ACCUEIL | LE NORD ET UN PEU DE BELGIQUE | SUR LA COTE BELGE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a des chefs de famille qui ne disposent que du week-end pour aller retrouver les leurs au bord de la mer. Pour peu qu’ils habitent le Nord de la France, la Bretagne leur est inaccessible. C’est surtout à eux que nous penserons aujourd’hui, en signalant, pour l’avantage du change, les plages du littoral belge.

Non qu’elles rappellent en quoi que ce soit, les beautés impressionnantes de l’Armorique. Par contre leur climat possède des vertus si énergiques, qu’il est capable, comme on dit, de réveiller un mort.

Verte ou grise, quelquefois bleue, écumeuse presque toujours, l’agressive mer du Nord, attiédie grâces à Dieu par le Gulf-Stream, souffle à peu près continûment vers ses rives, un vent vivifiant qui fouette le sang, et qui fait entrer dans les pores de la peau, le sel marin dont son eau est si extraordinairement chargée.

Bien entendu, si quelque faiblesse physiologique vous fait redouter toute accélération vitale, fuyez cette côte. Mais si vous souffrez seulement de déficience, d’atonie nerveuse, ou de cette lassitude que connaissent tous les citadins à l’approche de l’été, dépêchez-vous de bourrer vos malles de lainages, assujettissez votre chapeau, enfoncez votre bonnet jusqu’aux oreilles, et en route pour ces flots bourrus et bienfaisants !

Là, rien que sa splendeur, la mer. Plus d’ombrages, plus de falaises, plus de surprise à chaque tournant de rocher ; mais une plage de sable fin, qui déroule, presque d’un seul tenant de Malo-les-Bains jusqu’en Hollande, son long ruban jaune, d’une rigidité de canal : merveilleux terrain pour le bain, le barbotage des bébés dans les flaques, le footing, les jeux, le sport du char à voile. Ce ruban, lavé par la mer d’un côté, se relève, de l’autre, en un ourlet de dunes, mouvante succession de crânes d’or, aux rares cheveux verts.

Grimpez sur la plus haute de ces collines et à vos pieds vous verrez se déployer à perte de vue, vers l’intérieur du pays, une horizontalité si parfaitement nue et vide, qu’elle en porte, dans l’histoire de la Flandre maritime, le nom significatif de Plat-Pays. Le Polder, jadis, un immense marécage, que noyait, à chaque flux, le liquide glauque et salé. Puis, au XIe siècle, arrive le moine Idesbald. Sur un coin à peu près sec de cette argile poisseuse, il édifie la célèbre Abbaye des Dunes (camp d’aviation de l’armée française pendant la guerre) ; puis, à la tête de son équipe de religieux, il assèche le limon, en l’irriguant de canaux innombrables qui forme une vaste toile d’araignée liquide, dont les fils d’eau vont lentement se perdre dans l’Yser, à Nieuport. Les prés et les labours ainsi "gagnés" sont parmi les plus gras et les plus féconds qu’on puisse trouver. Mais ceci est le point de vue agricole.

Pour remédier, du point de vue touristique, à l’uniformité, de grand caractère mais un peu monotone, de ce paysage qui n’a d’éclat que celui de sa lumière, et celui de ses fermes rutilantes, à qui la paysanne — n’est-elle pas une compatriote de Rubens? — refait chaque année une beauté, en les teintant de chaux blanche, verte, ocre, bleue, mauve pâle afin de remédier, dis-je, à cette absence de pittoresque, les parfaits organisateurs que sont nos amis belges, se sont efforcés de rapprocher l’intérieur, de cette côte très travaillée, en y établissant des moyens de transport si bien réglés, que tout déplacement s’y accomplit sur le velours : routes excellentes ; autobus et tramways épousant le bord de l’eau ; correspondances précises avec le rail ; autocars de Calais à La Panne. Tarifs raisonnables, que réduit encore l’avantage du change.

Venant de Bray - Dunes (France), la première station balnéaire que vous rencontrez en Belgique, est La Panne, port d’échange, résidence royale et lieu de repos des troupes belges pendant la guerre. Située au milieu de six cents hectares de dunes, avec la plupart de ses villas piquées comme des fleurs sur les mamelons de sable, ou d’autres alignées sur la digue, face à la mer, ce La Panne est un coin amusant, vivant, mouvementé, tout bruissant de fanfares et de musiques. Casino, dancings, cinémas. Bains gratuits sur le sable doux aux pieds ; pêche à la crevette ; promenades sur l’eau ; amusement de voir la mer venir cueillir sur la plage les dundees et les grosses chaloupes, et y ramener bien gentiment après "la traîne" — le jour où elle est sage — ce Pannois qui compte parmi les plus hardis pêcheurs du monde.

Il existe à La Panne des maisons hôtelières presque exclusivement fréquentées par les Français. Prix de pension moyen flottant (comme sur tout le littoral) entre 20 et 35 francs par jour. Les hôteliers sont aimables, la propreté toute flamande ; la nourriture savoureuse et abondante.

De La Panne il est aisé de se rendre (à pied ou en tramway) à Fumes, vieille petite ville dévote et archaïque, mi-gothique, mi-renaissance espagnole, qui semblait devoir dormir pendant des siècles encore à l’ombre de sa cathédrale, quand un affreux jour de 1914 elle fut réveillée en sursaut, bousculée, assourdie de tapage militaire ; puis, pendant quatre ans, broyée si cruellement sous les obus, que c’est par miracle qu’elle soit restée le dernier joyau architectural intact — et d’autant plus cher — de ce lambeau de territoire qui fut un instant toute la Belgique libre.

Etes-vous bon marcheur? Parfait. Les eaux étant "retirées", nous allons aller à Nieuport à pied, par la mer en foulant, tout contre la vague, un sable humide et dur. Le vent nous bombarde d’embruns salés, l’ozone pénètre nos poumons. En passant devant Coxyde admirons le balancement hiératique de ces pêcheurs de crevettes à cheval. Jetons ensuite un coup d’œil sympathique sur les belles dunes d’Oostduinkerke et puis sur Groenendyck, charmante petite plage intime ; et enfin nous voici à Nieuport-Bains, une des plus anciennes stations du littoral belge ce qui lui assure un très bon chic. C’est une plage profonde comme celle de Dauville, vaste et calme, aimée et recherchée pour son recueillement et ses admirables couchants sur l’Yser, par les aristocrates, les rêveurs et les artistes.

Si nous remontons cet indolent Yser, nous arrivons à Nieuport-ville, vieille, vieille petite cité qui a, toujours vivante, supporté neuf sièges, et qui, au dixième, a vu crouler jusqu’à sa dernière brique.

Hélas ! ici les dunes s’interrompent. Elles ont été charcutées, rasées, enterrées sous l’abus de constructions. C’est maintenant le règne des plages de pierre lesquelles vont se succéder sans interruption (Westende, Middelkerke, Mariakerke) jusqu’à la grande ville voisine, la Reine des Plages.

Ostende mérite, disons-le tout de suite, ce titre publicitaire, par son intense vie mondaine, par la rude beauté d’une digue en blocs de granit, avançant assez hardiment dans la mer — et quelle mer ! — pour qu’aux marées d’équinoxe, les vagues la balaient comme un pont de navire en détresse.

Sur cette avancée s’édifie, en rotonde, un kursaal somptueux, où l’on joue comme à Monaco, où l’on danse, où l’on fait une musique divine. Pour le logement, vous pouvez être sûr d’en trouver, à l’intérieur de la ville, à tous les prix. A moins que vous n’alliez, pour plus de rusticité, vous installer au Coq, cette calme petite station dont je vous parlais tout à l’heure, pas trop chère, et dont les villas sont disséminées dans les dunes.

Après Coq-sur-Mer, les plages de pierre recommencent à sévir (Wenduyne, Blankenberghe, Heyst) jusqu’aux deux stations terminus du littoral : Knocke, toute bourgeoise, et Le Zoute, très à la mode, goûtée des snobs, et de séjour coûteux. Un golf.

Au Zoute, nous avons la joie de voir les dunes ressusciter ; des dunes fort belles, larges, colorées de bestiaux magnifiques, mais que la violence des vents d’ouest, poussent de toute leur force désagrégeante vers l’ultime barrière : l’embouchure de l’Escaut.

Quand, du Zoute, vous irez, chez Sisbra manger de ces gaufres moelleuses qu’on ne sait faire qu’en Belgique, vous aurez un pied chez la reine Elisabeth, et l’autre chez la reine Wilhelmine. Et alors, invinciblement, vous subirez l’appel de la Hollande. Entendez-vous siffler ce tramway à vapeur?...

En route pour Breskens (cité des peintres) dont les pieds trempent dans le large et sauvage Escaut. Sur la berge d’en face, c’est la terre hollandaise qui se confond presque, parce que si plate, avec les eaux mitoyennes. Ecoutez !... Cette fois, c’est la sirène d’un bateau qui vous fait tressaillir... vous avez juste le temps de franchir la passerelle, si vous voulez arriver à Middelbourg à l’heure du marché, ruche toute bourdonnante de rieuses Hollandaises aux bonnets blancs, aux anneaux d’or...

D’ici, trois jours — rien que trois jours — en bécane, en auto, vous suffiront à faire le circuit des grandes villes de Hollande.

Retournons au bord de l’Escaut... un bateau passe... Qu’est-ce qui vous empêche de remonter les eaux rebroussées et crêtées de marée du fleuve de Verhaeren, jusqu’à ce que Notre-Dame d’Anvers, jaillissant tout soudain des flots, vous arrache un cri d’admiration.

Bien entendu, sur quelque coin de la côte que vous vous soyez fixé (en Belgique on n’est jamais bien loin de rien) vous prendrez le car ou le rail (une demi-heure de roulement) et vous irez passer quelques heures dans la Venise du Nord, cette Bruges-la-Morte que les Anglais, en été, rendent un peu trop vivante à notre gré.

Vous devez aussi — après Memling, Van Eyck — une journée à Gand, vieille cité des communiers, des tisserands, cité des Comtes, patrie de Maeterlinck. Vous y descendrez — ponctués chacun par une tour d’église — les célèbres ponts de la Lys. Vous entrerez à Saint-Bavon dont l’intérieur rubénien est sans doute si riche et si chaud, parce qu’écrin, il abrite cette perle : l’agneau mystique. Vous ne pouvez oublier, sa grosse masse s’imposant à vos yeux, le château des Comtes de Flandre, ces turbulents vassaux des rois de France. On vous ouvrira la trappe des oubliettes dont les fondements baignent en des douves noires, qu’étoile l’aile pure des cygnes...

 

Marguerite Baulu (texte publié en 1933)

 

L'article avait pour titre "VACANCES DE CRISE, A LA RECHERCHE DU BON MARCHÉ"

 

 

 

Coxyde

 

 

Gant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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