Il s'agit d'une sorte de vagabond, musicien ambulant qui a connu toute petite Rosette, la jeune fille de la fermière, et qui revient au pays. La scène se passe en Wallonie (Belgique francophone).



Lui jouant, elle sautillant, ils entrèrent à la ferme. On y fit fête à Mihien d'Avène et pour célébrer son retour, la censière et Rosette parlèrent de cuire des gaufres.
Sous le manteau de la cheminée, auprès d'un feu qui bourdonnait, tandis que par la fenêtre garnie d'épais barreaux de fer, on voyait la neige blanche, sillonnée d'ombres bleues, couvrir la campagne jusqu'aux brumes violettes de l'horizon, le pauvre hère savourait un doux bien-être. Après le froid de la route, cette chaleur qui s'insinuait dans tous ses membres le plongeait dans une torpeur pleine de béatitude.
Devant lui, Rosette cassait au-dessus d'un grand saladier les œufs aux jaunes d'or, qu'elle battait avec des fourchettes. Puis, la fine fleur de farine y était ajoutée; un nuage subtil la voilait un instant et ses cheveux en conservaient une légère poudre blanche. Ensuite elle versait le beurre fondu couleur d'ambre,  et plongeait ses bras nus dans la pâte liquide pour opérer le mélange. Ses doigts menus écrasaient les grumeaux, tandis que la crème en dégoulinait, épaisse et onctueuse. Le parfum du café s'essorait dans la salle, sous les voûtes, où des gros anneaux, scellés dans la pierre, tenaient les jambons suspendus, les quartiers de lard et les saucisson d'Ardenne. Le long du mur, à l'archelle de chêne noir, les casseroles de cuivre rouge, aux panses reluisantes, accrochaient de temps en temps un furtif rayon.
Et le chien, qui jappait d'allégresse, venait se dresser contre Mihien pour réclamer une marque d'amitié, tandis que le chat, pelotonné sur ses genoux ronronnait d'aise sous la caresse lente de sa main. Au dehors, on retirait des étables le fumier d'or patiné d'où s'élevait une épaisse buée, et jusqu'au grand tas qui occupait le centre de la cour, il laissait dans la neige une large voie brunâtre. Quelques poules se précipitaient pour en prendre possession.
Mihien était heureux. Au souvenir des heures grelottantes passées dans le bois, sous la pluie implacable, il faisait le gros dos sur sa chaise et regardait Rosette qui chauffait le fer à gaufres et le frottait avec un morceau de couenne. Quand elle le soulevait pour faire couler dans tous les creux la graisse crépitante, son visage s'éclairait des brusques lueurs du feu, ses yeux brillaient comme des escarbilles, et la chair de ses bras, nus jusqu'auprès des épaules semblait toute dorée.

Maurice Des Ombiaux - Sambre et Meuse