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LE VENTRE DE LILLE ET LES FËTES DE NOEL

 

Si Gargantua revenait sur terre, au lendemain de notre Nuit de Noël, il serait, certes, très content des lillois, tant ils restent ses disciples convaincus, lors des ripailles traditionnelles du réveillon. Chez nous, en effet, en notre bonne et vieille Flandre, pays des plantureuses kermesses, et où l’on fait bombance en toutes occasions, les agapes par lesquelles, chaque année, nous fêtons le Messie sont particulièrement copieuses.

Oies, poulardes, dindons gras, dodus et farcis ; charcuteries et boudins, dont l’alléchant fumet suffit à mettre en appétit ; huîtres vertes et juteuses ; brioches sucrées, pudding aux gros raisins blonds baignant dans le rhum, galettes monstrueuses et dorées ; Graves, Chablis, Médoc, Bourgogne, Pomard, Champagne, tous nos vins de France en de vénérables flacons, sont là qui attendent les joyeux réveillonneurs, tous ceux qui, en somme, en ces heures de liesse, viennent oublier les soucis de leur vie devant une table blanche, fleurie, lumineuse et chargée de ces multiples bonnes choses.

Nos cités archaïques du Nord, les une si calmes et reposantes, les autres si laborieuses et sévères, en temps ordinaire, sont, cette nuit-là, vivantes, gaies, bruyantes, et chacun de nous, qui avons fait partie, au temps de notre jeunesse, de ces bandes tumultueuses des soirs de Noël, conserve, en un coin de sa mémoire, le souvenir ému d’un repas pantagruélique et, parfois aussi, sentimental.

Nos concitoyens connaissent donc, et pour cause, l’entrain de ces fêtes mémorables, mais ce qu’ils ne savent toujours pas, c’est à quels chiffres fantastiques s’élève le total des victuailles qu’ils ont englouties en une seule nuit.

Si Paris dévore, lors de son réveillon, tant dans les restaurants que dans les réunions familiales, 200.000 kilos de bœuf, 28.600 kilos de porc, 180.000 kilos de volaille, 21.000 kilos de gibier, 69.000 kilos de beurre, 80.000 kilos de fromage, 192.000 kilos de poissons et de coquillages, 1.560.000 œufs, 2.400.000 huîtres, nous, gens de Lille, nous ingurgitons, de même, en l’espace de quelques heures, entre minuit et 5 heures du matin, des quantités évidemment moins considérables, mais déjà très respectables.

Ainsi, pour le réveillon de cette année, il a été introduit à Lille — et ce sont les chiffres officiels de l’octroi, — 2.200 kilos de jambon, 170 faisans, 440 dindes et oies, 1600 poulets, 45 bécassines, 290 pigeons, 120 lièvres, 190 garennes, 1.260 lapins domestiques, 109 kilos de chevreuil, 90 kilos de pâté truffé, 25 kilos de pâfé de gibier, 50 kilos de truffes, 63.300 huîtres, 4.500 escargots, 1.050 kilos de gros poissons frais et 1.600 kilos de petits poissons frais. Si l’on ajoute à tout cela les réserves et la production de nos commerçants et éleveurs de Lille et de ses campagnes faubouriennes, nous arrivons à une coquette addition; les hôteliers nous ont d’ailleurs déclaré, lors de cette petite enquête, que depuis longtemps, ils n’avaient vu un réveillon aussi abondant.

La paix si chèrement acquise en est sans aucun doute le mobile qui a plû et plaît à tous...

 

Ces statistiques sont toujours intéressantes à faire au lendemain d’une grande fête, bien que beaucoup d’entre nous soient, en pareil cas, dans l’impossibilité la plus complète d’aligner des chiffres, de résoudre des problèmes ou d’échafauder des proportionnalités ; mais, à part cela, c’est néanmoins une saine satisfaction, pour qui peut le faire, que de constater cette hécatombe d’aliments variés, en considérant que leur vente a toujours été profitable à tout le monde, du moins peut-on l’espérer.

Cela nous permet, en oütre, de préciser l’évolution du goût chez nos réveillonneurs et aussi de désigner les commerçants qui n’ont pas été privilégiés. Alors que l’oie était jadis la plus réputée des volailles de fête, les dindes et dindons sont, de nos jours, de plus en plus recherches des gourmets, ainsi que les chapons de Bresse et du Mans, qui lui font aussi une concurrence triomphante.

Et ceci explique la quantité, chaque jour grandissante, chez les charcutiers et traiteurs, du stock des pâtés et confits de foie gras d’oie, qui, fait remarquable, ne trouve même pas le débouché désiré, comme hors d’œuvre ou entremêts, dans les banquets de Noël.

 

Mais des goûts et des couleurs, on n’en discute point, dit le proverbe, et les noctambules dîneurs de notre dernier réveillon se soucient guère de toutes ces considérations gastronomiques et boutiquières ; ils sont encore à se remémorer les nombreux plats fins et succulents, arrosés des meilleurs vins, que leur servirent, avec art, nos restaurateurs empressés... et comment !..

 

Albert-Jean Legrand (article publié en 1919)

 

 

 

 

 

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