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UN DIMANCHE A LILLE
Repos dominical ! Aujourd’hui grasse matinée; dig, ding, dong ! Les cloches sonnent la grand’messe ; on se lève, on se lave, on déjeune en hâte ; la mère achève d’habiller les enfants, le mari jure contre le bouton de son col : — Ah ! cette chemise ! — Oh ! cette cravate ! Madame fait toilette, Monsieur tempête et peste, impatienté : — Eh ! quoi ! pas encore prête ? Oh ! ces femmes ! ça n’en finit pas de s’attifer ! Voilà deux heures que j’attends; il est bientôt l’heure; — dig, ding, dong ! — Dépêchons-nous au moins pour aller à la messe de midi, elle sonne !
Au dehors, des familles endimanchées, dames et demoiselles en toilettes vaporeuses, robes moulées, chapeaux à fleurs ou à plumes, se rendent àl’église : rendez-vous mystiques, sourires, clins d’œil, révérences ; à quand le mariage ? Chut...
A la sortie, les jeunes filles auprès de leurs mamans, cheminent, charmantes, suivies de jeunes gens élégants. Les galants les lorgnent et les saluent; elles entrent aux pâtissiers acheter du dessert et s’en retournent avec, au bout de leurs doigts gantés, un petit paquet blanc à ficelle rose.
Sur la terrasse des cafés, des gens, s’aspergeant, s’attardent jusqu’à deux heures de l’après-midi, à prendre des apéritifs.
A 2 heures, on dine : repas plantureux, rôti, bière, vin, gâteaux, café et pousse-café; Madame prend un petit verre de doux, Monsieur hume un cognac de St-Sauveur en fumant son cigare.
Après le dîner, que faire ? Ce ne sont pas les attractions qui manquent à Lille, en Flandre ; Promenade au bois de la Deûle, concert à l’Hippodrome, sérénade sur l’Esplanade ou au jardin Vauban, jeux de boule et tir à la perche dans les faubourgs. Les amoureux, en goguette, s’en vont dans les guinguettes de banlieue. Le temps est couvert, M. et Mme Bourgeois n’osent pas s’aventurer hors la ville, et se promènent lentement avec la smala de la gare au boulevard et du boulevard à la gare par la grande rue Nationale. — Tiens toi droite, ma fille, voici M. Oscar qui passe ! On se toise, on se coudoie, on s’accoste.
Sapristi, il pleut !
Vite, on entre au cinéma pour se mettre à l’abri ou dans une Brasserie pour voir boire des bocks . Les orchestrions et les phonographes font rage, les marchands de frites font recettes ; le pavé boueux est jonché de papier gras.
Le soir, on s’en revient mouillé au logis ; on se déshabille pour faire sécher ses beaux vêtements ; on soupe froid avec les reliefs du diner et la journée s’achève par une partie de cartes ou de dominos en famille ou un morceau de piano péniblement exécuté par la petite. La mère baille, le père, sa pipe fumée, ronfle entre les bras d’un fauteuil en attendant l’heure d’aller se coucher.
On se couche ; Zim ! Boum ! Boum ! une fanfare attardée passe et s’éloigne ; tout se tait, tout s’éteint et là-bas, dans le silence de la ville endormie, un chant d’ivrogne hullule, la nuit !
A. Capon.
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