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L'estaminet peut se définir comme un "Petit café populaire" où on peut fumer ! Bien sûr, de nos jours il y l'interdiction de fumer et le terme estaminet est un peu moins péjoratif. La principale boisson servie est la bière et on y vend aussi du tabac. De nos jours, il en reste peu qui ont gardé l'esprit traditionnel. De nombreux petits restaurants ont repris l'appellation "estaminet" pour attirer une clientèle qui aime se retrouver parmi quelques poutres de bois, quelques briques et entourés de vieux objets.

 

En 1936, dans son roman "Journal d'un curé de campagne", Georges Bernanos définissait l'estaminet comme "une affreuse baraque de planches où l'on débitait du genièvre aux mineurs trop pauvres pour aller ailleurs, dans un vrai café."

 

Ci-dessous, vous trouverez un article de presse de Marc Choquet publié en 1937.

 

L'estaminet est d'origine flamande : c'est le lieu favori où nos braves ruraux viennent vider des chopes de bière et fumer d'innombrables pipes et cigarettes. Ce lieu qualifié, par ailleurs, de cabaret, bistro, mastroquet et autres noms images et sonores, se nomme chez nous: l'estaminet. On dit en flamand Stameny. C'est par corruption qu'on prononça estaminet, comme d'aucuns disent une Brégie (pour la Régie) ou une estatue (pour statue).

 

Certains admettent que estaminet vient de "stam" qui, en Flandre, signifie famille et par extension lieu où l'on se réunissait en famille, vraisemblablement entre amis, au domicile de l'un d'eux. Il apparaît que ces sortes de réunions familiales ayant dégénéré en beuveries connurent l'hostilité des mères de famille. C'est alors que les hommes du Nord, grands buveurs de bière et fumeurs impénitents, résolurent de se rassembler dans un endroit neutre ; à l'abri de l'emprise conjugale, où ils pourraient continuer de boire de la bière tout leur saoul, fumer à loisir, deviser sans contrainte en jouant aux cartes, aux dés ou tout autre jeu à leur convenance. Ainsi naquit l'estaminet.

 

 

 

 

 

Nos pères furent de tous temps sensibles aux plaisirs de la table et de l'estaminet. Ce penchant attesté par les médailles, les tableaux des maîtres de l'école flamande, les livres et autres documents nous est parvenu par l'usage et la tradition. La sévérité des ordonnances de Charles-Quint ne laisse aucun doute à ce sujet. Marguerite de Bourgogne, douairière de Hainaut, dont le testament original est encore existant au Quesnoy, confirme le penchant à l'ivrognerie qui sévissait à cette époque. Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, laissa dans nos contrées en même temps qu'une réputation de puissance et de somptuosité celle de premier banqueteur et franc-buveur de son royaume. C'est sous le signe de Gambrinus, roi de la Bière, que se placent bon nombre de nos estaminets. La bière, cette boisson qui règne à Lille et dans le Nord, parait avoir été inventée à Péluse. ville d'Egypte, située sur le Nil. Pelusiacum comme dit Columelle. Les Gaulois en consommaient sous l'empereur Julien. Elle était connue en Flandre du temps de Strabon. Cette boisson fut appelée cervoise par les Français qui la reçurent des Gaulois. Tous les peuplés en ont usé depuis lors et notamment dans notre Septentrion, où elle est en honneur dans les estaminets.

 

Il y a une sorte de hiérarchie dans les débits de boissons, puisque le "Café" semble plus pompeux aux imaginations populaires qui lui préfèrent l'estaminet. C'est dans les campagnes, les petites villes et dans les quartiers populeux des grandes cités que fleurit l'estaminet.

 

Il en est de charmants et poétiques dans nos campagnes septentrionales. Il en est d'anciens, au bord des chemins solitaires, aux grandes salles basses, avec de longues tables garnies de bancs, aux tapisseries naïves, où une hôtesse au chef branlant, va quérir à la cave de la bière au tonneau, dans un pot de grès, et met une demi-heure pour vous servir, cependant que par distraction vous examinez les vieux chromos accrochés sur les murs, ou un paysage rustique qu'on découvre dans l'encadre ment d'une fenêtre à guillotine. Il est d'autres estaminets coiffés de tulles rouges, qui ont l'air de sourire au bord de la route. Vous y trouverez une Jeune fille accueillante et jolie, cousant sur une mignonne table, près du comptoir. Si vous êtes un tantinet désabusé par la vie, cette belle enfant à l'air honnête, vous donnera le désir fugitif, de passer près d'elle, une vie tranquille et sans heurts, à l'ombre du verrier à la tapisserie bleue étoilée d'or.
Mais il en est des estaminets comme des visages, lis varient à l'Infini. Voici ceux des villes, dans les quartiers populeux, au comptoir de zinc à peine grand comme un tablier où les ouvriers s'accoudent, après le travail, pour boire un genièvre ou une chope. Vous y rencontrerez un patron haut en couleur, qui vous proposera un 421. C'est d'ailleurs un costaud qui n'a pas son pareil pour vider un client récalcitrant. Il se peut également que vous vous trouviez en face d'une cabaretière au corsage tentateur, au minois aguichant, qui a une attention particulière pour chaque client, pour donner l'impression à chacun qu'il est le plus favorisé.

 

S'il est des estaminets borgnes aux fenêtres munies de rideaux de couleurs vives, où nous ne pénétrerons pas de peur de braver la bienséance, il en est enfin d'imposants et vastes où vous passerez inaperçu pour la patronne enrubannée, irisée, maquillée, se polissant les ongles avec attention et qui distribue avec parcimonie ses sourires aux clients de marque. L'estaminet est le poste d'écoute admirable et une salle de spectacles, aux cent actes divers, où l’on entend battre le cœur du populaire. Devant la canette, la chope, le genièvre ou l'apéro : employé, petit bourgeois et rentier, ouvriers et travailleurs de tous crins donnent libre cours à leur esprit. On peut y faire des études de mœurs à peu de frais. Vous y rencontrez l'ivrogne qui boit en compagnie ou en "suisse" pour le seul plaisir d'ingurgiter. A côté du gros père qui savoure son demi béatement, en lisant son Journal. Il y a le monsieur bien informé, qui sait tout, se mêle de toutes les conversations, autrement dit le "raseur verbeux". Il y a également le médisant qui, à voix basse, avec des sourires discrets embellit et développe les potins et scandales. Il existe un autre type d'Individu qui affecte un parti-pris de muflerie et de mutisme : c'est le "grand homme" de l'endroit . Mais il y a surtout le politicien-orateur d'estaminet. Avec lui pas de doute, on connaît tous les ragots et secrets de la politique. Il sait des moyens infaillibles pour restaurer les Finances, grand stratège en chambre, ils aspire à la dictature et vous dit d'un air convaincu : "Ah ! si j'étais ministre !"

 

Ne soyons pas trop sévères pour l'estaminet, quand les travailleurs et les hommes aux mains noires s'y délassent honnêtement, en vidant la chope démocratique, pour oublier quelques instants, dans une détente salutaire, leurs soucis quotidiens.

 

publication de 1937

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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