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LA FRANCE S'EST-ELLE RELEVEE DES RUINES DE LA GUERRE ? - LILLE, REINE DU TEXTILE
Si Lille poursuit son essor, — et rien ne permet d'en douter, — elle couvrira bientôt de ses maisons, de ses établissements industriels, de ses cités ouvrières et de ses jardins, toute la superficie de l'arrondissement.
Déjà, aucune solution de continuité n'existe plus entre elle, Roubaix, Tourcoing, Bondues, Linselles, Ronucq, la Madeleine. Vingt lieux qui n'étaient avant la guerre que ses voisins sont agglomérés aujourd'hui à elle pour constituer une ville immense, comptant plus de 700.000 âmes, sans cesse en voie de développement, débordant même jusque sur la Belgique. Entre Halluin et Menin, la frontière n'est-elle pas, en effet, une simple ligne tracée dans une rue dont toutes les maisons se pressent les unes contre les autres ?
Ah ! la prodigieuse cité qu'enrichit, jusqu'à la pléthore, l'industrie textile !
Si la guerre y sévit cruellement, la priva de tous ses organes de production au point qu'il n'y subsistait en 1918 pas un métier, pas une broche, pas une installation de force motrice, ne suffit-il point d'y séjourner quelque temps pour comprendre que la voici plus puissante que jamais et promise à un magnifique avenir ? Au vrai, la ville proprement dite n'est pas très profondément modifiée en son aspect depuis 1914. Elle a guéri ses blessures, réparé ses monuments, ses maisons endommagées par l'artillerie et l'avion, et — c'est un fait que je constaterai partout au cours de mon voyage — profité des destructions pour élargir telles de ses voies, procéder à des dégagements nécessaires, donner air, lumière partant salubrité à certains de ses vieux Quartiers.
Mais souhaite-t-on de visiter les centres industriels qui assurent sa vie, lui constituent une ceinture de briques d'où émergent des milliers de cheminées fumantes, et, dans ce desseiin, parcourt-on, en auto, le boulevard qui la relie à Roubaix, puis à Tourcoing? On a la révélation immédiate de sa prospérité, de son pouvoir d'expansion et aussi de l'intelligente sollicitude des hommes à qui échut à charge de l'assister en sa résurrection.
Large, planté d'arbres, flanqué d'une voie parallèle où circulent les tramways et les trottoirs cyclables, bordé sur toute sa longueur (11 kilomètres jusqu'à Roubaix, 13 kilomètres jusqu'à Tourcoing) de villas et d'hôtels entourés de jardins, où juin a mis ses fleurs à profusion, il est, ce boulevard, comme le symbole de la richesse de la Reine du Textile. Et si, comme il est inévitable, en un lieu où industrie, commerce, banque firent en dix ans un tel bond, quelques-unes de ces résidences portent sur leurs façades les signes un peu ostentatoires de la fortune de leurs propriétaires, presque toutes attestent le goût le plus sûr, révèlent une volonté de grâce et d'harmonie.
Durant tout le temps que se prolongera la visite que je fais à cette ville en formation, je constaterai le souci qu'eurent particuliers et pouvoirs publics de créer le pratique, l'élégant, de bannir les hideurs, les lèpres, les banalités et aussi les fantaisies ridicules qui, pour l'ordinaire, déshonorent les cités à l'heure de leur croissance.
Et puis, voici la Deule où, pressées bord à bord, les péniches attendent que les ponts transbordeurs, qui dressent dans le ciel leurs bras métalliques, les déchargent de la, laine, du charbon, des cent denrées ou produits que, sans répit, de nuit comme de jour, elles apportent à ces innombrables usines qui, rousses et noires, s'étendent sur la plaine, jusqu'à la limite du champ visuel et où tout un peuple travaille dans les filatures, les peignages, les retorderies, les teintureries.
J'ai visité Plusieurs de ces usines. Toutes sont spacieuses, pourvues de l'outillage le plus moderne. Toutes, ou presque, ont atteint, dépassé même leur production des années d'avant-guerre et - paradoxe! — quelques-unes, qui sont maintenant parfaitement équipées, riches d'engins perfectionnés leur permettant de lutter victorieusement contre la concurrence étrangère, doivent ces améliorations au désastre qui s'abattit sur le pays. S'il ne se fût point produit, elles n'eussent pu remplacer aussi rapidement, aussi radicalement un appareillage désuet, et, partant, réaliser, dans la fabrication, pareil progrès !
Quand, dans toute l'Europe et les parties les plus proches de l'Asie on a pu mesurer les méfaits de la guerre, n'est-il pas sacrilège de parler des acquisitions qu'elle permit? En voilà pourtant une!
Et voici l'autre :
Dans ces ateliers, j'ai constaté flue l'homme, la femme, l'adolescent travaillent dans des conditions de salubrité, de sécurité et de confort que jamais il n'avait été possible de leur procurer naguère et dont, selon toute vraisemblance, ils ne jouiraient pas encore si l'ennemi n'avait détruit les vieilles installations!
Rentrant de cette tournée si instructive, si réconfortante, je m'entretenais de ce que je venais de voir avec M. Hudelo, préfet du Nord.
— Puisque vous avez l'intention de parcourir tout le département, me dit-il, et aussi les départements voisins, vous constaterez que l'impression ressentie par vous aujourd'hui se fortifiera à mesure que votre voyage d'études se poursuivra et vous réaliserez ce que fut l'effort fourni par les régions libérées. En ma qualité d'administrateur du département du Nord, c'est de lui seulement que je puis vous parler. Ce que je vais vous dire vous permettra de juger si, en s'imposant les sacrifices dont vous connaissez l'étendue, la France a trop fait confiance à nos populations. Voici des chiffres. Mon département a reçu vingt milliards au titre des dommages de guerre. Or, en 1926, il a payé, sous forme d impôts, un total qui, si l'on considérait que l'indemnité à lui allouée dût porter intérêt à 6 %, laisserait une soulte d'un milliard. Il verse au Trésor public autant que cinquante-deux départements groupés du Centre, et sa participation équivaut ainsi au dixième des impôts perçus dans le pays tout entier. Il contribue en outre largement à l'équilibre de notre balance commerciale. Ne résulte-t-il pas, en effet, d'une consultation des différentes associations professionnelles, que le chiffre d'affaires de nos industries dépasse 25 milliards par an dont une partie de 30% est représentée par l'exportation ? Enfin, les opérations réalisées par la Banque de France permettent d'apprécier l'importance du département dans le mouvement économique national : l'an dernier la succursale de Lille a fait 5 milliards 615 millions d'affaires. Elle vient au premier rang des succursales de province, avec 707 millions de plus que celle qui la suit immédiatement. L'arrondissement est le seul qui possède trois succursales : Lille, Roubaix, Tourcoing. Elles ont réalisé l'an dernier 9 milliards 930 millions.
M. Hudelo me dit encore :
— Et voici maintenant, au point de vue social et politique, les conséquences d'une telle situation. Touchant à la mine et dans le textile de hauts salaires, jouissant d'avantages indéniables que leur assurent de nombreuses œuvres, la population ouvrière est heureuse. Elle fait des économies, — je n'en veux pour preuve que la rapidité avec laquelle les emprunts sont couverts, — et vit dans d'excellentes conditions. Aussi ne songe-t-elle plus à s'agiter et se sépare-t-elle chaque jour davantage des partis de révolution. Aussi le communisme est-il en régression dans le département. En 1924, trente-sept communes communiaient sous le signe de la faucille et du marteau ; on en compte sept. Sur trois conseillers généraux, il n'en reste plus que deux et si, aux élections législatives, le communisme conserva ses positions, il n'eut plus, aux élections sénatoriales, que 81 voix contre 250 qu'il avait obtenues précédemment.
publié en 1927
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