ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | L'IMAGERIE POPULAIRE (1937)

 

 

 

 

Le Peuple aime les images. Son esprit est rebelle aux idées abstraites, aussi son imagination est-elle sa grande auxiliaire dans sa vie rude et simple. Quand il s'exprime, c'est alors que le Peuple emploie toutes les ressources de son imagination et qu’il déroule le film original de l'Imagerie populaire.


Les images qui naissent ainsi sont naïves comme des images d'Epinal. Elles subissent les alternatives de son travail souvent, pénible suivi de gaités bruyantes. Aussi sont-elles réalistes, gauloises, mais toujours cordiales. Elles sont par ailleurs d'une grande sonorité verbale, parfois inattendues ou fleuries comme un cantique de l'Ecclésiaste. L'étude du langage populaire est donc particulièrement attachante à cause des Images tour à tour émouvantes, tragiques, burlesques et charmantes qui l’illustrent.


Il m'a semblé intéressant de faire un choix parmi les plus pittoresques des métaphores populaires septentrionales glanées dans les surnoms de villes, les sobriquets de leurs habitants, les noms propres, les lieux-dits, les enseignes d’estaminets et d'auberges, ainsi que dans les dictons.

 

 

Au Moyen-Age, on donnait des surnoms aux villes, a l'usage du Peuple pour remémorer certains événements notoires ou des qualités spéciales à chaque localité. C'est ainsi qu’on disait : Malines la Belle. Anvers la Riche, Bruxelles la Noble. Louvain la Sage, Gand la Grande, Bruges l'Ancienne, Noyon la Sainte. Péronne la Pucelle, Chauny la Bien-aimée, Ham la Bien placée, Athie la Désolée. Ces qualificatifs sont tous issus d'une particularité. Charles-Quint disait pour marquer l'étendue de la ville de Gand qu’il mettrait Paris dans son Gand.

Notre Septentrion est par excellence le pays des sobriquets. Le sobriquet est le vêtement tantôt riche, sordide, triste ou gai dont on habilla de tous temps chez nous, les habitants d'une même contrée ou les particuliers. On disait autrefois : les friands de Noyon, les ivrognes de Péronne, les beyeurs (curieux) de Saint-Quentin, les corbeaux de La Fère. Les larrons de Vermand, les singes de Chauny, les dormeurs de Compiègne. les besaciers de Senlis, les chiens de Meulan.

 

Un poème flamand du 16° siècle nous fait connaître les particularités suivantes :
Les bourgeois de Bruges, les messieurs de Gand, les tireurs de Douai, les lanciers de Lille, les casseurs de noix d'Orchies, les batailleurs de Cassel, les dormeurs de Furnes, les buveurs de Bergues, les rapiers de Comines, les tisseurs de serges d'Hondschoote, les barbiers de Verwick, les saulniers de Gravelines, les fromagiers de Bailleul, les mangeurs de lapins de Dunkerque, etc..

 

Ces sobriquets comme on le voit ne manquaient pas de pittoresque. Ils étaient satiriques quand ils provenaient de l'animosité entre deux pays ou cités voisines. Bon nombre de ces sobriquets sont oubliés aujourd'hui à cause des changements politiques survenus dans les localités sus-désignées. Certains habitants de nos contrées sont encore appelés Boyaux-rouges en souvenir de la domination des Ducs de Bourgogne qui portaient une ceinture rouge. De nos jours les habitants de certaines portent encore des sobriquets comme !es Broutteux de Tourcoing, ainsi qualifiés jadis par le Lillois Brûle-Maison, à cause de leur véhicule de prédilection qui était alors la brouette. Beaucoup de nos villes du Nord ont conservé des surnoms qu’il serait trop long à énumérer.

 

A cette catégorie de l'Imagerie Populaire, j'ajouterai les sobriquets de personnes dont sont encore affubles aujourd’hui nos braves ruraux. La verve et la malignité publiques s'en donnant à cœur joie pour stigmatiser les vices, charger les tares et les travers des villageois et citadins septentrionaux. On rencontre encore couramment dans le Nord : un timbré, un minteux, un cachiveux, un chiffloteux, des panchus et pisse-vinaigre, un médecin des glaires, un camoussé, pour ne citer que ceux dont le pittoresque ne brave pas la bienséance.
Les femmes n'ont rien à envier à leurs partenaires masculins puisqu'on rencontre fréquemment des Nini l' teigneuse, des Catherine du p'tit mononque, des Marie sans broque, des Grande ma cousine, etc..

 

Parmi les noms propres, il est intéressant de remarquer qu'ils dérivent d’anciens sobriquets. Ils donnent une indication très précise de l'esprit moyenâgeux. Je n'en citerai que quelques-uns extraits d'un obituaire de l'époque : Pierre Trente Livres, Marguerite Ploie Plié, Froit Hostel, Haut de Cuer, Baudouin Croi en Dieu, Matilde Passe-en-Tarte,. Gérard Graindor, Mathieu Mousket, Brizefer. Malebouke, Les Pourchiaux , Marie Paukète et Jakete Li Briseresse.

 

Au cours d'une randonnée en automobile, des plaques indicatrices vous révéleront des lieux-dits, tels que la Maison-Rouge, la Maison-Bleue, le Purson, l’Opéra, l’Homme-pendu, la Femme sans tête, la Belle-femme, la Belle-vue. la Belle-Hôtesse, le Vert-Baudet, le Beau Bouquet, le Pont-à-Vaches, le Passe-tout-outre, le Risquons-Tout, le Mont-a-Leux.
Par ces temps de tourisme populaire, l'étude des enseignes d'estaminets et d'auberges vous indiquera les appellations imagées, poétiques et classiques, comme : La Cloche d'Or, le Cygne, l’Ecu de France, Aux Armes de Lille, l’Image de Saint-Jean, la Couronne, le Grand Cerf, ou modernes, comme l’Hôtel-Terminus, du Commerce, des Voyageurs, des Touristes, de la Gare.

 

L'Imagerie Populaire s'exerce aussi : dans les expressions et dictons usités dans le langage quotidien pour stigmatiser tel ou tel défaut. On dit d'un ivrogne Saoul comme la bourrique à Robespierre, en souvenir du général révolutionnaire Henriot, créature de l'Incorruptible, qui aimait un peu trop la dive bouteille. Les proverbes et dictions furent de longue date en grand honneur dans le Populaire. Jadis, dans la comédie "Les Femmes Savantes", de notre grand Molière, la servante Martine encourait delà les foudres de sa maitresse Philaminthe, un bas-bleu, quand elle s'exprimait à l'aide de proverbes trainés dans les ruisseaux des halles, tels que :
Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage.
Et service d'autrui n'est pas un héritage.

 

Je terminerai ce film populaire par l’ expression patoise "Grand dépindu d’andoulles", usitée chez nous pour qualifier plaisamment un grand escogriffe de village, qui pourrait atteindre sans l’aide d'une chaise, les andouilles qu'on suspend pour les faire sécher aux plafonds campagnards.

 

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Note : cet article publié en 1937 dans la presse régionale permet de retrouver des expressions et un peu de patrimoine du Nord de la France. L'imagerie populaire correspond à "un même style" et "un même genre"...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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