne, et elle ajoute: Notre métier était très déprécié autrefois, on regardait d’un mauvais œil les femmes qui l’exerçaient, et nous avons eu à lutter contre une foule de préjugés. Mais, maintenant on se rend mieux compte de ce que notre effort a permis de réaliser.
Un coup de sifflet: le travail reprend. Toutes ces filles courageuses sont en quelques secondes à leur poste devant ces toiles où défilent plus de 150 tonnes de charbon chaque jour... Plus loin les moulineuses arc-boutées devant les berlines déchargées les poussent vers la "cage"...
Sous le ciel bas et gris de décembre, dans les tourbillons de poussière le travail acharné se poursuit. On extrait plus de charbon qu’avant guerre. N’est-ce pas là un magnifique symbole? Je regarde une dernière fois "la mine" et je songe aux usines qui tournent, aux foyers qu’on pourra chauffer ! Merci ! les trieuses !
Eliane Monson
Fille courageuse, elle ne craint pas le travail... et la poussière noire qui lui colle au visage n’éteint pas son sourire!
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