ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | LES COULONNEUX

 

 

 

 

 

 

Le 25 mai, jour de Broquelet, qui est à Lille la fête du fil, Julien Browaeys lâcha ses pigeons qui lui coûtaient beaucoup d'argent, jusqu'à deux cents francs pièce. Il enviait les riches coulonneux qui pouvaient en acheter de deux mille francs. La fortune de M. Depireux semblait à Julien Browaeys mal employée car le patron n'entretenait pas de pigeons, alors qu'il aurait pu acheter des Liégeois, des Anversois, des Irlandais, capables de voler de Saint-Sébastien à Lille.
Julien Browaeys était de ces flamands qui, tous les dimanches, regardent en l'air, guettant le retour des oiseaux de course. Il tenait les siens dans un jardin loué au quartier de Sainte-Agnès. Entre les maisons de Fives et les voies de chemin de fer, la bordure des fortifications, soumise à l'interdiction de bâtir en dur, ne portait que de la verdure et des cabanes. Les sentiers de scories, minces et noires entre les palissades, conduisaient à de minimes terrains où les familles vivaient dans des nids de planches et de chiffons. Browaeys s'assit hors de l'ombre des son poirier pour bien voir le ciel. Il se plaignit à son voisin Fichaux, déjà bien gonflé de bière, que le temps n'était plus des beaux marchés de pigeons à la place des Quatre Chemins. On n'y avait vu ce matin que des bêtes pour la casserole.
...
Le chien de Fichaux aboyait sous les broussailles où jouaient des enfants heureux de se tapir. Ils cachaient dans ce jardin perdu le grand bonheur de faire à leur guise. La tôle rouillée des boîtes de conserves leur composait un mobilier abondant. Entre les beaux arbres des fortifications et les cheminées des usines de Fives, les terrains d'ouvriers contenaient d'humbles joies. Les gens qui passaient dans les chemins noirs entre les haies vertes donnaient le bonjour aux coulonneux qui regardaient le ciel. Ils leur demandaient en langage lillois :
- Ils ne vienne'tent pas ?
- Pas encore à c't'heure. Ici je me tiens pour moi mieux les voir.
Les hommes des jardins invitaient les amis à s'asseoir :
- Mettez-vous !
Et disaient à ceux qui partaient :
- Quand vous voudrez. Des compliments.
Un pigeon gris cravaté de bleu planait sur le pigeonnier. Browaeys étendit du grain pour appâter la bête affamée. Un gros Anversois vint dix minutes après. Les coulonneux ravis disaient leur joie :
- On aura le prix. On va en boire des grandes chopes.

Pierre Hamp - Le lin

 

_______________
1 - glèbes veules : terres légères, peu fertiles
2 - l'épieu double : la houe


 

 

 

 

 

Le pigeon voyageur, un compagnon pour l'acheminement des messages en temps de guerre (ici en 1939).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | LES COULONNEUX

 

 

bachybouzouk.free.fr