Le texte de cette page a été écrit en décembre 1965.

Voici quelques semaines, la Belgique tout entière était émue par la disparition du Manneken-Pis, victime - une fois de plus - des mauvais plaisants. Une nouvelle copie conforme de l'impertinent bambin a repris sa place aujourd'hui sur son socle, l'original se trouvant en sûreté dans un coffre blindé depuis 1963, à la suite d'une farce d'étudiants qui avait failli coûter la vie au petit bronze bruxellois. L'histoire de cette statue unique en son genre vaut d'être contée...

La fontaine, dénommée Manneken-Pis, qui s'érige rue de l'Etuve, au coin de la rue du Chêne, à Bruxelles, existe depuis les temps les plus lointains, mais les nombreuses recherches n'ont cependant pas encore permis de déterminer son origine. Un document, du XIVe siècle, nous apprend l'existence en cet endroit, d'une statuette en pierre, le Juliaenekensborre - la fontaine du petit Julien - Manneken primitif qui fournissait à la population du quartier, l'eau potable et limpide descendant du Sablon. En 1619, le 13 août, Jérôme Duquesnoy, père, fut chargé, par le magistrat, d'exécuter une statuette en bronze, pour le prix de 50 florins du Rhin. Le 16 décembre de la même année, le tailleur de pierre, Daniel Raessens, reçut commande d'un pilier destiné à supporter cette statuette, et de deux cuvettes, le tout pour la somme de180 florins du Rhin. Et, en 1770, une niche en pierre bleue, primitivement affectée à la fontaine de la place de la Chapelle, remplaça pilier et cuvettes. Au cours de son existence déjà bien longue, le petit bronze eut maintes aventures et fut, notamment, plusieurs fois volé.

Victime de la soldatesque

En 1695, lors du tragique bombardement de Bruxelles, par le maréchal de Villeroy, la statuette put être mise à l'abri. Lorsque tout danger fut écarté, le 19 août de cette année, elle fut rapportée en triomphe et remise sur son piédestal. On inscrivit alors, au-dessus de sa tête, ce passage du psalmiste : In petra exaltavit me et nunc exaltavi caput meum super inimicos meos. (Il - le Seigneur - m'a élevé sur la pierre et maintenant j'élève la tête au-dessus de mes ennemis.) Cette inscription n'existe plus aujourd'hui. En 1745, au cours de la guerre de Succession d'Autriche, des soldats anglais l'enlevèrent nuitamment ; les Bruxellois, vigilants, le retrouvèrent à Grammont, et ce, grâce au concours bienveillant des habitants de cette ville, à laquelle, en témoignage de reconnaissance, fut offerte une réplique de la statuette. Mais, Manneken-Pis avait beaucoup... d'amateurs ! En effet, ce sont des grenadiers français, cette fois, qui, le 31 mai 1747, voulurent s'en emparer. Malheureusement pour eux, la chose ne réussit point, car le peuple s'émeuta et une rixe sanglante ne fut évitée que grâce à l'intervention du roi Louis XV, à ce moment à Bruxelles. Le souverain fit arrêter les coupables et offrit à Manneken-Pis, un habit de brocart brodé d'or, et le fit chevalier de l'ordre de Saint-Louis. Enfin, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1817, le petit bonhomme disparut une fois de plus, volé par un forçat libéré, Antoine Lycas. L'inquiétude fut grande ; cependant après d'actives recherches, il fut retrouvé, mais... en morceaux. A l'aide des fragments, on refit un moule dans lequel fut coulée la nouvelle statuette de bronze.

Une garde-robe aussi riche que variée
C'est le 6 décembre 1818, jour anniversaire de la naissance du prince héréditaire qu'au milieu de l'allégresse générale, le petit Manneken réintégra son domaine... Aimé du peuple, honoré par les rois et les princes, Manneken-Pis est comblé d'honneurs, et de distinctions honorifiques tant civiles que militaires. Mais, son plus beau titre est, certes, celui de plus vieux bourgeois de Bruxelles. Il possède une garde-robe aussi riche que variée, qui est exposée au Musée communal, en la maison du roi, Grand-Place, à Bruxelles. A l'occasion de la Fête des arbalétriers, le 1er mai 1698, l'Electeur de Bavière lui fit don d'un bel habit. Tandis qu'en 1747, comme nous l'avons déjà dit, c'est le roi Louis XV qui lui offre un habit de brocart. Et, en 1830, notre petit bonhomme se montre en tenue de combattant de la Révolution.

Des légendes comme s'il en... pleuvait !

Mais, les dons de costumes et d'uniformes se multiplient après la Grande Guerre (1914-1918) ; et, sa garde-robe s'enrichira, à un rythme accéléré, après la guerre de 1939-1945. Le mystère qui entoure la naissance de Maneken-Pis a fourni matière à de nombreuses légendes dont, ci-après, les principales :
On raconte qu'à la mort de Godefroy II, duc de Lotharingie, en 1142, son fils, Godefroy III, âgé de quelques mois, aurait été amené sur le lieu de combat, lors de la bataille de Ransbeek, et son berceau suspendu à un chêne pour stimuler l'ardeur des soldats. Au moment décisif du combat, le jeune duc se serait dressé dans son berceau pour accomplir le geste que devait reproduire, plus tard, la fontaine de la rue de l'Etuve, en commémoration de cet exploit.

On dit aussi que le petit bonhomme aurait été le fils cadet d'un comte d'Hove, vivant à Bruxelles du temps de la première croisade. Agé de 5 ans, et assistant à une procession en l'honneur du Saint Sacrement, il se serait permis d'accomplir le geste que devait rappeler la statuette célèbre élevée après cet événement.
Autre légende : le fils d'un riche bourgeois, s'étant perdu, fut retrouvé par ses parents, au coin de la rue du Chêne, alors qu'il accomplissait la fonction que devait reproduire la fameuse fontaine. Pour certains, Manneken-Pis doit son origine à l'exploit d'un gamin qui éteignit, en l'arrosant, une machine infernale destinée à faire sauter l'hôtel de ville. Enfin, une sorcière, habitant une maison située à l'emplacement de la statuette actuelle, condamna un jeune enfant qui... était allé arroser le seuil de sa demeure, à faire éternellement le même geste au même endroit. Une figure de pierre fut substituée au petit garçon. Figure légendaire, symbole d'insouciance, Manneken-Pis caractérise, on ne peut mieux, l'esprit frondeur et l'humour bruxellois. Il s'est incorporé à la vie de la cité ; il est mêlé aux événements notoires, heureux ou tragiques, de la capitale belge.

Mais c'est aussi un héros... la preuve :

ORDRE DU BATAILLON n° 333, du 6 mars 1919

CITATION A L’ORDRE DU BATAILLON

Le chef de bataillon Ducornez, commandant le 19me Bataillon de Chasseurs, cite à l'ordre du bataillon

Nom : MANNEKEN-PIS

Grade: caporal honoraire de la 1ère Cie.

MOTIF DE LA CITATION
Surpris à son poste en août 1914 par la brusque irruption de l'ennemi, l'a accueilli avec le plus grand sang-froid, marquant dans un geste de suprême désinvolture, son insouciance complète du danger. Fier de son passé, jaloux de sa gloire, conscient de la nécessité que lui imposait son titre de plus ancien bourgeois de Bruxelles,  de donner l'exemple à ses concitoyens, a, pendant plus de quatre ans, sans défaillir, maintenu sa position, malgré les tentatives réitérées d'un ennemi qu'aucun scrupule n'arrêtait. Aussi modeste dans le triomphe que fort dans l'adversité, reste aujourd'hui, dans l'éclat de la victoire, un caporal modèle par l'observation stricte et rigoureuse de sa consigne.

La statue de Jeanneke-Pis, créée en 1985 par Denis-Adrien Debouvrie, est dévoilée au public en 1987. Elle est la sœur du Manneken-Pis. La fontaine-statue se trouve pas très loin de celle de "son frère".

Cette affiche est apparue mardi* sur les murs de Bruxelles. Elle représente le fameux Manneken Pis, symbole de la capitale belge, en tenue de forçat et boulet au pied.

"Ça jamais !..." C'est la proclamation du "Front démocratique des francophones" qui assure que si le FDF gagne les prochaines élections qui auront lieu fin mars, le petit bonhomme vivra en homme libre.

* 19 mars 1968