ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | L'INDUSTRIE DES TULLES ET DENTELLES MENACEE (1938)

 

 

 

 

 

Il s'agit d'un article publié dan un quotidien régional en 1938

 

Peu de temps avant la séparation des Chambres, M. Becquart. Député de Lille, déposa un rapport, fait au nom de la Commission du Commerce et de l'industrie, chargée d'examiner la proposition de résolution de M. Quinet, député de Béthune, tendant à inviter le Gouvernement â prendre toutes mesures utiles pour sauver de la ruine l’ industrie des tulles et dentelles mécaniques et préserver les métiers de la destruction. Le départ précipité du Parlement n'a pas permis d'adopter ladite proposition, mais l'urgence du problème à résoudre préoccupe les Pouvoirs publics, car il s'agit là d'une industrie qui demeure une de celles qui sont les plus atteintes par la crise. Les précisions données à ce sujet par MM Quinet et Becquart sont d’une éloquence n'ayant nullement besoin de commentaires.


Une industrie menacée
Pour se rendre compte de l'acuité de la crise qui sévit sur l'industrie des tulles et des dentelles mécaniques, il suffit de lire les statistiques publiées par les municipalités, les chambres de commerce et les chambres syndicales de Calais et de Caudry. A Calais, pour une population de 67 568 habitants, on compte environ 3.500 chômeurs. Si l'on tient compte que l’ensemble de ces chômeurs a à sa charge près de 4.500 personnes, et qu'il convient d'y ajouter un millier de familles d’artisans et de petits patrons sans travail non-inscrits au fonds de chômage, on voit qu’ on peut évaluer approximativement à 16 % de la population ceux que touche directement le marasme de l'industrie locale.

Il en résulte que les finances municipales sont de plus en plus obérées. Depuis huit ans, la Municipalité a dû emprunter près de 15 millions, ce qui représente une charge budgétaire annuelle de près de deux millions. On s’explique alors facilement pourquoi la population, désœuvrée et écrasée d'impôts, s'en va ailleurs, et est tombée de 70.200 en 1931 à 67.500 habitants en 1936. C'est que l'industrie calaisienne de la dentelle mécanique, qui faisait en 1928-1930 un chiffre d'affaires de 400 millions, dont 350 pour l'exportation, n'exporte plus aujourd'hui que pour 65 millions. Sur 400 fabricants, 250 ont virtuellement disparu.
La situation n'est pas plus brillante à Caudry. Le chiffre d'affaires du centre de Caudry qui était en 1930 de 350 millions, est descendu en 1935 à 20 millions. Il s'est relevé, en 1937, à 150 millions, mais ce relèvement est dû en grande partie à la hausse des prix de vente consécutive à la dévaluation et aux nouvelles charges venues grever les prix de revient. Sur 13.000 habitants, on compte 4.000 ouvriers, dont 1.300 en chômage complet, les autres étant en chômage partiel. Sur 800 métiers, 450 sont arrêtés. Le montant des salaires payés est tombé de 50 millions en 1930, à 20 millions en 1937.

 

Les causes de la crise
Une des principales causes de la crise de l'Industrie des tulles et dentelles vient de la fermeture à ses produits marchés étrangers ou elle écoulait de 80 à 90 % de sa production. Cette fermeture est elle-même la conséquence de la cherté relative de nos prix due, de 1931 à 1938, à la dévaluation de la livre et du dollar, puis, à partir de notre alignement monétaire de septembre 1936 , et malgré les dévaluations qui ont suivi, aux charges nouvelles venues accroître les prix de revient. Voici une comparaison concluante : le salaire moyen d'un ouvrier tullier en France étant de 500 francs par semaine, les charges représentent 53 francs par semaine et par ouvrier, c’est-à-dire le quadruple de ce qu'elles sont en Angleterre. Ces différentes charges sont si lourdes pour les industriels français que certains d’entre eux, ayant pu enlever des commandes par des bas prix, ont préféré, plutôt que de remettre leurs métiers en marche, les faire exécuter à façon par des artisans propriétaires de leur métier et travaillant chez eux ; ceux-ci n’ayant à supporter aucune charge et libres de travailler comme il leur plaît, peuvent se contenter d'une moindre rémunération au mètre, qui permet à l'industriel de vaincre la concurrence, ce qu'il ne pouvait faire en travaillant dans son usine. Enfin, l'industrialisation progressive de pays étrangers, précédemment nos clients, tels que le Brésil, l'Argentine, la Tchécoslovaquie, accentue encore la concurrence et rend plus nécessaire l’abaissement de nos prix de revient.

 

Les remèdes à trouver
Lorsque le mal est connu. Il reste à trouver les remèdes. En ce qui concerne notre industrie tullière et dentellière, ces remèdes sont nombreux. Il en est un qui parait efficace : l’aménagement des traités commerciaux et des contingentements, dans l'élaboration desquels il n’ est pas douteux que l'industrie des tulles a été longtemps négligée. A Calais, notamment, l'application du traité de commerce franco-américain a réduit d'un seul coup de 41% le nombre des chômeurs dans la seule industrie dentellière. En outre, il a un gros effort à faire du côté de nos colonies et pays de protectorat qui emploient beaucoup de tulle, mais en achètent à l'étranger la plus grosse partie. Il est triste de constater que l'Allemagne est, en tulle et en dentelle, le plus gros fournisseur du Maroc français. Il existe encore d'autres remèdes : création de caisses de compensation qui ristourneraient aux exportateurs la totalité des droits de douane perçus sur toutes les entrées de matières premières ; crédit facilité par l'Etat : accorder la reconduction des prêts octroyés aux exportateurs ; accélérer et favoriser les opérations des offices de compensation : enfin et surtout, desserrer l'étreinte fiscale. En résumé, l'industrie française des tulles et dentelles mécaniques, bien que très menacée, peut et doit vivre. Comme les autres industries exportatrices, elle sait qu'il lui faut d'abord et surtout compter sur elle-même, et n’ entend pas se reposer uniquement sur l’Etat du soin de la sauver. Elle ne demande aux pouvoirs publics que de lui rendre sa liberté, en ne l'écrasant pas sous les charges fiscales ou autres, en ne la paralysant pas par une réglementation trop rigide, et en ne l'enfermant pas dans un réseau d'accords commerciaux ruineux pour elle. Exiger tout cela en n'est nullement réclamer des faveurs, des privilèges ou des passe-droits ; c'est demander purement et simplement le droit de vivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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