ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | LE LABEUR OBSTINÉ DES PAYSANS

 

 

 

 

C'était seulement dans les champs qu'on travaillait vraiment.
Pendant des mois les paysans avaient hésité, comme le cheval qui s'enracine, à l'entrée de la pièce, et ne se décide pas à tirer sur le collier, puis ils s'étaient mis en route et maintenant, are par are, ils reprenaient leur terre; rien ne les arrêtait plus.
Dès le premier été de la paix, ils avaient moissonné. En arrière des lignes, la luzerne et le sainfoin, laissés sur pied depuis la guerre, s'étaient ressemés; dans les clairières, où les muletiers du train de combat attachaient leurs bêtes, l'avoine avait poussé, et ils avaient tout coupé, à la faucille. On manquait de chevaux, le district refusait ses voitures, tant pis : on avait ramené les bottes comme on avait pu, à dos d'homme, et c'était avec du fourrage de zone rouge qu'on avait rempli les mangeoires du bétail allemand.
Maintenant que les labours étaient venus, on travaillait partout. C'était la dernière offensive et l'on eût dit que, désertes, les tranchées se défendaient encore. Pour chacune, c'était une attaque nouvelle. Le barbelé déchirait les mains, des sapes s'effondraient sous le poids des chevaux et, à tout instant, éclataient des grenades, ou ces invisibles "crayons" (1) dont le sol était criblé.
A peine le réseau cisaillé, sitôt les trous d'obus comblés, on labourait la pièce jusqu'à l'autre tranchée et, au bout du sillon, l'attelage soufflait dans les barbelés roux.
Les cultivateurs allaient plus vite à faire passer la herse, la canadienne (2) et le semoir, que les reboucheurs du district à remplir les tranchées. Ceux-ci, payés à la journée, pelletaient mollement et parfois, après le déjeuner, on les voyait danse au son de l'accordéon. Les prisonniers allemands travaillaient de leur côté, et les Chinois, sans se presser, roulaient le fil de fer en balles.
La tâche, malgré tout, s'accomplissait quand même el zone rouge reculait lentement ses frontières. Les batteries de tracteurs du Service de motoculture défrichaient, hersaient, labouraient sans relâche, et arrachaient du sol le barbelé qui s'était enfoncé comme une mauvaise herbe.
De toutes les terres que Jacques parcourait, c'était à Maronval qu'il voyait travailler le plus. Chaque fois qu'il remontait sur le plateau il trouvait un autre champ remis en culture, et cela faisait de belles taches brunes, dans ce désert caillouteux.

R. Dorgelès - Le réveil des morts  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | LE LABEUR OBSTINÉ DES PAYSANS

 

 

bachybouzouk.free.fr