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A l'occasion du carnaval une jeune femme, Marie, fait des crêpes. Son mari suit attentivement la préparation de ce mets délicat.

...
La lampe allumée, Marie, commence sa besogne. Pour que ce soit fête entièrement, elle a rangé sa cuisine, ondulé ses cheveux, mis sa belle jupe.
...
Voici le beau lait que l'on verse, tout blanc, dans la terrine; voici la farine que l'on délaie; la cannelle que l'on dose, "juste assez", le sucre, "beaucoup".
- Parce que tu l'aimes.
Par moments, elle avale sa salive, tant ce qu'elle prépare sera bon.
- Il ne s'agit pas, dit Marie, de mêler au hasard et de croire qu'on aura des crêpes : il faut des soins.
- Oui, Marie, beaucoup de soins.
Heureuse d'être comprise, Marie continue à tourner dans sa pâte. C'est doux, c'est blanc, moelleux à l'oeil; cela fait : "cloc, cloc".
...
Marmiton docile, j'attends les ordres :
- Vite le sel.
Je passe le sel.
- Encore du sucre.
Pour rien au monde, je ne passerais le poivre quand elle réclame du safran.
- Et maintenant, dit Marie, goûte.
La langue dehors, je reçois un peu de cette crème.
- Délicieuse, Marie.
- Oui, mais es-tu sûr ? Ne manque-t-il rien ?
Une seconde fois, je pousse la langue, les yeux fermés pour juger mieux.
- Non, Marie, elle est parfaite. Et même, si tu veux, nous pourrions la manger tout de suite...
- Ne blague pas, fait Marie, tu sais bien, il faut d'abord qu'elle lève.
Respectueusement, nous transportons la pâte, sur une chaise, près du feu, où elle vient tout à coup un important personnage. On la recouvre d'un linge. Elle a besoin de chaleur et de calme. Elle accepte de se gonfler, de remplir à elle seule la terrine, mais qu'on n'y touche pas, ou boudeuse, elle s'affalerait et ne recommencerait plus.
- Ici, Spitz*, ici.
Il faut que je retienne mon invité qui voudrait savoir, de trop près, ce qui se passe dans ce plat. Marie seule a le droit. Religieusement, elle le découvre :
- Ça recommence.
Un peu plus tard :
- Ça monte.
Bientôt, sans qu'elle l'annonce, ça déborde. C'est alors qu'il devient amusant de faire des crêpes ! Versée dans la poêle, "Petch !", siffle la pâte, furieuse d'avoir si chaud. Elle n'a pas assez de bouches pour souffler sa colère, et par tout le corps, s'en ouvre de nouvelles, chacune avec son juron de vapeur. Mais, bientôt, elle se calme et se résigne à durcir. Elle ne blasphème plus, elle rissole. Devenue croustillante, on peut la chipoter, lui arracher un morceau de ventre, la jeter en l'air, la rattraper comme une balle : elle est crêpe.
La première a raté.
- Attrape Spitz.
- Hap, engloutit Spitz, dont la gueule est blindée contre les brûlures.
La seconde, nous la mangeons pour savoir, les autres, que nous mangerons plus tard quand elles y seront toutes, je dois répartir sur plusieurs assiettes.
- Afin qu'en se refroidissant, elles ne se ramollissent pas.
Car Marie pense à tout.
Animée, les yeux rouges, elle s'amuse en plein coup de feu. Si je lui affirmais que ce matin elle était triste, elle me dirait : "Tu te trompes." Son poêlon bien brûlant, elle n'a que le temps de le graisser, d'y verser la pâte, de la détacher, de l'envoyer "Hep" en l'air puis "encore une" toute chaude sur la pile.
Une belle fumée bleue remplit notre cuisine et file, sur la porte, raconter à ceux qui ne le sauraient pas, que l'on fait des crêpes chez nous.

André Baillon - En sabots.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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