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Créée en 1895 , La Société Lilloise de la Glace Pure, produit chaque jour près de 72.000 kilos de glace.

 

Il est des reportages d'actualité comme de ces sujets qu’on ne peut évoquer qu’en des occasions bien précises. Ce préambule prend la valeur d’une excuse anticipée du journaliste qui se propose d’entretenir ses lecteurs de la... glace, de sa fabrication et de ses applications, de ces morceaux tintinnabulants que les personnes à l’oreille musicale aiment choquer contre les parois de leur verre ou qui, et c’est là son emploi le plus large (97 à 98 % de la production) assurent, plus prosaïquement, la conservation des aliments. Cependant, malgré la rigueur d’un été qui vient bouleverser ces conceptions quelque peu prématurées, c’est dans le plus complet repos de la conscience que nous allons aborder le sujet. Qu’Il pleuve ou qu’il vente — deux phénomènes sur lesquels juillet n’a mis aucun embargo — qu’il fasse chaud à mettre le moindre liquide en ébullition, la glace conserve son sang-froid tant il est vrai qu’elle est devenue un des éléments essentiels de l’existence quotidienne corrigée par les canons du confort moderne. Les saisons varient, la glace reste.

 

Une grande marge sépare l’eau de la glace

 

C’est dans cet esprit que nous avons visité les établissements de la Société anonyme lilloise de la glace pure dont le directeur, M. Cantineau, a bien voulu nous servir de guide dans une prise de contacts qui ressemblait assez à une exploration dans le Grand Nord et nous dispenser les aspects techniques d’une fabrication fort peu commune Pour les non-initiés, confrérie dont nous fûmes, cette fabrication ne suggère au premier abord aucune complication, étant donné la composition simple du produit. De l’eau, du froid, mélanger le tout dans des proportions convenables et le bloc de glace est servi frais à la sortie. Seulement, cette option de l'esprit ne résiste guère aux premiers pas d'un long cheminement qui nous a mené à travers les différentes phases d’une élaboration au caractère scientifique affirmé. Le problème n'est pas neuf. Dès 1857, Fernand Carré créait la machine à absorption basée sur l’évaporation de l'éther sulfurique mais les dangers d’inflammabilité de cette substance vouèrent ce procédé à une fin prématurée. En 1863, Charles Tellier substitua le chlorure de méthyle à l’éther qui fut finalement remplacé par l’ammoniaque anhydre La première installation, aux mesures vraiment industrielles, fut érigée à Paris, Quai de Grenelle, en 1881.

 

De quelques appareils...

 

A Lille, la première fabrique de glace artificielle fut installée en 1895, par la Société dont nous avons parlé tout à l'heure, et dont le siège se trouve toujours au 34, rue de Brigode, près de la place du Général-Leclerc. De 12.000 kilos de glace par vingt-quatre heures à l'origine, la capacité de production de cette usine fut portée à 36.000 kilos l'année! suivante et atteint actuellement 72.000 kilos. Cette société a, en outre créé une fabrique à Douai ((30.000 kilos) et à Lens (48.000 kilos). Elle possède dans ces trois villes des entrepôts frigorifiques et des magasins généraux qui abritent toutes les denrées périssables possibles et imaginables. Nous aurons d’ailleurs l’occasion d'étudier plus longuement cette question.

Ces explications liminaires une fois fournies, pénétrons dans le cœur du sujet, c'est-à-dire dans le cycle de la fabrication proprement dite. Mais auparavant, pour l’édification du lecteur et aussi pour sa documentation, précisons les lignes générales ou plutôt les divers compartiments d'une telle installation Outre les machines motrices qui assurent la marche de tous les appareils, citons les machines génératrices de froid, les compresseurs d'ammoniaque en d'autres termes, les condenseurs qui réduisent ce dernier gaz à l'état liquide les bacs congélateurs contenant les "mouleaux" dans lesquels l'eau pure se transforme en glace les appareils annexes aux fonctions les plus diverses ; les chambres de garde où les blocs de glace sont emmagasinés sous une température de 3 à 4° sous zéro, et enfin le matériel roulant qui assure la livraison à domicile.

 

L’ammoniaque, élément de première grandeur

 

Il est trois sortes de glace. La glace à l'eau pure, destinée essentieilement aux glacières et aux diverses installations de froid. La glace à l'eau distillée requise pour la consommation parce que transparente, une grande partie de l’air ayant été éliminée, et enfin la glace carbonique.

Suivons maintenant le processus. Le compresseur, comme son nom l’indique, comprime l’ammoniaque gazeuse à une pression qui en élève la température jusqu’à 80 et même 100°. Ce gaz est ensuite refoulé dans des appareils nommés condenseurs, de types fort variables. Dans cette usine, ce sont de grands cylindres verticaux en tôle d'acier de 10 m/m. d'épaisseur, de 80 centimètres de diamètre et de cinq mètres de hauteur. Dans ces cylindres courent des tubes d’acier où ruisselle dans un mouvement giratoire l’eau de refroidissement. Dans l'espace situé entre les tubes circule le gaz ammoniaque. Soumis à cette brusque opposition — l'eau a une température de 12 à 13° au-dessus de zéro — ce dernier se liquéfie.

Détendue sous forme de gaz très humide, l’ammoniaque vient alimenter un sécheur, réservoir isolé extérieurement par vingt centimètres de liège recouverts d'un lissage en ciment pour éviter toute déperdition de froid.

L'amoniaque liquide qui descend du sécheur par simple gravité, circule dans un réseau de tubes qui développe plusieurs kilomètres de largeur (ceci est proportionnel à la puissance de l'installation ). logé dans le bac congélateur et disposé soit latéralement soit horizontalement sous un faux-fond.

 

L’action directe de la saumure

 

Le bac congélateur peut être représenté comme un réservoir aux vastes dimensions : 20 à 30 mètres de longueur 4 à 6 mètres de largeur et de 1.20 à 1.90 mètre de hauteur, rempli d'un liquide qui résiste à toute action du froid supérieur à 10 ou 12° sous zéro : la saumure. C’est un mélange d'eau et de chlorure de calcium qui, refroidi à 5 ou 6° sous zéro par simule contact avec les tuyaux d'ammoniaque, est propulsé par des hélices entre les mouleaux contenant l'eau à congeler.

Les vapeurs humides d'ammoniaque retournent au sécheur qui dissocie les gouttelettes du gaz, puis aux compresseurs et le circuit recommence inlassablement. Il convient de remarquer que le bac congélateur, les chambres de garde et les tuyauteries se trouvant sous une température inférieure à zéro ont leurs parois tapissées d'un revêtement isolant.

Les mouleaux, groupés en séries dont les dimensions sont déterminées par la largeur du bac. sont fixés à des châssis se déplaçant sur rails grâce à un dispositif mécanique. Le type le plus courant peut contenir de 27 à 28 kilos d'eau de manière que le bloc proposé à la livraison pèse au moins 25 kilos. C'est un parallélépipède de 20 centimètres de largeur, de 14 centimètres d'épaisseur et de 1 mètre de longueur environ.

 

Ne vous enfumez pas dans les chambres de garde

 

L'eau ayant été transformée en glace, les mouleaux sont plongés dans un bac où circule de l’eau courante de 32 à 33° au-dessus de zéro. Cette opération provoque la fonte d'une pellicule superficielle du bloc qui en facilite le décollement. Ils sont ensuite présentés par pont roulant sur un basculeur qui s'incline doucement et les blocs glissent sur la table de démoulage. Manipulés par des ouvriers qui s’enveloppent les avant-bras dans des manchettes de caoutchouc, ils sont disposés dans les chambres de réserve chaque couche étant séparée par des lattes en bois. Il s’agit là d'une précaution indispensable Les blocs superposés auraient tôt fait de se souder en une masse compacte qu'il faudrait entamer à la pioche ou au marteau-piqueur !

Toute cette manipulation exige également certaines attentions, des ouvriers. Malgré la douceur de la température extérieure, ceux qui travaillent dans les chambres de garde sont chaudement vêtus. Tout juste si l’on ne s'étonne pas de voir quelques glaçons accrochés à leur barbe; quand on y pénètre et que le froid qui imprègne toute l'atmosphère s'insinue sournoisement à travers les vêtements. C'est une impression fort curieuse mais qu'il convient de ne pas prolonger trop longtemps !

 

Quelques mises au point

 

Le duel glace-frigidaire n’en est encore qu'aux escarmouches d’un combat qui s'annonce farouche. Il convient cependant de dissiper quelques erreurs qui ont valu à la glace une certaine prévention jusqu'à ce que la double expérience de l'un ou l’autre des procédés ne vienne rétablir l’exactitude des avantages et des inconvénients.

La glace est constituée d’eau solidifiée mais qui a perdu, au cours de sa congélation, une grande partie des molécules d'air d'origine. Disposée dans une glacière bien conditionnée, elle se couvre d’une mince pellicule d’eau en refroidissant l’air ambiant et en fondant. Cette eau , pour retrouver son équilibre naturel, est d’autant plus avide de gaz qu'elle a perdu d'air pendant sa congélation. Elle absorbe donc une grande partie des gaz et des odeurs émises par les denrées périssables contenues dans la glacière et fixe les microbes aérobies que l’air contient. Ces déchets sont automatiquement emmenés à l'égout avec l'eau de fusion et la place présente à l'air en circulation une surface toujours propre et renouvelée. La glace conserve aux aliments toutes leurs qualités gustatives

D'autre part, on reproche à la glace d'humidifier les denrées qu'elle est censée conserver Or, il existe un principe de physique bien connu et selon lequel l'air ne peut contenir plus d'humidité que ne lui permet sa température. Or, en passant du bac à glace au compartiment à vivres, l'air s'échauffe et absorbe l'excès d'humidité des denrées qu'il environne. A condition que la glacière soit toujours alimentée en glace aux trois quarts ou aux trois cinquièmes de son chargement initial, la température et la proportion d’humidité resteront toujours fixes.

 

Soleil contre glace

 

Il ne nous appartient pas de prendre position en cette matière. Constatons toutefois que le prix d'une glacière et celui de la glace sont autant d’avantages dont on ne peut contester l’évidence.

A qui s'adresse cette production ? A un certain nombre de commerçants, poissonniers, crémiers, bouchers, débitants de boissons, restaurateurs, et à des particuliers, clients occasionnels ou réguliers. Elle subit évidement d'assez larges fluctuations. Cette industrie est essentiellement saisonnière puisqu'en hiver la production n est plus que le dixième des "pointes" d'été. A condition que celui-ci ne soit pas à limage de celui que nous connaissons actuellement.

De tous les éléments de fabrication que nous avons énumérés, l'eau enlève sur le plan quantitatif, la première place. Pour produire un kilo de glace, il faut entre 20 et 24 litres d'eau pour combattre les effets de chaleur de l'ammoniaque. Pour une production journalière de 72.000 kilos, il suffit d'une simple multiplication...

 

article publié en juillet 1954

 

 

 

à gauche : Dans les chambres de garde, les blocs de glace sont entreposés pour constituer une "réserve". Remarquez les lattes de bois qui écartent le risque de voir les blocs se souder en une masse compacte.

à droite : Les mains et les avant-bras enveloppés dans des manchettes de caoutchouc, un des blocs de glace hors des mouleaux.

 

 

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